L’abus du off en politique, le déjeuner du président. Mes questions. Retour sur l’infomation

J’adresse les questions ci-dessous aux journalistes qui ont participé au déjeuner du président, mais aussi à d’autres personnes (syndicats, chercheurs, journalistes non concernés par le déjeuner, etc). Ces questions doivent être regardées comme un point de départ de discussions qu’on veut rationnelles et qui doivent se faire au bénéfice des élèves et des étudiants. On trouve ici une proposition de protocole de publication qui voudrait organiser les échanges. Ce protocole n’est pas encore actif, mais sa mise en place n’est pas indispensable au lancement des échanges. Il est souhaitable de privilégier une expression simple dans la mesure du possible ; il faut avoir en tête que le but recherché est que les contributions soient comprises par des lycéens. Des liens permettant de compléter le propos seront les bienvenus. Les sources doivent, autant que possible, être fournies.

  1. Comment est-on convié à ce genre de repas ? Avez-vous reçu un message, un appel téléphonique ? Comment les exigences de la présidence ont-elles été formulées ? Stéphane Vernay nous informe dans Ouest-France que d’autres rencontres impliquant le président et la première ministre et des journalistes ont eu lieu et la CFDT le confirme. Avez-vous des informations sur le sujet ? Si oui, de combien de réunions de ce type avez-vous eu connaissance ? Qui sont les journalistes qui s’y rendent, toujours les mêmes ou non ? Arrive-t-il que des journalistes de la presse étrangère soient présents à ces invitations ? Quelles sont les conditions que l’exécutif impose aux journalistes invités ? Savez-vous sur quels critères ces derniers sont choisis ? Avez-vous le sentiment qu’un journaliste qui ne respecterait pas les conditions imposées par l’Élysée serait écarté des rencontres à venir ? Un journaliste trop critique peut-il craindre la même chose également ? 
  1. Pouvez-vous décrire la rencontre, entre le moment où vous arrivez à l’Élysée et le moment où vous repartez ? 
  1. Avez-vous eu des échanges avec d’autres convives à la suite de ce déjeuner ? Avez-vous eu des contacts avec le président ou avec ses services après le déjeuner ? 
  1. Le président de la République est-il une source au sens journalistique du terme ? Dans quelles conditions est-il légitime de taire le nom d’une source ? Est-il légitime d’occulter au lecteur que l’on s’est rendu à un déjeuner avec le président et de taire et les conditions imposées à la participation à cette rencontre alors qu’on rapporte les propos que le président y a tenus ? 
  1. Monsieur Van Kote, du Monde, écrit : Le plus sain serait que les femmes et les hommes politiques assument leurs propos sans chercher à se cacher derrière le « off » Partagez-vous sa position ? Si tel est le cas, quelles conséquences négatives attribuez-vous au off ? Vous ne partagez pas la position de Gilles Van Kote ? Pourquoi ?
  1. Que pensez-vous de l’article du Monde du 22 décembre 2022 Le off, chronique d’une dérive politique
  1. Les rencontres organisées par l’exécutif que Stéphane Vernay révèle dans votre article du 23 janvier relèvent-elles, à votre estime, d’un dispositif de communication ou d’un acte d’information des Français ? Peut-on faire la différence entre les deux démarches ? 
  1. Si l’on considère que le déjeuner du président est une opération de communication, est-ce que le fait de diffuser la parole ou la pensée du président sans informer des conditions dans lesquelles il y a eu accès fait du journaliste un élément du dispositif de communication mis en place par l’exécutif ? 
  1. Un journaliste peut-il avoir des conversations informelles avec le président ? Si oui, est-ce qu’il ne faut pas distinguer clairement ce qui serait une forme d’échange spontané de rencontres organisées de façon systématique avec un objectif précis (ici, voir diffusée la position du président de la façon la plus large possible la veille d’une journée importante de mobilisation sans, cependant, que les propos lui soient attribués) ? Si vous estimez nécessaire cette distinction, estimez-vous qu’elle a été effectuée correctement par les journalistes qui ont rencontré le président ?
  1. Pensez-vous, comme Le Monde, qu’il y ait eu intensification du recours au off sous la présidence Macron ? 
  1. Lecteur assidu de la presse, je trouve pénible de ne pas savoir qui dit quoi ou de devoir, au cours de la lecture d’un article, me demander à qui je dois attribuer le propos ou les positions qui apparaissent sous mes yeux. Comprenez-vous que cela agace ou exaspère de ne pas savoir si l’on a affaire à la pensée du président ou à l’interprétation que le journaliste en fait ? 
