R. Schuman, qui, ministre, contribua à la répression de la rébellion algérienne, peut-il donner son nom à des établissements scolaires ? Lettre au ministre par la voie hiérarchique.

A Lille, le 23 janvier 2021.

Monsieur le Ministre,

s/c du chef d’établissement

Le 26 juillet 2021 j’interrogeais monsieur le référent Valeurs de la République sur la compatibilité avec les valeurs de la République du fait que nombre d’établissements scolaires portent le nom de Robert Schuman, alors que ce dernier a participé, en tant que garde des sceaux, à la mise en place de la répression de la rébellion algérienne. Cette répression s’est fondée, comme on le sait, sur l’assassinat, la torture et la disparition de personnes à une grande échelle.

Mon courrier est resté sans réponse, ce qui me conduit à m’adresser à vous.

Auriez-vous l’amabilité d’y répondre ou d’instruire vos services pour qu’ils le fassent ?

Je vous prie d’agréer, monsieur le Ministre, l’expression de mes salutations les meilleures.

Sebastian Nowenstein, professeur agrégé.

A Lille, le 26 juillet 2021.

Monsieur le référent Valeurs de la République,

Copie : Monsieur le Proviseur.

  1. La circulaire du 28 janvier 1988 portant sur la dénomination des établissements d’enseignement public énonce :

Ainsi, les dénominations d’établissements scolaires devraient constituer pour les jeunes générations présentes et futures autant d’exemples particulièrement choisis, et donc avoir une valeur éducative.

  1. Un certain nombre d’établissements scolaires portent le nom de Robert Schuman.
  2. Ministre de la justice, Robert Schuman cosigna le 3 août 19551 une circulaire interministérielle destinée à refuser l’accès à la justice aux victimes de la répression par laquelle l’armée française combattait la rébellion algérienne.
  3. Cette répression recourait à la torture, à l’assassinat et à la disparition de personnes2.
  4. Les crimes liés à la guerre d’Algérie ont fait l’objet d’une loi d’amnistie, qui dispose leur oubli judiciaire.
  5. Cependant, la loi n’efface pas les faits commis, qui demeurent3.
  6. La participation de Robert Schuman à la répression de la rébellion algérienne est un fait historique que la circulaire précitée démontre.
  7. Que le nom de Robert Schuman soit celui d’un établissement scolaire peut dès lors être regardé comme une banalisation de la torture de l’assassinat ou de la disparition de personnes à des fins politiques.
  8. Côtoyant la devise républicaine sur les frontons de nombre d’établissements scolaires, le nom de Robert Schuman peut être perçu légitimement comme la négation des valeurs que cette devise proclame, en particulier celle de la fraternité.
  9. N’y a-t-il pas, monsieur le référent, contradiction entre les principes et valeurs de la République et les missions de l’École, d’un côté, et le fait d’honorer Robert Schuman en donnant son nom à un établissement scolaire, de l’autre ?
  10. A titre subsidiaire (I) : il peut paraître incohérent que l’on sanctionne le fait de ne pas prendre part à une minute de silence4 alors qu’on honore Robert Schuman.
  11. A titre subsidiaire (II) : il peut paraître incohérent que l’on poursuive des enfants de dix ans pour des propos mal maîtrisés5, alors que la République honore Robert Schuman de façon durable et répétée.
  12. A titre subsidiaire (III) : il peut paraître incohérent que la République honore Robert Schuman, alors que l’apologie du terrorisme6 s’étend à la glorification des auteurs des actes terroristes et que l’ancien ministre prit part à une entreprise de terreur qui a visé la population algérienne par les méthodes citées plus haut (4).
  13. Je publie cette interrogation à l’adresse https://sebastiannowenstein.org/2021/07/26/r-schuman-la-torture-et-lalgerie-courrier-au-referent-valeurs-de-la-republique/

Dans l’attente de votre réponse, je vous prie d’agréer, monsieur le référent, à l’expression de mes salutations les meilleures.

Sebastián Nowenstein, professeur agrégé,

Lycée R

1Circulaire découverte par Claire Mauss-Copeaux, voir Des historiens soulignent l’emploi « systématique » de la torture par l’armée française en Algérie, Le Monde du 2 décembre 2000. Voir aussi Sylvie Thénault. Une drôle de justice; Les magistrats dans la guerre d’Algérie, qui donne les références du document : circulaire interministérielle du 3 août 1955, AN, BB18 4227*, note 20, La pérennisation du système.

2Voir, par exemple, Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie.

3Voir, notamment Comment Le Monde a relancé le débat sur la torture en Algérie.

4Ces sanctions ont-elles une base juridique ? J’ai interrogé sur le sujet madame la Rectrice sans obtenir de réponse de sa part. Voir Peut-on imposer une minute de silence ? Lettre à la Rectrice.

5Voir, par exemple «Apologie du terrorisme»: des élèves accusés, un fiasco à l’arrivée.

6Voir Apologie du terrorisme – Provocation au terrorisme | service-public.fr