Affaire Sandoval. Lettre au ministre Blanquer (I) par la voie hiérarchique.

s/c du chef d’établissement

Monsieur le Ministre,

Enseignant dans le secondaire, j’enquête1 sur l’affaire Sandoval, du nom de cet ancien policier qui vient d’être extradé par la France vers l’Argentine et que ce pays poursuit pour crimes contre l’humanité.

Sur demande du professeur Quenan, vous avez engagé monsieur Sandoval en tant qu’enseignant à l’Institut des Hautes d’Amérique Latine (IHEAL), dont vous étiez le directeur. Monsieur Sandoval y a exercé ses fonctions pendant toute la durée de votre mandat, entre 1999 et 2005, avant d’être remercié par madame Zagefka, qui, vous ayant succédé à la tête de l’IHEAL, ne renouvela pas le contrat de l’enseignant. Madame Zagefka décida aussi de retirer le financement de l’IHEAL à un colloque organisé par monsieur Sandoval en raison du caractère non-scientifique de l’évènement : monsieur Sandoval avait invité uniquement des militaires2.

Selon Le Monde diplomatique3, en parallèle de son enseignement à l’IHEAL, monsieur Sandoval officiait en tant que conseiller politique d’une organisation terroriste colombienne d’extrême droite, les Autodéfenses unies de Colombie (AUC), responsables d’innombrables massacres de civils et auxquelles l’ONU impute 80% des victimes du conflit qui a ravagé la Colombie4.

Auriez-vous l’amabilité, monsieur le ministre, de répondre aux questions ci-après ?

Concernant les procédures d’embauche de l’IHEAL.

Quelles étaient les procédures d’embauche d’enseignants externes de l’IHEAL pendant que vous dirigiez cette institution ?

L’embauche de monsieur Sandoval a-t-elle été conforme à ces procédures ?

Monsieur Sandoval a-t-il occulté avoir eu des liens avec la police et l’armée argentines du temps du régime militaire (1976-1983) ?

L’embauche de monsieur Sandoval a-t-elle été une faute ? A-t-elle été une erreur ?

Concernant l’enseignement de monsieur Sandoval.

Monsieur Sandoval donnait-il satisfaction, à votre estime, en tant qu’enseignant ?

Monsieur Sandoval travaillait-il de façon indépendante ou le faisait-il sous la supervision d’un membre de l’IHEAL ?

A votre connaissance, monsieur Sandoval a-t-il exprimé des sympathies ou de la tolérance à l’égard des AUC ou du régime militaire argentin pendant ses cours ?

Concernant le colloque dont le financement a été supprimé par votre successeur, madame Zagefka.

Qui a initialement autorisé le financement supprimé par madame Zagefka ?

Aviez-vous connaissance du contenu de ce colloque et des personnes que monsieur Sandoval entendait inviter ?

Concernant la décision de ne pas reconduire monsieur Sandoval dans ses fonctions.

Avez-vous eu connaissance du fait que monsieur Sandoval n’était pas reconduit dans ses fonctions par votre successeur ?

Avez-vous été consulté par votre successeur sur la qualité du travail de monsieur Sandoval et/ou sur le colloque susmentionné ?

Si oui, avez-vous approuvé cette décision, l’avez-vous critiquée ?

Concernant la découverte de l’implication de monsieur Sandoval dans l’appareil répressif argentin et celle de ses activités de conseiller auprès de l’organisation terroriste AUC.

Quand avez-vous eu connaissance des accusations visant monsieur Sandoval en Argentine ?

Quand avez-vous eu connaissance de ses activités de conseiller de l’organisation terroriste AUC ?

Vous êtes, monsieur le ministre, un spécialiste reconnu de la Colombie. Avez-vous souvenir d’avoir eu des échanges au sujet de ce pays avec monsieur Sandoval ?

Concernant la situation après le départ de monsieur Sandoval de l’IHEAL.

Avez-vous eu des échanges avec monsieur Sandoval après son départ de l’IHEAL ?

Concernant la lettre ouverte des membres de l’IHEAL au sujet de monsieur Sandoval.

Cette lettre a-t-elle été proposée à votre signature ? Si non, l’approuvez-vous ?

Vous êtes-vous exprimé publiquement, en tant qu’ancien directeur de l’IHEAL, sur l’affaire Sandoval ? Si non, pourquoi ?

Que diriez-vous, aujourd’hui, à un ancien étudiant de l’IHEAL qui aurait reçu un enseignement dispensé par un homme poursuivi pour crimes contre l’humanité et qui, entre deux cours, semble-t-il, conseillait une organisation terroriste responsable de dizaines de milliers de morts ? Par quels mots restaurer sa confiance en l’institution qui, sous votre direction, l’a formé ?

Le silence, le vôtre, peut-il être un réconfort ?

Dans l’attente de votre réponse, je vous prie d’agréer, monsieur le ministre, l’expression de mes salutations respectueuses.

S. Nowenstein,

professeur agrégé.

1 Les actes de cette enquête sont publics, comme l’est, naturellement, cette lettre, publiée à l’adresse https://sebastiannowenstein.org/2019/12/19/affaire-sandoval-lettre-au-ministre-blanquer-par-la-voie-hierarchique/. Il en ira de même de votre réponse, si elle me parvient.

2 Source : Libération, Jean-Michel Blanquer a-t-il engagé Mario Sandoval, accusé de tortures en Argentine, à l’IHEAL en 1999 ?

3 Voir https://www.monde-diplomatique.fr/2007/05/MAZURE/14697. Voir aussi https://www.eltiempo.com/archivo/documento/MAM-2364267

4 Voir, par exemple, http://www.ipsnews.net/2008/08/colombia-international-criminal-court-scrutinises-paramilitary-crimes/