Au sujet du refus de communication des messages du président Braconnier. Lettre à la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

https://sebastiannowenstein.org/wp-content/uploads/2023/03/pour-transmission-madame-la-ministre-Retailleau-Pantheon-Assas-transmission-de-documents-Envoyes-Courrier-SOGo.pdf

Monsieur le Proviseur,
Je vous saurais gré de bien vouloir transmettre le courrier ci-après.

Bien à vous,
S. Nowenstein

Madame la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

s/c du chef d’établissement

À Lille, le 15 mars 2023.

Référence : https://sebastiannowenstein.org/2023/02/24/au-sujet-du-refus-de-communication-des-messages-du-president-braconnier-lettre-a-la-ministre-de-lenseignement-superieur-et-de-la-recherche/

Madame la Ministre,

Enseignant dans le secondaire et le supérieur, je travaille sur le projet Retour sur l’info, qui vise à revenir sur des informations parues dans la presse pour prolonger les enquêtes des journalistes. Un article de Mediapart qui faisait état d’une procédure de consultation au sein de l’université Panthéon-Assas en vue de la création d’un poste au bénéfice de l’ancien ministre Blanquer, m’a conduit à demander à votre administration communication des messages échangés dans le cadre de ladite consultation.

Pour l’enseignant que je suis, l’intérêt de cette affaire dépasse désormais celui de prolonger l’enquête journalistique sur une procédure de mutation inhabituelle, puisqu’elle semble de nature à éclairer la question de l’accès aux documents administratifs et, plus généralement, celle de la réalité des droits que la République garantit au citoyen. En effet, de par le traitement pour le moins opaque et dilatoire qu’elle a donné à la demande qui lui était faite, la présidence de l’université Panthéon-Assas nous invite à nous interroger sur la réalité empirique du droit d’accès aux documents administratifs et, partant, sur la réalité d’autres droits, aisés à proclamer mais dont l’accès effectif serait souvent entravé. Une autre question se pose qui concerne la crédibilité de la parole de l’Etat : l’administration peut-elle se contredire ouvertement et ne pas s’en justifier ?

Dans l’ouvrage de référence Droit constitutionnel, les professeurs Troper et Hamon écrivent :

« En quatrième lieu, l’opposition traditionnelle néglige l’usage rhétorique que les constituants peuvent faire de formules comme souveraineté nationale ou souveraineté populaire. Il est possible et il arrive fréquemment qu’on les proclame sans autre souci que d’obtenir une adhésion populaire, mais sans aucune intention d’en tirer la moindre conséquence »

Michel Troper, Francis Hamon, Droit Constitutionnel, LGDJ, 33 éd., p 198

Étendre la portée du propos des professeurs Hamon et Troper aux droits fondamentaux reconnus aux citoyens conduit à penser qu’il arrive que la République les proclame de façon rhétorique, mais sans avoir l’intention de les voir produire des effets. J’estime que l’affaire que je soumets à votre considération illustre utilement cette problématique. En ce qui concerne l’accès aux documents administratifs, les constats ne sont pas toujours encourageants. Voyez :

Pour Raphaël Maurel, Secrétaire général de l’Observatoire de l’éthique publique, l’accès aux documents administratifs est un parcours semé d’embûches qui est souvent réservé aux citoyens les plus tenaces, et dotés des moyens d’aller au bout des procédures (Le Monde, 20/02/2023). L’auteur pointe l’engorgement parfaitement inutile des tribunaux administratifs auquel contribue la nécessité de saisir la justice lorsque l’administration ne donne pas suite aux avis de la Commission d’Accès aux Documents administratifs, CADA. Il signale aussi les délais totalement déraisonnables que le parcours judiciaire impose au citoyen : il a fallu quatre ans au journaliste qui a demandé des notes de frais à la mairie de Paris pour les obtenir.

Laura Motet, journaliste au Monde, constate (France Culture, 16/02/2022) : Il existe une véritable mauvaise volonté d’un certain nombre d’administrations, en particulier les administrations centrales.

Jean-Luc Nevache, ancien président de la CADA, déclarait pour sa part (Acteurs publics, 7 juillet 2022): La culture de la transparence n’est toujours pas celle de l’administration.

