“Des doutes se font jour en Belgique sur votre santé mentale, monsieur le Préfet de Paris.”

« Des doutes se font jour en Belgique sur votre santé mentale, monsieur le Prétet de Paris. »

Le Courrier de Timburbrou, le mardi 17 mars 2029

Nous publions le courrier envoyé par un fonctionnaire zélé au Prétet de Paris pour l’alerter de ce qui se dit à son sujet à Bruxelles. Comme nos lecteurs le savent, notre site diffuse souvent des textes qui nous parviennent d’un monde parallèle au nôtre et dont les caractéristiques, pour paraître parfois très proches de celles de notre monde, n’en diffèrent pas moins par des aspects non négligeables. Dans ce monde parallèle, par exemple, on dit prétet au lieu de préfet. Pour la commodité de nos lecteurs, nous écrirons désormais « préfet »1.

Bruxelles et Paris s’écrivent comme dans notre monde, mais nous insistons sur la nécessité de ne pas les confondre avec les villes que connaît notre lecteur.

D’autres articles du Courrier de Timburbrou sont disponibles ici : Le Courrier de Timburbrou.

Courrier envoyé par la voie hiérarchique

s/c du chef d’établissement

Bruxelles, le 8 mars 2029

Monsieur le Préfet de Paris,

Fonctionnaire en France et habitant Bruxelles, j’ai l’honneur de vous écrire pour vous aviser que des doutes se manifestent outre-Quiévrain au sujet de votre santé mentale2. Je me suis inscrit en faux contre les propos insidieux qui vous visaient, mais ne suis pas certain d’avoir triomphé de mes interlocuteurs.

Non, le Prétet de Paris n’est pas fou !

Les doutes qu’ils nourrissent se fondent sur le placement encentre de rétention administrative (CRA) de deux ressortissants belges, Michel (prénom modifié choisi par Le Monde) et Jessica. C’est le cas de Jessica qui interpelle le plus, voire suscite la stupeur.

Alors que cette mère de deux enfants de 4 et 11 ans s’apprêtait à rentrer en Belgique, vous l’avez fait arrêter pour la placer en centre de rétention. Vous avez réclamé, explique Le Monde, que sa détentionpuisse s’étendre jusqu’à vingt-huit jours, arguant qu’il s’agissait du temps nécessaire pour permettre une reconduction à la frontière par avion.

Il paraît ubuesque à vos contempteurs qu’au pays de Descartes on empêche quelqu’un de quitter le territoire pour s’assurer qu’il quitte le territoire. L’idée d’expulser un Belge par avion depuis Paris laisse incrédule.

Arrêtée lors d’une manifestation de gilets jaunes, en compagnie de Michel, maintenant libre, les deux manifestants ont été relaxés sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux, dit Le Monde. C’est après l’avoir été qu’ils furent arrêtés derechef, puis, qu’une procédure d’expulsion fut initiée contre eux au motif qu’ils auraient constitué une menace pour l’ordre public.

Ainsi que je le disais plus haut, j’ai combattu les affirmations qui vous accablaient. J’ai rappelé que vous aviez été nommé à Paris pour y faire ce que vous aviez fait à Bordeaux pour réprimer les gilets jaunes : utiliser le droit en l’interprétant de façon novatrice pour que l’action de L’État gagne en efficacité. J’ai voulu prendre du recul -de la hauteur ?- et ai suggéré la possibilité que la procédure qui frappait les deux Belges avait des fins d’intimidation allant au-delà de leurs cas personnels. Il s’agit peut-être d’afficher votre dédain ou celui de l’État à l’égard des garanties que notre ordre juridique donne au citoyen telles qu’interprétées communément par les organisations de défense des droits humains. J’ai émis l’hypothèse que vos actes, qui semblaient absurdes prima facie, pouvaient être interprétés comme reflétant une volonté de changement de paradigme. Désormais, l’action répressive de l’État se nourrirait de façon discrétionnaire dans l’arsenal coercitif du droit administratif pour, au besoin, frapper ceux que la justice innocente. Il est, du reste, un fait connu de la psychologie scientifique (j’ai cité, Pinker, notamment, et son ouvrage The better angels of our nature) que l’apparence de folie effraie davantage qu’un comportement prévisible. L’idée en principe absurde d’arrêter un Belge coupable de rien pendant 28 jours pour organiser son rapatriement par avion, de par son étrangeté même, a un effet hébétant ou paralysant que n’aurait pas eu une procédure moins exorbitante des habitudes qui ont prévalu jusqu’à maintenant en France.

Ben alors, fit un Belge, l’œil rieur, si le Préfet n’est pas fou, c’est la France ou son État qui le sont devenus…

Je n’ai pas estimé nécessaire de relever ce qui me paraissait une boutade et la conversation divergea.

Sur le coup, je crus avoir eu gain de cause. Maintenant j’en doute : pour mes amis, vous défendre, c’était accabler la France.

Comment dois-je répondre à cet énoncé qui a pour lui la -trompeuse- apparence de l’évidence ?

Aureliano Nierenstein,

professeur agrégé

1Autres conversions : Le Mondo (qui sort le matin) devient Le Monde et les CTA deviennent les CRA dans notre adaptation.

2Il ne faut pas généraliser à toute la population belge les propos que je mentionne ici, bien entendu. L’échantillon sur lequel se fonde cette note est fort faible et les personnes dont j’ai recueilli -et combattu- les avis exercent des fonctions essentiellement intellectuelles et juridiques. Le risque -l’espoir ?- d’un biais ne doit pas être écarté.