Abayas, je saisis le tribunal administratif pour obtenir communication des documents

Je saisis votre tribunal afin d’obtenir communication de documents en rapport avec la note aux recteurs du 16 septembre 2022 émise par la secrétaire générale LEVEQUE par délégation du ministre NDIAYE.

Dans cette requête, je présente (1) les échanges que j’ai eus avec l’administration avant de saisir la CADA, je rappelle (2) quels sont les documents demandés et le fondement légal de ma demande, je commente (3) l’avis de la CADA et je conclus (4).

Les documents demandés concernent la note aux recteurs du 16 septembre 2022, ci-après la Note. L’espace de temps couvert par cette demande va du premier septembre 2021 à la date de ma demande, à savoir le 6 décembre 2022.

1. Échanges avec l’administration

Le 8 novembre 2022, après avoir pris connaissance des déclarations de la secrétaire d’État BACKES selon lesquelles les abayas étaient des marqueurs religieux et, en tant que tels, interdites dans les écoles, j’ai demandé communication au ministère de l’Éducation Nationale (le ministère, ci-après) de tout document permettant d’étayer le propos de la secrétaire d’État. Par la même occasion, je demandais communication de la Note du 16 septembre 2022, dont il était fait mention dans un article du Monde, qui, par ailleurs, contenait des déclarations du ministre Ndiaye n’allant pas dans le même sens que celles de la secrétaire d’État. J’observais que ces déclarations contradictoires faisaient naître un sentiment de confusion et d’insécurité juridique.

Par courriel du 5 décembre 2022, la PRADA du ministère me transmettait la Note demandée, mais, analysant ma demande portant sur les documents susceptibles d’étayer la déclaration de la secrétaire d’État BACKES comme une demande d’information, n’y donnait pas suite.

Par message du 6 décembre 2022, je formulais une nouvelle demande fondée sur la note qui venait de m’être transmise. En l’absence de réponse de l’administration, j’ai saisi la CADA, dont l’avis est joint à cette requête. C’est sur cette dernière demande que porte la présente requête.

2. Documents demandés

Je souhaite avoir communication de :

1. Tous documents sur lesquels prend appui l’affirmation suivante de la Note :

Le port de tenues susceptibles de manifester ostensiblement une appartenance religieuse ou perçue comme telle a été signalé par certains médias et certaines académies. »

Cette demande concerne tant les signalements effectués par les académies que ceux effectués par les médias.

2. Tout signalement des phénomènes décrits dans le paragraphe suivant :

Ces élèves exercent parfois des pressions sur les autres élèves, pouvant aller jusqu’au prosélytisme, notamment lorsque ces ports de tenues sont observés en groupe. »

3. Tout document qui fonderait l’affirmation suivante :

Le fait qu’il s’agisse de tenues traditionnelles portées lors de fêtes religieuses constitue un élément d’appréciation de la manifestation ostensible de convictions religieuses. »

4. Tout signalement effectué dans l’application faits établissement concernant le port d’abayas prévus par l’énoncé suivant :

Ces faits seront systématiquement signalés dans l’application faits établissement. »

5. Tous documents préparatoires ayant conduit à la décision de diffuser la Note aux rectrices et recteurs.

Ces demandes sont effectuées en vertu des dispositions sur l’accès aux documents administratifs contenues dans le livre III du Code des relations entre le public et l’administration.

Il me semble utile d’indiquer de façon explicite que les demandes formulées ici concernent tous les supports des documents sollicités ou toutes les formes qu’ils pourraient revêtir, ce qui intègre, par exemple, les sms ou les messageries tant privés (whatsapp, telegram, signal ou autre) que publiques (tchap).  Il faut, en effet, noter que l’article L300-2 du Code des relations entre le public et l’administration dispose que la nature de document public ne dépend pas de la forme et du support des documents produits ou reçus :   

Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’Etat, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. » 

3. L’avis de la CADA

Je reprends ici la numérotation par laquelle l’avis de la CADA liste mes demandes, que je rappelle :

1) tous les documents par lesquels les signalements de port d’abayas mentionnés dans la note ont été effectués
;
2) tous les documents signalant des pressions pouvant aller jusqu’au prosélytisme exercées par des élèves portant des abayas ou autres habits pouvant être considérés comme religieux ;
3) tous les documents justifiant l’affirmation « Le fait qu’il s’agisse de tenues traditionnelles portées lors de fêtes religieuses constitue un élément d’appréciation de la manifestation ostensible de convictions religieuses. » ;
4) tout signalement effectué dans l’application faits établissement concernant le port d’abayas ;
5) tous documents préparatoires ayant conduit à la décision de diffuser la note aux rectrices et recteurs ;
6) le cas échéant, les retours réservés à celle-ci par lesdits rectrices et recteurs ou des organisations syndicales.

Je n’ai pas de réserve quant à la nécessité d’occulter toute donnée susceptible de porter atteinte à la vie privée des personnes mentionnées ou de présenter leur comportement sous un jour susceptible de leur porter préjudice.

Au sujet de l’avis de la CADA :

Je prends acte de l’absence de retour des recteurs et rectrices à l’envoi de la note.

