Déclarations de monsieur Bensoussan. Lettre à madame la ministre.

 

A Villeneuve d’Ascq, le 17 mars 2017

s/c du chef d’établissement

Madame la Ministre,
Dans le cadre de l’enseignement moral et civique et dans les circonstances que je vous explique plus bas, j’ai été amené à travailler sur les déclarations de l’historien Georges Bensoussan qui, en octobre 2015, déclarait sur France Culture, dans l’émission « Répliques »1, que, dans les familles arabes, on tétait l’antisémitisme avec le lait de sa mère. Poursuivi pour incitation à la haine, monsieur Bensoussan vient d’être relaxé par le tribunal correctionnel de Paris, qui a donc considéré que ses propos ne suffisaient pas à caractériser une infraction pénale.
Monsieur Bensoussan est un membre éminent du Mémorial de la Shoah, dont il est le responsable éditorial. Il dirige, également, la Revue d’histoire de la Shoah, que cette institution publie. Le Mémorial de la Shoah est en partenariat permanent avec le Ministère de l’Éducation nationale. Monsieur Bensoussan est détaché par notre ministère auprès du Mémorial de la Shoah2. À ma connaissance, le Mémorial de la Shoah n’a pas désavoué les propos de son collaborateur.
J’ai été amené à évoquer les déclarations de monsieur Bensoussan en cours d’éducation morale et civique parce que, désirant faire venir dans mon lycée une exposition portant sur la destruction des Juifs par les nazis conçue par le Mémorial de la Shoah, je me suis trouvé confronté à un dilemme : fallait-il cesser d’œuvrer à la venue d’une exposition qui me paraissait admirable et intéressante pour mes élèves au motif que l’institution qui l’avait conçue semblait endosser des propos blessants pour une partie de mes élèves ?
J’ai considéré que je pouvais œuvrer à la venue de cette exposition si j’interpellais3 le directeur du Mémorial de la Shoah au sujet des déclarations de monsieur Bensoussan et si je portais cette interpellation et la réponse qui pourrait y être faite à la connaissance des élèves qui visiteraient l’exposition. J’ai aussi écrit à monsieur Bensoussan4 pour lui proposer de venir dans ma classe, tout en posant une condition à cette venue : que monsieur Bensoussan fasse au préalable des excuses destinées à ceux de mes élèves que ses propos auraient blessés injustement5. Je disais à monsieur Bensoussan que l’on pouvait sortir par le haut de la situation qui naissait des propos qu’il avait tenus et l’invitais à ce que nous fassions, ensemble, vivre les valeurs de la République.
J’ai exposé le dilemme auquel j’avais été confronté à mes élèves et leur ai présenté la solution que je lui avais donnée. Il me semblait que non seulement ce dilemme permettait d’aborder des questions d’importance -celle des discriminations ou celle de l’antisémitisme, par exemple- mais aussi de montrer un mode de résolution des conflits qui, fondé sur l’argumentation rationnelle et loyale, fait la pari du dialogue. J’ai voulu donc, par cet exemple, proposer une voie autre que celle, hélas, trop souvent empruntée, où chacun, embastillé dans ou par ses certitudes, construit un Autre raciste, odieux et détesté, insusceptible de s’engager avec soi dans une discussion ; un Autre, donc, que l’on ne peut que combattre. J’essaye de montrer à mes élèves qu’à côté du paresseux « c’est tous des racistes ! », à la manière du Bensoussan de l’émission « Répliques », il y a un espace pour une démarche nuancée : on reçoit avec respect et curiosité ce que le Mémorial fait de bien, l’exposition que je voudrais faire venir, mais on interpelle son directeur pour ce qui n’est pas bien dans ce qu’il fait : ne pas désavouer des propos injustes et blessants tenus par le plus illustre des membres de son institution. Et puis, on dialogue, on délibère de façon loyale et argumentée pour, en somme, faire vivre les valeurs de la République, une République qui est animée d’une volonté résolue de fraternité sans pour autant rien concéder sur ses principes. Est-ce trop demander à une institution comme le Mémorial et à son directeur éditorial d’adopter une démarche à la hauteur de celle que nous exigeons de nos élèves ?
Madame la ministre, puis-je vous demander respectueusement de prendre position sur les déclarations de monsieur Bensoussan ? N’est-ce pas à vous, madame, en l’absence des clarifications que j’ai sollicitées en vain, qu’il revient de préciser que les généralisations outrancières, offensantes et dépourvues de valeur scientifique ne sauraient avoir droit de cité ni dans l’École ni chez ses partenaires permanents ?
Je me permets de vous informer respectueusement, madame, que je publie cette lettre sur mon blog.
Je vous prie d’agréer, madame la ministre, l’expression de mes salutations dévouées.
Sebastián Nowenstein,
professeur agrégé.
 

