Refus de transmission de documents de la Banque de France. Une réponse insatisfaisante dont je saisirai la CADA.

Cet article a été modifié le 11 décembre afin de présenter la version définitive des observations que je fais valoir dans ma saisine de la CADA.

Je saisis la CADA du refus que la PRADA (Personne responsable de l’accès aux documents administratifs) de la Banque de France oppose à ma demande de transmission de documents.

Observations.

J’estime que ce refus repose sur une extension abusive de la notion de document préparatoire et sur un usage très contestable de la loi sur le secret des affaires. La position de la Banque de France (BDF, dans ce qui suit) revient à vider les dispositions sur la transparence de leur contenu : tout ce qui n’est pas publié serait document provisoire ; toute incidence, aussi indirecte soit-elle, sur l’activité d’un secteur économique justifierait que l’administration s’abrite derrière la notion du secret des affaires. Il se pourrait aussi que la BDF entende défendre la position difficilement tenable qu’elle est soumise à la concurrence. En outre, PRADA affirme que la communication de certains des documents que je demande serait de nature à porter atteinte à la monnaie et au crédit public, alors même que les questions sur lesquelles ils portent ont fait l’objet d’un article circonstancié et d’une question écrite de l’eurodéputée Aubry à la BCE

Dans ce qui suit, je reprends en italiques l’essentiel de la réponse de la PRADA de la BDF et formule des observations, que je numérote : observation 1, 2, 3, etc. 

La PRADA écrit :  

  • En ce qui concerne les éventuels documents faisant allusion à la lettre adressée par le Président de la Banque centrale des Pays-Bas à la ministre des Finances néerlandaise :  

Dans la mesure où ce document a d’ores et déjà été rendu public, le droit à communication ne s’exerce plus (article L.311-2 du CRPA alinéa 4). La Banque de France ne dispose d’aucun autre document en relation avec cette lettre.  

Observation 1 : 

J’estime peu probable que la Banque de France ne se soit pas intéressée aux communiqués mentionnés. 

La PRADA écrit : 

  • En ce qui concerne les documents faisant allusion au communiqué de presse de la Banque nationale de Belgique :  

Dans la mesure où ce document a d’ores et déjà été rendu public, le droit à communication ne s’exerce plus (article L.311-2 du CRPA alinéa 4 précité). La Banque de France ne dispose d’aucun autre document faisant allusion à ce communiqué de presse.  

Observation 2

Voir Observation 1. 

La PRADA écrit : 

  • En ce qui concerne les estimations des résultats à venir de la Banque de France :  

En vertu des dispositions de l’article L.311-2 du code des relations entre le public et l’administration, le droit à communication ne s’applique qu’à des documents achevés. Il ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu’elle est en cours d’élaboration. De ce point de vue, un état provisoire d’un document en cours d’élaboration n’est pas un document achevé, les éléments demandés ne peuvent donc en aucun cas être communiquées.  

Observation 3 : 

La PRADA adopte une définition abusive de la notion de document achevé. Une estimation est un acte scientifique indépendant d’une décision administrative ; il peut la nourrir mais n’en est pas le brouillon, une version intermédiaire ou des notes prises en vue de la rédaction d’un rapport (tels sont les exemples que la CADA donne de documents qui ne sont pas communicables de par leur caractère non achevé). Une estimation, dès lors qu’elle est établie, doit être regardée comme un document achevé. Faire de tout document non publié le document préparatoire d’une décision administrative indéfinie ou non indiquée serait également abusif et reviendrait à priver les dispositions du code des relations entre le public et l’administration d’une grande partie de sa substance. Par conséquent, les estimations sur les résultats à venir que la Banque de France a établies ne sauraient être regardés ni comme de des documents inachevés ni comme des documents préparatoires. 

La PRADA écrit : 

  • Tout document par lequel la Banque de France informe ou communique sur les prévisions de ses résultats à venir. Dans l’hypothèse où ces documents seraient publics, tout hyperlien permettant d’y accéder :  

Tel qu’exposé ci-dessus, un document qui a d’ores et déjà été rendu public fait disparaître tout droit à communication (article L.311-2 du CRPA alinéa 4). S’agissant des prévisions sur les résultats à venir, il s’agit, tel qu’indiqué précédemment de document inachevés qui excluent tout droit à communication (article L.311-2 du CRPA précité) ;  

Observation 4. 

Ma demande ne porte pas uniquement sur des informations ou communications réalisées publiquement, elle comprend des échanges que la BDF aurait pu avoir avec des tiers, lesquels font partie en principe des documents que l’administration est tenue de communiquer. 