Dans l’affaire qui me conduit à vous écrire, le droit d’accès aux documents apparaît bien théorique. Vous pouvez le constater en consultant le mémoire en réplique par lequel je réponds à celui, en défense, de monsieur Braconnier, président de l’université Panthéon-Assas. Doutant, cependant, que vous ayez le temps de lire ce mémoire, je souhaite attirer votre attention sur quelques points :

Le président Braconnier saisi d’une demande alors qu’il n’y a pas de demande extérieure

Le 21 juin, le journal Mediapart publiait de larges extraits d’un message par lequel le président Braconnier annonçait avoir été saisi d’une demande visant à créer au sein de l’université Panthéon-Assas un poste au bénéfice de l’ancien ministre Blanquer. Le même jour, l’université publiait un communiqué où l’on lit : Contrairement à ce que laisse croire l’article, aucune « demande » extérieure à l’université n’a précédé les échanges exploratoires entre Monsieur Jean-Michel Blanquer et les responsables compétents de l’Université.

Je note que votre ministère ne dispose d’aucun document portant sur la saisine dont monsieur Braconnier écrit, le 17 juin 2022, avoir fait l’objet (Avis n° 20225974 du 03 novembre 2022 de la CADA).

Nous semblons être devant ce que l’on pourrait appeler une bouteille de Klein administrative : une instance saisit le président Braconnier et lui dit qu’il y aurait création d’un poste dédié et pérenne et, en même temps, aucune instance extérieure ne le saisit.

La bouteille de Klein est l’objet mathématique pour lequel il n’est pas possible de définir un « extérieur » et un « intérieur ». (C’est parce que cette lettre est publique que je formule cette précision, inutile pour vous, madame la ministre).

Un message, un seul

Après des péripéties qu’il serait trop long de reprendre ici (voir mon mémoire en réplique pour de plus amples développements), l’université de Panthéon-Assas a fini par me communiquer un ensemble de documents parmi lesquels seul un avait été produit avant la date de ma demande, le message du président Braconnier, déjà dévoilé par Mediapart. Ce document serait le seul émis ou reçu par le président Braconnier portant sur l’ancien ministre Blanquer.

Et naturellement, cette venue du ministre Blanquer à Assas, divulguée fièrement par le président Braconnier, n’aurait pas donné lieu, non plus, à des échanges de messages :

Source : https://twitter.com/sbraconnier/status/1487130867248074764 et Hypothèses.

Des documents non advenus au moment de ma demande me sont communiqués

Lorsque l’on fait une demande de transmission de documents, on demande des documents existants, on ne demande pas des documents non encore advenus. Ma demande date du 21 juin, mais tous les documents que le président Braconnier me transmet sauf un, le message déjà cité, ont été produits après ma demande. C’est un peu comme si le temps s’écoulait à l’envers à Assas, ce qui est possible dans les équations de la mécanique quantique mais ne l’est pas pour un objet macroscopique tel qu’une université. Ou comme si, visionnaire, le président Braconnier avait eu la révélation de la saisine dont il allait faire l’objet dans un temps à venir.

« Cher Jean-Michel », « Amicalement », Braconnier défend Braconnier. D’une apparence de conflit d’intérêts

Parmi les documents que le président Braconnier a bien voulu me transmettre sans que je lui en fasse la demande, figure un courrier que vous avez adressé le 29 août 2022 à monsieur Blanquer. J’ai ainsi appris que c’est à vous, madame, qu’est revenue la décision de nommer l’ancien ministre à Panthéon-Assas et c’est vous-même qui lui avez écrit pour lui annoncer votre décision. Vous avez ajouté, à la main, Cher Jean-Michel ; vous avez pris congé de l’ancien ministre en ajoutant, à la main aussi, Amicalement.

C’est à monsieur Braconnier, en conformité avec l’article L712-2 du Code de l’Éducation, qu’il revient de défendre son université.

S’il n’y a rien d’illégal à ce que vous manifestiez à l’ancien ministre Blanquer votre amitié ou à ce que monsieur Braconnier s’oppose au nom de son université à la communication des messages de monsieur Braconnier, il n’en reste pas moins qu’une apparence de conflit d’intérêts se manifeste que l’opacité du traitement de ma demande de documents, malencontreusement, renforce.

Au sujet du principe de non contradiction

J’appelle votre attention sur le fait qu’il y a création d’un poste dédié le 17 juin 2022 et qu’il n’y a pas de création de poste ad hoc le 21 juin 2022.