  1. Le propos recueilli en off reste comme suspendu dans l’esprit. On ne sait pas si le président a vraiment dit ce qu’on pense qu’il a dit, si c’est le journaliste qui interprète sa pensée, voire, si l’on ne fait pas confiance au journaliste, si le propos a été tenu ou non. Plus important peut-être : le propos en off peut être désavoué par celui qui l’a tenu. Pourquoi accorder de l’attention à un propos qui n’engage pas celui qui l’a tenu ? Ne craignez-vous pas qu’on cesse de s’intéresser à des articles qui parleraient moins de faits que des pensées qui, peut-être, habitent le chef de l’État ? 
  1. Pour se plier aux exigences de la présidence, les journalistes ont eu recours à ce que l’on appelle le discours indirect libre (DIL, Friot et Perrenot le remarquaient le 1er février sur Acrimed), qui, omettant le verbe introducteur du discours qu’on rapporte, permet d’occulter l’identité de celui qui le tient. Le DIL suscite de l’ambiguïté (pas toujours, mais c’est le cas ici). On a associé le recours au DIL à l’émergence du réalisme en littérature et à l’apparition d’une voix narrative désincarnée. Si, comme l’affirme Le Monde, le recours au off s’est accentué, qu’est-ce que cela nous dit de la façon dont le pouvoir est exercé ? Est-on dans l’évitement, dans l’ambiguïté, dans le refus d’endosser les positions que l’on prend ? Peut-on établir un lien entre une forme d’expression imposé aux médias et une manière d’exercer le pouvoir ?
  1. Quel intérêt et quelle valeur les journalistes (et la société) doivent-ils accorder à une parole présidentielle qui ne s’assume pas ? Peut-on vraiment penser que ces rencontres permettent d’accéder au corpus et à la stratégie (Van Kote) du chef de l’État ? N’est-ce pas naïf de le croire ? 
  1. Ne faut-il pas penser que les paroles du président, plutôt que de livrer sa pensée, sont destinées à tester des éléments de langage et à diffuser un discours dont on espère qu’il aura un impact sur la mobilisation ? N’est-il pas plus judicieux de faire cette hypothèse que celle d’un président qui s’épancherait en toute sincérité auprès des meilleurs connaisseurs de la politique française ? 
  1. Dans la longue vidéo qui permet de revivre le séminaire des communicants de l’État, organisé sous l’égide du Service d’Information du Gouvernement (SIG), Pierre Calmard, directeur de Dantsu, une agence qui travaille pour l’État, tient ces propos : « le grand effet napalm mass média peut encore fonctionner «. Le communicant met l’accent sur « la capacité à cibler le consommateur-citoyen de façon de plus en plus en pointue pour éviter les logiques de déperdition ». Ces déclarations furent diffusées à des centaines de fonctionnaires et sont toujours sur le site du SIG. Comment réagissez-vous à cette métaphore qui assimile la communication d’une position par l’intermédiaire des médias à du napalm et le “consommateur-citoyen” à une cible ? 
  1. Le directeur du SIG, Michaël Nathan veut « traiter la communication du gouvernement avec les mêmes attentes et les mêmes réflexes de communication qu’une grande marque, tout en tenant compte de sa singularité » (voir ici, titre Le séminaire des communicants de l’État). La presse a-t-elle les réflexes requis pour faire face à ce qui semble une forme nouvelle et réfléchie de communication de la part de l’exécutif ? Comment s’en prémunit-elle ? Risque-t-elle d’être manipulée ? 
  1. Ceux qui ont critiqué les conditions dans lesquelles s’est tenu ce déjeuner et la façon dont les invités du président en ont rendu compte ont parfois été qualifiés d’hypocrites ou de Tartufes (Aphatie, Elkrief, par exemple). Que pensez-vous de ces accusations ? 
  1. Certains affirment que la pratique des rencontres en off existe depuis 50 ans ou depuis la nuit des temps (les mêmes que supra). Comme noté plus haut, Le Monde estime qu’il y a eu une intensification du recours au off sous la présidence de monsieur Macron. Estimez-vous que tel est le cas ? Estimez-vous que l’ancienneté d’une pratique interdit qu’on la critique ? 
  1. Certains (les mêmes) voient dans la critique de ce déjeuner une forme de complotisme. Qu’en pensez-vous ? 
  1. Madame Elkrief met en avant l’usage que les commensaux du président ont fait des propos de ce dernier. La qualité de leur travail démontrerait leur indépendance. Monsieur Van Kote recourt à un argument comparable pour défendre le travail de F. Fressoz, qui n’aurait pas repris à son compte les arguments du président. Que pensez-vous de cet argument ? La qualité du travail des journalistes suffirait-elle à annuler les critiques dont ils ont fait l’objet ?
  2. Êtes-vous en mesure de comparer les pratiques décrites dans l’article du Monde et celles qui ont lieu dans d’autres pays ? Si tel est le cas, que concluez-vous après avoir effectué une telle comparaison ?