Je considère que c’est à tort que la CADA qualifie de demande d’information la demande de communication de tout document susceptible d’étayer l’affirmation selon laquelle le fait qu’il s’agisse de tenues traditionnelles portées lors de fêtes religieuses constitue un élément d’appréciation de la manifestation ostensible de convictions religieuses. Je souhaite, à ce propos, faire valoir les remarques suivantes.

Ma demande ne doit pas être analysée comme une demande d’information, mais comme une manière, la seule dont je dispose, de désigner des documents susceptibles d’exister. L’imprécision de ma demande naît de celle de la Note, non de ma négligence.

La Note crée, pour les instances disciplinaires, la possibilité d’imputer à un habit une valeur religieuse sans indiquer le fondement légal ou empirique sur lequel se fonde son affirmation. Elle crée la possibilité de dériver d’un fait connu (des abayas sont portées à l’occasion de fêtes religieuses) un fait inconnu (telle élève, en portant l’abaya, manifeste ostensiblement une appartenance religieuse). Si les autres éléments d’appréciation suggérés par la Note (refus d’enlever la tenue, persistance de son port) concernent le comportement des élèves incriminés et trouvent une assise dans la jurisprudence administrative, tel n’est pas le cas de la phrase en question. Il se crée ainsi une apparence d’abus de pouvoir qui serait dissipée par la production par l’administration des éléments jurisprudentiels ou empiriques susceptibles de fonder son affirmation.

Si l’administration est dans l’impossibilité de justifier son affirmation le caractère arbitraire de cette dernière pourra être établi, la Note sera sans doute corrigée et, vraisemblablement, des injustices évitées. Qualifier de demande d’information, pour ne pas y donner suite, ma demande de transmission de documents est sans doute une façon pour l’administration de se protéger, mais cela porte atteinte à la crédibilité de cette dernière et à la sécurité juridique des administrés. On n’imagine pas, au demeurant, l’administration présumer du fait que les hommes catholiques revêtent souvent des costumes lors des mariages religieux que le fait pour un élève d’en porter un constitue une manifestation ostensible d’appartenance religieuse. On n’imagine pas à tout le moins qu’elle le fasse sans étayer sa présomption.

En ce qui concerne le point 5, il me semble que si la demande de communication des documents préparatoires de cette note est jugée trop imprécise, c’est la possibilité même de demander communication des documents préparatoires qui est remise en cause. Comment le citoyen pourrait-il caractériser de façon plus précise les documents préparatoires d’une décision dont il ne connaît que le résultat, la Note, en l’occurrence ?

4. Conclusion

Lorsqu’un élève est soupçonné de manifester de façon ostensible une appartenance religieuse par ses vêtements, le chef d’établissement conduit un dialogue avec lui et avec sa famille (CIRCULAIRE N°2004-084 Du 18-5-2004 JO du 22-5-2004). Si les réponses apportées sont, à l’estime du chef d’établissement, insatisfaisantes, ledit chef d’établissement peut traduire l’élève en conseil de discipline, qu’il présidera, et auquel il proposera une sanction.

Il semble clair que la Note est de nature à influencer la décision du proviseur et du conseil de discipline en ceci qu’elle crée un mécanisme présomptif avalisé par le ministère. Il est donc fondamental que le proviseur, le conseil de discipline et la communauté scolaire sachent si ce mécanisme est pourvu d’un fondement sérieux ou s’il ne l’est pas. Il est également important que l’élève éventuellement accusée le sache aussi.

Il faut remarquer aussi que la non publication des fondements de l’opération que la Note qualifie de possible est de nature à faire accroire que l’administration est habilitée à qualifier des comportements de façon générale et qu’elle usurpe à la fois le pouvoir dévolu aux instances disciplinaires, lesquelles appliquent la loi à des cas particuliers sans influences indues et celles qui appartiennent au législateur, qui, sagement, n’a pas créé la présomption que la Note déclare possible. Si l’administration omet de rendre publics les documents qui fondent les affirmations contenues dans la Note, il se crée l’apparence que tel est le cas.

On doit remarquer que la Note n’avait pas, avant qu’elle ne me soit transmise, de caractère public et que, par conséquent, son influence s’exerce de façon également non publique, étant donnée la diffusion extrêmement faible qu’elle a connue en dehors du ministère et même au sein de celui-ci. Ce caractère non-public, joint au refus de l’administration de rendre public tout document susceptible d’étayer ses affirmations, renforce l’apparence d’illégitimité de son influence.

Une clarification est nécessaire. Celle-ci peut-être acquise par la communication et la publication des documents demandés.

La CADA conclut son avis en écrivant :

La commission souligne enfin, à toutes fins utiles, que si le volume des documents demandés ne peut, par lui-même, justifier légalement un refus de communication, l’administration est en revanche fondée, dans ce cas, à aménager les modalités de communication afin que l’exercice du droit d’accès reste compatible avec le bon fonctionnement de ses services. »

Malheureusement, l’administration n’a, à ce jour, donné aucune suite à l’avis de la CADA. Je me vois donc contraint de saisir votre tribunal auquel je demande de bien vouloir faire cesser l’abus de pouvoir que constitue le refus de communication des documents demandés.