Lettre de Þórgeir Vínur Estebansson. Sarkozy et Borges vus d'Islande.

Le concours d’écriture Tema del traidor y del héroe1 que j’organise, m’a valu ce courrier peu amène de Þórgeir Vínur Estebansson, que je publie sans délai. C’est dire que je ne cède pas aux pressions et que j’estime le ton urbain et civil de ma lettre à l’ancien président Sarkozy tout à fait approprié.

Esteban Nierenstein.

Lettre de Þórgeir Vínur Estebansson traduite sans dénaturation de l’islandais.
Cher Esteban,
Je ne peux pas ne pas t’exprimer la surprise et, pour tout dire, la désapprobation que j’ai éprouvées en lisant ta lettre à Sarkozy. Tu t’y montres mou, mon ami. Où est passée ta pugnacité coutumière ?
J’avais cru comprendre que les intimidations dont tu avais fait l’objet n’avaient pas de prise sur toi. Je te revois encore, fanfaronner après le rendez-vous au Rectorat avec cette fausse modestie qui te caractérise et qui, je dois te le dire, nous amuse beaucoup, tellement elle est gauche, tellement elle est fausse…
Et voilà que tu te fends d’un petit mot presque tendre, déférent, en tout cas, et empli de délicatesse à l’égard de l’ami de Kadhafi.
Nous, à Reykjavík, on a imaginé un certain nombre de variantes pour ta lettre. Puisque tu n’as pas encore envoyé ta missive à l’ancien président, nous te prions de considérer avec la plus grande attention la proposition ci-dessous. Franchement, personne ne va prendre au sérieux ton concours si tu gardes ce ton mielleux. Enfin, ton ton, tu le gardes si tu veux, mais il faut que ta lettre titille un peu plus Sarkozy, la-dessus, le consensus est total entre nous.
On ne change pas le début de la lettre. On te propose de remplacer la parti où tu l’interroges par ceci :

Dans le récit de Borges, Kilpatrick, confie à son plus proche collaborateur, Nolan, le soin de trouver le traître. Nolan découvre que le traître est Kilpatrick. Imaginons, monsieur le président, que vous ayez fait semblant d’ignorer vos turpitudes2 et que vous ayez désigné, contraint par la pression de vos propres amis, qui veulent vous croire victime d’un complot, un jeune collaborateur pour qu’il enquête sur la question. Ce dernier, à l’instar de Nolan, découvre que vous êtes coupable. Il sait cependant que dévoiler la vérité ferait du tort à votre cause -à ce qu’il croyait être votre cause-, qui reste la sienne. La veille du jour où il doit rendre son rapport, il entre dans votre bureau, l’œil sombre, et pose son rapport sur l’immense table derrière laquelle vous paraissez encore plus petit que vous ne l’êtes. Que lui dites-vous ?

Qu’en dis-tu ? Non, ne dis rien, agis plutôt.
Et soyons clairs : si dans trois jours, tu ne modifies pas ta lettre, nous rendrons public ce courrier.
Kveðja,
Þórgeir.

1À ne pas confondre avec le concours La laïcité et les médailles de la Vierge, qu’organise Europa Laica.

2Monsieur le Président, nous vous laissons la liberté de choisir parmi les nombreuses affaires qui ont émaillé votre mandat et dont la presse s’est fait l’écho. Nous vous conseillons, en particulier, de consulter le journal mediapart.fr. Une autre possibilité, ce serait d’invoquer une quelconque affaire ou casserole inédite. Il y aurait à cela un double avantage : l’opinion publique en serait informée et votre conscience s’en trouverait allégée.