Lettre à O et à F au sujet du film.

À Bruxelles, le dimanche 5 novembre.

Salut chers collègues,
Comme convenu, je vous transmets le synopsis du film tel qu’il m’apparaît ce jour.
Une phrase pour résumer l’idée : il s’agit de faire un film racontant la transformation  impressionnante, soudaine et inquiétante d’une classe de STMG de Timburbrou, Seine-Saint-Denis, qui, dans le cadre d’un projet d’introduction des sciences cognitives dans l’École, est saisie d’un zèle et d’une volonté d’apprendre que l’on ne comprend pas. On s’aperçoit que des phénomènes analogues se produisent de par le monde. 40 ans après, en 2065, John Poquito, journaliste, enquête. Des vidéos retrouvées par John Poquito (tournées par nos correspondants étrangers, voir le synopsis) montrent l’ubiquité du phénomène.
Le pari qui est fait avec ce film est que le fait de participer activement à une fiction partagée pendant laquelle on incarne des élèves avides de savoir jusqu’au point d’inquiéter ou interpeller les maîtres et l’institution peut avoir des effets bénéfiques sur les apprentissages et la scolarité de ces élèves qui nous ont tant occupés ces jours derniers.
Pourra-t-on le finir, ce film ? Ce sera difficile, je vous l’accorde. C’est pour cela que chaque étape doit avoir un intérêt de par elle-même. Je propose que nous commencions par demander aux élèves de rédiger des articles louangeurs au sujet du film et d’illustrer ces articles par des extraits du film. Pour que l’activité soit réussie, il suffira qu’on parvienne à tourner quelques scènes. Dans l’hypothèse où nous ne parviendrions pas à tourner ces quelques scènes, nous aurons toujours engrangé les travaux d’écriture qui contiennent les articles. Quant à l’étonnement que suscite le fait de parler d’un film non tourné, il pourra être rappelé que la critique de livres inexistants constitue l’un des ressorts majeurs de l’œuvre d’un écrivain aussi admiré que Borges. Il serait intéressant que je travaille sur un extrait qui montre à l’œuvre cette démarche. On pourra aussi utilement se référer à Proust, qui écrivait des articles louangeurs et anonymes sur ces travaux. Que Proust ait écrit la Recherche et que nous n’ayons pas forcément fini -ou commencé- le film n’est pas en soi significatif au regard de l’activité qui consiste à dire du bien de soi et de son travail en prétendant être quelqu’un d’autre. Notre supériorité sur Proust est surtout morale ou axiologique : nous n’occulterons pas que nous sommes à l’origine des articles. De fait, comme Borges, nous allons donner toute sa dignité à ce qui était, chez Proust, une pratique honteuse. Et en plus, nous serons animés de la volonté de véritablement finir notre film, qui sera, nous n’en doutons pas, à la hauteur des critiques admiratives qu’il aura suscitées.
Je joins à ce mot un courrier destiné à F et à C. Comme vous pourrez le voir, je leur propose une démarche d’écriture en rapport avec leur projet plongée. Histoires sous l’eau, tel est le nom provisoire que je donne à la démarche, vise à mettre en place un forum dans lequel des élèves de plusieurs pays pratiquant (ou affirmant pratiquer) la plongée racontent des faits extraordinaires survenus sous l’eau pendant qu’ils plongeaient. Je propose qu’il y ait des références intertextuelles entres les deux projets.
À demain,
S.