La PRADA écrit : 

  • Tout document portant sur la décision de communiquer, comme l’ont fait les banques centrales de Belgique ou les Pays-Bas, ou de ne pas le faire, sur les résultats à venir de la Banque de France :  

S’agissant des prévisions sur les résultats à venir, il s’agit, tel qu’indiqué précédemment, de documents inachevés qui excluent tout droit à communication (article L.311-2 du CRPA précité).  

Observation 5 : 

J’ai du mal à croire que la BDF n’ait pas envisagé de communiquer sur le sujet évoqué. La décision de ne pas le faire est une décision qui a été prise. Dès lors tout acte préparatoire de cette décision est désormais communicable. 

La PRADA écrit : 

  • Tout document portant sur l’opportunité ou non de modifier la rémunération des réserves déposées par les banques commerciales auprès de la Banque de France  

Les documents administratifs dont la consultation ou la communication porterait atteinte à la monnaie ou au crédit public ne sont pas communicables (L311-5 2° e du CRPA).  

Ce document ne peut donc vous être communiqué. 

Observation 6 : 

Je comprends que le contenu des documents demandés serait de nature à ébranler la monnaie et le crédit public. Il appartiendra à la CADA de se prononcer sur le caractère proportionné ou pas de cette affirmation et du refus de la BDF qui en découle. Je rappelle l’interprétation restrictive que fait la CADA de l’exception invoquée par la PRADA : 

  • « la monnaie et le crédit public : Cette exception permet d’éviter que ne soient communiqués des documents susceptibles de favoriser la spéculation ou de compliquer l’action des pouvoirs publics. Elle ne doit pas s’interpréter comme excluant du champ de la communication tous les documents émanant des autorités monétaires comme la Banque de France ou le Trésor. Sa portée est strictement limitée aux seuls cas dans lesquels la divulgation du document favoriserait des mouvements spéculatifs ou affaiblirait la politique monétaire de la France. » 

La PRADA écrit : 

  • Tout document portant sur l’opportunité ou la licéité d’accroître la taxation des profits des banques commerciales, qu’il ait été adressé à la Banque centrale européenne ou non.  

En vertu des dispositions de l’article L.311-6 du CRPA, ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs dont la communication porterait atteinte au secret « des affaires » (loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016, article 6-1, lequel comprend « des informations économiques et financières » (…) ». Ce document ne peut vous être communiqué.  

Observation 7 :  

L’article mis en avant par la PRADA est libellé comme suit :  

  • Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs :  1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l’administration mentionnée au premier alinéa de l’article L. 300-2 est soumise à la concurrence ;  

Dans son rapport 2021 (pages 23 et 24), la CADA, par la plume de sa rapporteure générale adjointe DEROC, affirme la continuité qui existe à ses yeux entre la notion de “secret en matière industrielle et commerciale” et celle de “secret des affaires” : 

  • Les avis rendus au cours de l’année 2021 ont permis de confirmer que le changement de terminologie opéré en 2016 par le législateur n’a pas conduit la Commission à procéder à des inflexions dans son approche de ce secret. La loi n° 2018‑670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires a substitué aux termes « secret en matière industrielle et commerciale » ceux de « secret des affaires », ce dont la Commission a déduit qu’il devait être apprécié eu égard à la définition donnée à l’article L. 151‑1 du code de commerce (…). 

L’interprétation que la Cada fait de cette exception (https://www.cada.fr/administration/les-documents-couverts-par-le-secret-en-matiere-commerciale-et-industrielle) ne justifie pas, à l’évidence, le refus de la PRADA. 

Considérer que la BDF est soumise à la concurrence serait une affirmation pour le moins douteuse que la PRADA, au demeurant, ne cherche pas à justifier. Il se pourrait, cependant, que la BDF entende protéger les banques commerciales qui ont des dépôts auprès d’elle, mais on ne voit pas alors comment le refus qui m’est opposé pourrait être proportionné, les documents demandés étant d’ordre général et portant sur une question qui fait l’objet d’interrogations publiquement reconnues au sein de l’Eurosystème, comme le montre l’article que je cite dans mon courrier. Je rappelle, au demeurant, que la BDF est en charge de la politique monétaire et non de la politique économique. Elle ne semble donc pas pouvoir se prévaloir de la loi sur le secret des affaires pour protéger tel ou tel acteur économique des effets très indirects sur son activité que pourrait avoir la communication des documents demandés.