Physarum polycephalum, paris clandestins et poètes. Le Courrier de Timburbrou.

On peut insérer la lecture de cet article dans le cadre fourni par

http://sebastiannowenstein.blog.lemonde.fr/2018/01/31/ecriture-collaborative/
mais on n’est pas non plus obligé de le faire.

Le Courrier de TImburbrou, le 16 mars 2043.

Deux mondes qui se tournaient le dos allaient se rencontrer au tribunal.
D’un côté, celui, interlope, triste et brutal, d’un groupe de lycéens qui ont organisé des paris clandestins sur des combats de blobs. De l’autre, des élèves qui, dans le même établissement, frappés par l’étrange beauté plastique de ces organismes leur consacraient des poèmes. Deux mondes qui se sont ignorés ou qui se sont regardés en chien de faïence. Des origines sociales que tout oppose, aussi, des situations économiques et familiales aux antipodes.
Et pourtant, non. C’est cette image trop parfaite, trop conforme à nos attentes qui a volé en éclats au tribunal. La justice fait la leçon à la presse, cela arrive. Il nous faut reconnaître collectivement nos erreurs. Pour notre part, nous le faisons, sans tarder, ici, dans ces colonnes.
Nous aurions dû lire ces poèmes.
Nous aurions dû lire ces poèmes. Le recueil, mince, et sobre est encore sur notre bureau. Nous l’avions ouvert, nous l’avions parcouru. Nous l’avions refermé. Nous l’avons lu sans le lire. Nous savions ce que nous allions y trouver : du lyrisme adolescent. C’est ce que nous avons trouvé. Au tribunal, aujourd’hui, en entendant ces vers rocailleux résonner dans le prétoire, nous avons compris leur violence. Ils nous heurtaient, ils nous assommaient. Dits avec rage, scandés, slamés, répétés, mêlés de sons étranges qui n’étaient pas des sons humains, ils perduraient longtemps dans l’air, cognant de mur en mur. On priait pour qu’ils trouvent une issue, une porte, une fenêtre entre-ouverte pour atténuer la chaleur de la salle d’audience. On respira avec soulagement quand se fut enfin éteint leur martèlement chaotique et furieux.
Des joutes poétiques étaient organisées avant les combats. Les coachs, dans un état d’hallucination ou de transe, crachaient ces vers durs, les ahanaient, tout en tournant autour de leurs blobs. Le lyrisme des premiers vers, ceux qui, seuls, avaient retenu notre attention, n’était qu’une préparation. L’évocation d’une patrie, d’un sol nourricier, avaient pour but d’inciter le blob au combat. Il fallait vaincre l’adversaire qui menaçait sa terre, ou en conquérir d’autres pour soi et les siens.
Les poètes, tels que Diego n’étaient pas des êtres de lumière étrangers aux combats et aux paris sordides. Ils y participaient pleinement, Ils en étaient, peut-être, les maîtres d’œuvre…
Diego prenait un dérivé de l’ayahuasca pour mieux communiquer avec ses blobs, a-t-il fini par avouer, aujourd’hui. Il lisait, tout comme ses amis, le Courrier de Timburbrou, a-t-il poursuivi. Les blobs sont des hommes a-t-il conclu. Puis il s’est effondré, évanoui, et il a dû être évacué..
La présidente a suspendu la séance. Les débats devraient reprendre demain.
Quelques informations glanées à droite et à gauche, en attendant que le service documentation de notre journal, déjà bien occupé avec cette affaire, ait le temps d’effectuer les recherches qui s’imposent.
L’ayahuasca est une liane d’Amérique du Sud aux pouvoirs hallucinogènes et employée dans des rituels chamaniques.
Le Courrier de Timburbrou est un journal publié dans l’avenir, à des dates variables, mais toujours au mois de mars et diffusé en des époques et des univers différents. Des contextualisations sont souvent fournies qui permettent au lecteur qui ignore des événements futurs de bien comprendre les articles. Le Courrier de Timburbrou est rédigé par une équipe mixte d’êtres humains et d’algorithmes incarnés. Les algorithmes incarnés sont des prolongements informatiques de la pensée d’un être humain après son décès. Les êtres humains sont des primates du genre homo.
Diego n’est apparemment pas une exception : selon un enquêteur que nous avons pu consulter, nombre de ses amis sont convaincus que les blobs sont des hommes miniaturisés. Ils citent l’ouvrage Plan de evasión, de Bioy Casares, comme le premier à avoir dévoilé des expériences qui, commencées au XXème siècle, se seraient poursuivies jusqu’à aujourd’hui.