Je rappelle, voir supra, que le président Braconnier est saisi d’une demande le 17 juin et non saisi d’une demande le 21 juin. (Je précise, cela est peut-être important, je ne sais pas, que la première demande, celle du message du 17 juin est une demande, alors que la deuxième, celle du communiqué du 21 juin est une « demande« , entre guillemets).

Huit mois et une saisine du tribunal pour transmettre un message déjà public

Il a fallu huit mois et une saisine du tribunal pour que l’Université me transmette un message publié en grande partie 21 juin 2022 par Mediapart et, très vite, dans sa totalité, ailleurs (Hypothèses, le 09/08/22). Une administration diligente et qui n’a rien à cacher aurait transmis l’unique message, celui du 17 juin 2022, et aurait affirmé sans ambiguïté qu’il n’y en avait pas eu d’autre.

De la « volonté » de transmettre les documents

Dans son mémoire en défense, le président Braconnier met en avant sa volonté de transmettre les documents demandés. Le 8 décembre 2022, il en a informé tant la CADA que le ministère. Le 11 décembre, ignorant tout de cette volonté, j’écrivais au président Braconnier pour lui annoncer que, constatant son refus, je m’apprêtais à saisir le tribunal. Le président Braconnier, qui n’avait donc pas estimé opportun de m’informer de sa « volonté » de me transmettre les documents, ne m’a pas répondu et il lui a encore fallu 36 jours pour me transmettre le message du 17 juin et les documents non demandés dont il a décidé de l’agrémenter.

Tout se passe comme si la volonté en puissance du président Braconnier de me communiquer les documents demandés (le document demandé et déjà amplement diffusé, en fait) avait eu besoin de ma saisine du tribunal pour se transformer en acte. Tout se passe aussi comme si le président Braconnier avait voulu attendre que je saisisse le tribunal pour, une fois cela fait, plaider que ma demande était devenue sans objet et demander qu’il soit constaté et prononcé un non-lieu à statuer.

Des documents qui existent et qui, en même temps, n’existent pas

Laura Motet, dans l’entretien cité plus haut, déclare :

Par ailleurs, assez souvent, (…) les administrations font des rapports annuels et elles y mentionnent des études ou des documents qu’elles produisent. Et ensuite, elles vous expliquent que ces études n’existent pas !

https://www.radiofrance.fr/franceculture/laura-motet-la-france-est-vraiment-tres-tres-en-retard-dans-la-transparence-des-documents-administratifs-4792286

Pour ma part, je me suis souvent heurté à des déclarations analogues : les documents demandés n’existent pas. A lire certaines réponses de l’administration, on en viendrait à croire que la France détruit méthodiquement des archives de la plus haute importance. C’est un problème dont j’ai saisi la première ministre, ainsi que la procureure de Paris.

Un scepticisme justifié

Le scepticisme que suscite la position du président Braconnier selon laquelle il n’a reçu ou émis d’autre message que celui qu’il a bien voulu me communiquer n’est pas seulement nourri par le traitement pour le moins dilatoire réservé au dossier, mais, également, par un mode de fonctionnement de l’administration qui, en matière de transparence, a beaucoup de progrès à faire (voir Motet ou Nevache, supra).

Si je me permets de vous écrire aujourd’hui, c’est parce que je souhaite vous demander que vous instruisiez vos services afin qu’ils examinent la situation que je vous soumets. Je suis certain qu’ils concluront que l’intérêt bien compris de l’université de Panthéon-Assas commande un traitement des demandes de communication différent de celui qui a été réservé à celles que j’ai formulées. Je pense qu’une intervention de votre part pourrait, sans remettre en cause l’autonomie des universités, y contribuer.

Madame la ministre, le journaliste qui a obtenu les notes de frais de la mairie de Paris a dû dépenser 3000 euros en frais d’avocat. J’estimerais excessif qu’un enseignant doive en passer par là pour mettre en place un projet tel que Retour sur l’info. J’ose espérer que, pour ce qui est de l’administration placée sous votre autorité, il sera opposé moins d’obstacles à la communication de documents que ceux dressés par la mairie de Paris devant le journaliste précité.

J’espère aussi que vous répondrez à ce courrier. Si elle me parvient, votre réponse sera versée au dossier que je prépare et publiée en lien avec cette lettre, elle-même publiée à l’adresse indiquée en référence.

Je vous prie d’agréer, madame la ministre, l’expression de mes salutations les meilleures,

S. Nowenstein, professeur agrégé.