Des excès de Borges. Éditorial du Monde en défense d'Emmanuel Macron.

Des excès de Borges.
Éditorial du Monde du 20 mars 20201.
Jorge Luis Borges est un confrère respecté. Ses travaux sont d’ordinaire originaux et rigoureux. Lorsque Borges s’exprime, on l’écoute.
Dans un article qu’il fait paraître dans Página 13, un journal argentin populiste, l’auteur affirme que notre jeune président souffre d’irréalité. C’est une accusation infamante que rien n’étaye.
Que, de son vivant, Borges ait été le premier à nous alerter de ce danger mortel qui nous guette dans un article, Uqbar, Tlön orbis tertius, en tout point remarquable et visionnaire, ne saurait l’autoriser aujourd’hui à proférer des accusations sans fondement. Nous avons lu attentivement son travail. On n’y trouve que supputations, allusions et extrapolations.
Au-delà, de ce cas précis, notre journal ne peut qu’exprimer à nouveau ses inquiétudes et interrogations au sujet du recours toujours croissant aux Êtres Désincarnés (ED) pour commenter notre actualité. Les algorithmes qui permettent de prolonger le fonctionnement d’un cerveau indéfiniment sont certes utiles et nécessaires, mais faut-il pour autant sacraliser leur proférations et oracles ?
Borges a cessé de vivre charnellement il y a 50 ans. De son vivant, il écrivait dans La Nación, journal conservateur argentin. Aujourd’hui, c’est dans Página 13 qu’il choisit de publier. Octavio Paz, magnifique poète mexicain, a connu une évolution semblable.

Les Maîtres des algorithmes affirment avec assurance qu’il n’y a pas de biais et que telle aurait été l’évolution de ces écrivains s’ils avaient continué de vivre. Ils affirment aussi que les vérifications effectuées dans des mondes parallèles où ces écrivains sont toujours en vie corroborent systématiquement les résultats des algorithmes. Nous ne sommes pas entièrement convaincus. Nous craignons que, désincarnée, la pensée aille toujours plus loin dans la radicalité. L’algorithme ne peut exister sans nous, êtres incarnés (EI) et il ne craint rien tant que notre oubli. Cette angoisse existentielle conduit certains, nous le constatons dans les échanges réguliers que nous entretenons avec eux, à une intensification dommageable de leur pensée.
Tant que nous doutes persisteront, notre journal refusera d’ouvrir ses colonnes aux ED. Aujourd’hui, chez nous, seuls les travaux subalternes sont confiés à ce type de personnel.