Responsabilité pénale et civile des personnes morales. L’entreprise publique espagnole Canal peut-elle être considérée comme complice des crimes commis par les AUC en Colombie ?

Enseignant au lycée Gaston Berger de Lille (France), je travaille sur la responsabilité pénale et civile des personnes morales. Je m’efforce de mettre en place un projet qui permette à mes élèves et étudiants de confronter la manière dont différents droits nationaux traitent cette question.

La démarche est fondée sur l’étude de cas. Les étudiants doivent rendre compte de comment le droit de leur pays aurait (ou a) traité l’affaire qui leur est soumise. Ceci impliquera parfois de poser un lien de rattachement entre la personne morale et le pays. Dans le cas que je présente de façon succincte plus bas, l’exercice invite l’étudiant à se demander si l’entreprise publique espagnole El Canal de Isabel II doit ou non être poursuivie pour complicité de crimes contre l’humanité du fait des payements effectués par sa filiale Inassa aux paramilitaires colombiens. Les étudiants de nationalité autre qu’espagnole devront se poser deux questions : 1. La personne morale Canal peut-elle être poursuivie dans mon pays ? et 2. Si Canal avait été française (ou belge, ou allemande…) aurait-elle été poursuivie ?

Ce cas présente un intérêt supplémentaire, qui découle de la nature publique de l’entreprise : il faut se demander si la situation décrite fait ou non naître des responsabilités dans le chef des institutions et des décideurs politiques qui contrôlaient les activités de l’entreprise.

Si cette initiative suscite votre intérêt, n’hésitez pas à prendre contact avec moi : sebastian-Andre.nowenstein@ac-lille.fr

Bien cordialement,

S. Nowenstein, professeur agrégé, lycée Gaston Berger, Lille.

El Canal de Isabel II est-il responsable des actes de sa filiale colombienne Inassa? Quelques éléments d’information.

  1. Selon des révélations parues dans la presse, Metroagua et Triple A, entreprises contrôlées par la compagnie publique espagnole Canal de Isabel II, onte effectué des paiements aux paramilitaires des Autodéfenses Unies de Colombie (AUC).
  2. Les AUC se sont rendues coupables d’atrocités sans nom. Selon la Comisión de la verdad de Colombie, le nombre des victimes des AUC fut de 205.028. Des fours crématoires furent construits afin de faire disparaître les corps des victimes.
  3. La compagnie Chiquita Brands a été condamnée aux Etats-Unis à une amende de 25 millions de dollars pour avoir financé les AUC. Dans ce pays, le cimentier Lafarge a dû payer 788 millions de dollars pour avoir effectué des versements à l’État Islamique pendant la guerre civile syrienne. En France, Lafarge fait l’objet de poursuites pour le même motif.
  4. Le versement de Chiquita mentionné plus haut n’a pas mis fin aux poursuites : un procès doit avoir lieu en 2024.
  5. Selon la presse espagnole, les opérations de Canal de Isabel II en Amérique Latine ont financé illégalement le Partido Popular, au pouvoir dans la communauté de Madrid. Ces opérations font l’objet d’une instruction depuis 2017, c’est le cas Lezo.
  6. À la suite des révélations sur les agissements de Canal, les autorités colombiennes ont exproprié Triple A, compagnie contrôlée par Inassa, filiale de Canal.
  7. Canal de Isabel II a réagi récemment en saisissant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI).
  8. Il reste que la possibilité que la compagnie publique Canal de Isabel II se soit rendue complice de crimes contre l’humanité ne semble pas examinée par la justice espagnole.
  9. Au mois de juillet 2023, la multinationale espagnole de l’édition Planeta décidait, de manière inattendue, d’annuler la publication du livre La Costa Nostra, qui évoque les liens entre Inassa et les AUC. Notre travail sur cette affaire est disponible ici.

Références

La trama del Canal también financió a los paramilitares en Colombia, El Mundo, 26 juin 2017

 El Canal de Isabel II, socio en Colombia de un inversor que pudo financiar a paramilitares. El Mundo, 2 juin 2017

Colombia expropia una filial del Canal de Isabel II con una ley antinarco. El País, 21 janvier 2022.