Chères et chers collègues,
Je me permets de vous écrire pour vous proposer de vous associer à l’initiative Retour sur l’info, que je m’efforce de mettre en place. Il s’agit de revenir sur une information pour l’analyser et pour, si cela est possible, prolonger l’enquête du journaliste.
Le off, chronique d’une dérive politique
Je partirai d’un exemple concret, un article du Monde sur lequel je travaille en ce moment : Le off, chronique d’une dérive politique qu’une polémique récente est venue illustrer : celle qui porte sur le déjeuner qui réunit autour du président une dizaine d’éditorialistes éminents deux jours avant la journée de mobilisation contre la loi sur les retraites du 19 février 2023. Dans cette polémique, certains conspuèrent une presse de gouvernement, alors que d’autres défendirent ce qu’ils estimaient être l’exercice normal de la profession et crièrent à la tartuferie des premiers.
J’ai écrit aux journalistes qui participèrent à la réunion. A ce jour, Stéphane Vernay, d’Ouest-France, et Gilles Van Kote, du Monde, m’ont répondu. Le premier est l’un des commensaux du président, le deuxième s’exprime au nom de son journal, qui, d’après les informations disponibles, était représenté au repas par Françoise Fressoz. Tous deux se montrent disposés à discuter avec mes élèves sur la question du off et sur la polémique que je mentionnais plus haut. Je leur ai transmis ces questions.
Quelle que soit l’importance de la transparence de l’information dans une démocratie, de la question du off ou des rapports entre presse et pouvoir, quelle que soit l’intérêt, en principe, pour mes élèves de rencontrer des représentants éminents des deux journaux les plus lus de France, une évidence s’impose : non préparée, cette rencontre ne servira pas à grand-chose. Mes élèves n’ont pas lu l’article du Monde et n’ont rien su de la polémique née du déjeuner du président.
Comment faut-il préparer cette rencontre ?
Je vais donner ma réponse. Celle-ci est provisoire. N’hésitez pas, si vous l’estimez opportun, à me faire part de vos remarques.
Il faut, je crois, commencer par l’établissement des faits, qui doivent être décrits aussi précisément que possible. Il faut se demander comment l’invitation est parvenue aux éditorialistes, comment ces derniers ont été choisis par les services de la présidence, comment la rencontre s’est déroulée, et s’il y en a eu d’autres.
Il faut ensuite regarder le résultat de la rencontre. Le résultat, c’est la diffusion dans la presse de la parole du président aux conditions stipulées par ses services. Il faut réunir la production journalistique à laquelle laquelle le déjeuner a donné lieu et il faut se demander si l’objectif recherché, que l’on présume être la diffusion la plus large possible des positions du président sans que ce dernier soit cité expressis verbis a été atteint.
Il faut aussi s’intéresser à la polémique et analyser les arguments de ceux qui ont critiqué que les journalistes se plient au dispositif imposé par la présidence et les arguments de ceux qui critiquèrent les critiques.
Il faut, enfin, revenir à la question du off en politique et poser celle de la délibération au sein d’une société démocratique. Je pense que recours à Habermas et à Rawls serait ici pertinent.
Qui fait ce travail ?
Le ou les professeurs, en premier lieu. J’ai commencé :
https://sebastiannowenstein.org/category/retour-sur-linformation/
L’étendue du travail proposé ici peut paraître excessive, mais il s’agit de se donner une base d’où extraire les éléments pertinents pour nos élèves ou étudiants, dans le secondaire ou dans le supérieur. Pour être pertinents, nous nous efforcerons d’être exhaustifs ; c’est, au demeurant, ce que nous faisons pour préparer nos cours.
Si l’initiative fonctionne et qu’il y a des élèves ou des étudiants intéressés, une partie du travail listé plus haut pourra être effectuée par eux.
Je cherche à constituer un dossier que je pourrais remettre à mes élèves. Ce que je souhaite, c’est que ces derniers disposent des arguments des uns et des autres, et qu’ils soient en mesure de poser et de se poser leurs propres questions. J’adresse mes questions aux journalistes ayant participé au déjeuner et à d’autres (chercheurs, syndicalistes, journalistes non concernés par le déjeuner du président). Leur réponses devraient constituer le dossier dont je parle.
Faire advenir une discussion rationnelle
Faire en sorte que les élèves s’approprient les principes de la discussion rationnelle est l’une de nos missions. Mais il est tout aussi important de savoir comment créer les conditions pour que celle-ci survienne. Pour ce que j’ai pu voir la polémique du déjeuner du président n’a pas toujours -n’a pas souvent- adopté les formes d’une telle discussion. Pouvons-nous convaincre ceux qui ont pris part à cette polémique d’y substituer, au bénéfice de nos élèves, une discussion rationnelle ?
Il est certain que mes demandes ne suffiront pas à contraindre ceux qui ont pris part à la polémique du déjeuner du président à adopter le protocole proposé ici. Je propose qu’ils soit adopté au sein d’espaces limités, une école de journalisme, par exemple.
Proposition de protocole
- Chaque participant à la discussion livre une réflexion sur l’affaire du déjeuner du président d’une longueur maximale de 2000 signes.
- Chaque participant peut répondre aux contributions des autres participants. Les réponses ne dépasseront pas les 2000 signes.
- Chaque participant peut répondre à autant de contributions qu’il le souhaite.
- Les participants s’engagent à argumenter rationnellement. Ils feront un effort de clarté et tiendront compte du fait qu’ils s’adressent à un public jeune. Les données seront accompagnés de leurs sources.
- Les contributions sont publiées par les participants et/ou dans un site dédié. Lorsqu’une contribution répond à une autre contribution, cette dernière est citée de façon à ce que le lecteur puisse y accéder sans difficulté.
- Il n’est pas fixé de limite de temps à ce processus, mais les participants sont invités à effectuer régulièrement des synthèses par lesquels ils font un bilan des échanges en choisissant librement les aspects qui, à leurs yeux, sont les plus saillants ou pertinents.
- Des questions sont proposées à la réflexion des participants, dont ils peuvent, s’ils le souhaitent s’emparer. Ces questions ont pour mission de faire converger les positions des participants afin que se produise une confrontation rationnelle entre elles.
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