Les dérives du off en politique, lettre à Charles Girard. Retour sur l’information.

À Lille, le 18 février 2023

Cher Monsieur, 

Enseignant dans le secondaire et dans le supérieur, je travaille sur un projet qui m’a conduit à lire deux de vos articles : Pourquoi confronter les raisons ? Sur les justifications de la délibération démocratique et La démocratie par la délibération. Je vous écris car je cherche à organiser une délibération argumentée sur la question du off en politique au bénéfice de mes élèves et étudiants. Pour ce faire, je prends appui sur l’article du Monde du 22 décembre, Le off en politique, chronique d’une dérive et sur une polémique qui l’illustre, celle du déjeuner auquel le président Macron a invité une dizaine de journalistes tout en leur imposant des conditions particulières de confidentialité. 

L’accroissement de l’égalité entre les auditeurs que vous attribuez à la délibération démocratique m’a intéressé, bien entendu. Bien que dans un sens différent de celui que le terme revêt dans votre article, mes élèves et étudiants sont essentiellement cela, des auditeurs, même s’ils peuvent, dans l’enceinte scolaire, devenir orateurs

Je souhaite, dans un premier temps, constituer un ensemble de textes dans lesquels journalistes, enseignants-chercheurs, syndicalistes et autres personnes concernées par le dossier s’expriment. J’ai ainsi écrit à la plupart des journalistes invités aux déjeuner du président, aux principaux syndicats de journalistes, à la société des rédacteurs du Monde, et à des chercheurs comme vous. Ce corpus cherche à mettre mes élèves et étudiants en capacité de prendre connaissance des positions des uns et des autres avant, dans un deuxième temps, d’organiser un échange entre les personnes que se seront exprimées et les étudiants et élèves. Je considère que l’échange à venir n’aura de sens que si l’on s’est donné le temps de le préparer, ce qui requiert que l’on prenne connaissance des vues de celles et ceux que nous recevrons avec assez de temps pour les comprendre et les analyser.

Je diffuse aussi une liste de questions que l’on peut regarder comme un point de départ aux discussions. Celles et ceux qui accepteront de participer aux débats peuvent s’en inspirer, mais s’en écarter aussi. J’ai également préparé une proposition de protocole destiné à organiser les échanges. Ce protocole est, pour l’instant, un “proto-protocole”, que je ne suis pas en mesure d’imposer. Je serai, donc, heureux de disposer de contributions quand bien même celles-ci ne le respecteraient pas. Pour le moment, le principal intérêt du protocole est d’attirer l’attention sur l’importance des procédures dans une délibération rationnelle. Elles sont importantes : les positions exprimées sur un plateau de télévision résistent-elles à leur présentation sur un feuillet qui les prive du décorum dont elles bénéficiaient lors de leur diffusion initiale ? 

Accepteriez-vous, monsieur Girard, de vous exprimer sur la question du off en politique et sur la polémique du déjeuner du président ? Accepteriez-vous un échange avec des élèves ou étudiants ? 

J’espère que vous ne me tiendrez pas rigueur de vous écrire publiquement. Je ne voudrais pas alourdir ce courrier avec des développements destinés à justifier le choix de l’avoir fait. Permettez-moi de dire simplement qu’en procédant de la sorte, je m’installe dans l’espace public de discussion que créent vos travaux ; permettez-moi d’ajouter que si nous, enseignants, avons mission d’apprendre à nos élèves à argumenter de façon rationnelle, le fait de réfléchir à comment on peut faire advenir une délibération rationnelle n’est pas moins important. Donner à voir des démarches entreprises pour installer une telle délibération n’est peut-être pas totalement dénoué d’intérêt.

Bien cordialement,

S. Nowenstein, professeur agrégé.