1Emission disponible sur le site de France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/repliques/le-sens-de-la-republique

2http://abonnes.lemonde.fr/societe/article/2017/01/26/georges-bensoussan-des-territoires-perdus-a-une-france-soumise_5069372_3224.html

3http://sebastiannowenstein.blog.lemonde.fr/2017/03/01/declarations-de-monsieur-bensoussan-lettre-au-directeur-du-memorial-de-la-shoah/

4http://sebastiannowenstein.blog.lemonde.fr/2017/03/02/lettre-a-monsieur-bensoussan-invitation-a-venir-dans-ma-classe/

5Il se conçoit certes qu’un élève soit blessé par un propos tenu par un enseignant et que ce propos n’en soit pas moins légitime : un élève ne saurait ainsi se prévaloir de ses croyances pour contester, par exemple, l’égalité entre les hommes et les femmes ou l’existence d’un ancêtre commun entre l’homme et le singe. La première relève des valeurs de la République et la deuxième résulte d’un consensus scientifique. Le propos de monsieur Bensoussan, cependant, ne ressort à aucune de ces catégories. Il ne repose pas sur des preuves empiriques et sa seule justification paraît être la nature de tabou de ce qu’il entend dévoiler, une nature posée comme une évidence péremptoire qui ne requiert pas la démonstration.

4 commentaires

  1. Vous avez l’air de tenir pour acquis que les propos de M. Bensoussan sont faux au prétexte qu’il se base sur des observations empiriques insuffisantes. Or le fait que quelqu’un n’apporte pas de preuves suffisantes à l’appui d’une thèse ne prouve pas que cette thèse est fausse. Il prouve simplement qu’on ne peut pas conclure. Habitant un quartier fortement islamisé, j’ai entendu le même jour un « bande de Juifs » et un « sale Juif ». Peut-être que des études statistiques poussées prouveraient que ce n’est que fortuit et que cet antisémitisme est marginal chez les musulmans habitant en France, mais peut-être pas. Je n’en sais rien. Mais contrairement à vous je ne postule pas que l’assertion litigieuse est fausse.

