Lettre de Nierenstein à Sarkozy au sujet de son projet sur Borges.

À Castaño del Robledo, le samedi 25 août 2018.

Monsieur le Président Sarkozy,
Professeur dans le secondaire, j’étudie souvent avec mes élèves le récit Thème du traître et du héros1, de l’écrivain argentin Jorge Luis Borges.
Dans ce récit, un homme, Ryan, découvre que son arrière-grand-père n’est pas le héros que chacun croit, mais un traître. Ryan occulte la vérité et publie un livre à la gloire du « héros ».
À la question Qu’auriez-vous fait à la place de Ryan ?, mes élèves répondent avec l’impétuosité caractéristique de leur âge. Certains déclarent qu’ils auraient révélé la vérité, d’autres proclament qu’ils auraient fait comme Ryan. Cependant, parmi ces derniers, nombreux sont ceux qui changent d’avis lorsque je les invite à imaginer que Ryan est enseignant : un prof ne doit pas mentir à ses élèves, la réputation d’un héros national ou d’un ancêtre dût-elle en souffrir.
Monsieur le Président, j’aimerais que mes élèves disposent de la lecture que font du récit de Borges d’autres qu’eux. Je voudrais, en particulier, qu’ils puissent disposer de l’éclairage de personnes qui ont pu être confrontées à des dilemmes moraux analogues à celui que Ryan affronte.
Qu’auriez-vous fait, monsieur le Président, à la place de Ryan ? Avez-vous été confronté, dans l’exercice de vos fonctions, à un dilemme comparable à celui du personnage de Borges ? Imaginons un instant que Ryan soit français et qu’il découvre que son grand-père, un militaire respecté et prestigieux, a torturé en Algérie : devrait-il occulter son crime ou, au contraire, le dévoiler2 ?
Je publie ce courrier sur mon blog. Je serais heureux d’y publier aussi votre réponse.
Je vous prie de croire, monsieur le Président, à l’expression de mes salutations distinguées.
Esteban Nierenstein,
professeur agrégé.
(Je poursuis la publication des écrits d’Esteban Nierenstein, professeur agrégé dans un autre univers et qui a choisi de publier chez nous pour éviter les sanctions dont on le menace dans son monde à lui. Je dois dire que j’ai du mal à comprendre la vindicte dont on poursuit mon collègue ; il ne dit rien de mal. SN)

1En français ici, en espagnol ici.

2L’incipit du récit, qui indique que le choix du lieu et de la date est de peu d’importance, est une invitation à acclimater le récit sous d’autres cieux. Il suffit d’une infamie occultée commise par un homme prestigieux et d’un homme qui la découvre.