    1. Merci pour votre commentaire, Tocqueville.
      1. Si je vous traite d’antisémite, que vous me dites que vous ne l’êtes pas et que je vous rétorque qu’il vous appartient de le prouver, vous allez trouver le procédé étrange : il appartient à Bensoussan de démontrer la véracité de son énoncé.
      2. En l’absence de démonstration, l’énoncé est insultant.
      3. La fausseté de l’énoncé découle de sa généralité : il suffirait que l’on trouve un jeune d’origine maghrébine non antisémite pour démontrer que le propos est faux.
      4. Je suis juif par mon père. Lorsque mes élèves, curieux, me disent : « Mais, monsieur, Nowenstein, c’est pas espagnol », je leur réponds que je suis né en Argentine, mais que mon grand-père était juif Polonais et ma grand-mère juive Ukrainienne. Jamais je n’ai essuyé un commentaire antisémite.
      5. Il y a quelques semaines, mon collègue Abdou me parlait de ses copains juifs avec lesquels il jouait, enfant, à Tunis.
      6. Les exemples de ce type, que l’on peut s’opposer sans fin, ne prouvent qu’une chose : la nécessaire fausseté des énoncés englobants qui rangent une population constituée de millions d’individus en une catégorie unique : celle des antisémites, en l’occurrence.
      7. Les énoncés comme celui qu’a proféré Bensoussan posent aussi problème par leur imprécision, ce qui les rend difficilement vérifiables par les procédés statistiques que vous imaginez. Vous pouvez obtenir des résultats foncièrement différents selon la façon dont vous allez poser la question. Si vous demandez en classe à mes élèves : « Es-tu raciste? », vous allez sans doute obtenir un pourcentage extrêmement faible de réponses affirmatives. Si vous demandez à l’ensemble des Français la même chose, je parie que peu parmi eux s’avoueront racistes. Pourtant, lorsque vous demandez un stage, si vous êtes maghrébin, vous avez 40% de moins de chances, toutes choses égales par ailleurs, de le décrocher. De quoi parle-t-on, au juste ?
      8. Si l’énoncé de Bensoussan revient à dire qu’il y a de l’antisémitisme parmi les jeunes issus de l’immigration, je pense qu’il est juste.
      9. Personnellement, cette intuition ne me conduit pas à insulter toute une population, mais à réfléchir sur comment il faut faire pour sauver ceux de mes élèves dont ces idées se seraient emparées.
      10. Je considère que la séquence que je décris dans mon texte contribue à lutter contre l’antisémitisme, comme le fait aussi le fait de ne pas occulter mes origines à mes élèves quand ceux-ci m’interrogent.
      11. Si vous avez du temps, vous pouvez lire dans ce blog l’échange que j’ai eu avec le professeur Dilhac, du centre d’éthique de Montréal sur la question de l’antisémitisme. Vous pouvez aussi lire le courrier que j’ai écrit à monsieur Saurel, ancien député. J’ai aussi écrit de nombreuses lettres et travaillé en cours sur les étranges flagorneries dont le négationniste Garaudy a bénéficié dans la ville espagnole de Cordoue. Publier ces textes est une façon pour moi plus utile de réagir que d’insulter des gens qui n’ont rien fait.
      12. Certaines proférations ont pour but de blesser et non de poser un fait ou de le décrire. Elles servent à mobiliser les siens en stigmatisant l’Autre. Elles n’ont de factuel que la forme. À mon estime, la déclaration de Bensoussan relève de cette catégorie.

  2. « 1. Si je vous traite d’antisémite, que vous me dites que vous ne l’êtes pas et que je vous rétorque qu’il vous appartient de le prouver, vous allez trouver le procédé étrange : il appartient à Bensoussan de démontrer la véracité de son énoncé. »
    si je vous dis que Hitler était antisémite, que vous me rétorquez que c’est faux, et que je vous réponds que j’ai besoin de preuves pour admettre qu’il ne l’était pas, trouverez-vous le procédé étrange? à partir d’un certain nombre d’observations, une conviction se forme et c’est à celui qui nie ces observations que la charge de la preuve incombe. l’antisémitisme de certains milieux a déjà été abondamment prouvé pour que l’on n’ait pas à répéter la preuve une 1000e fois.
     » Il y a quelques semaines, mon collègue Abdou me parlait de ses copains juifs avec lesquels il jouait, enfant, à Tunis. »
    copains juifs de Tunisie qui n’y sont probablement plus. comme les Juifs marocains d’ailleurs, bizarrement.
     » La fausseté de l’énoncé découle de sa généralité : il suffirait que l’on trouve un jeune d’origine maghrébine non antisémite pour démontrer que le propos est faux. »
    parfois, lire de façon littérale un exposé est la meilleure façon de le trahir. je ne pense pas bien évidemment, que Bensoussan pense que 100% des musulmans sont antisémites.
    d’ailleurs il y a eu des nazis qui ont protégé certains juifs (un haut dignitaire nazi, je ne sais plus lequel, a protégé son médecin juif qui lui avait sauvé la vie, la belle-fille juive de Richard Strauss n’a pas été déportée…) ça infirme la thèse selon laquelle les nazis étaient antisémites?
     » En l’absence de démonstration, l’énoncé est insultant. »
    bouhou. les pauvres chous.

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