L’État fait-il l’apologie du terrorisme ?

Je fais l’objet d’une enquête préliminaire pour apologie du terrorisme, ce dont je m’estime totalement innocent. Je mets en place une défense publique participative pour me préparer à l’éventualité que le procureur choisisse de me poursuivre. Cette démarche consiste à exposer les bases de ma défense et à solliciter des avis de celleux qui souhaiteraient m’aider à l’élaborer.

Dans cette note, je m’interroge sur les deux assertions suivantes :

  1. Discréditer l’incrimination d’apologie du terrorisme et la manière dont elle est jugée est un outil de défense légitime.
  2. Démontrer que la Justice ou l’État ont pratiqué l’apologie du terrorisme est un outil de défense légitime.

Démontrer, par exemple, que l’apologie du terrorisme est une infraction mal définie rendrait ma condamnation difficile. Démontrer qu’une condamnation pour des déclarations comparables à celles que j’ai effectuées est injuste est utile à ma défense. Démontrer qu’une décision de justice ou un acte de l’État constituent, d’un point de vue sémantique, des apologies du terrorisme (ou de crimes de guerre ou contre l’humanité) contribuerait aussi à ma défense. L’emploi de l’adjectif « sémantique » a pour but d’inclure dans la catégorie d’apologie du terrorisme des assertions qui ne seraient pas légalement punissables, mais qui, proférées dans des circonstances autres que celles qui ont présidé à leur énonciation, le seraient. Les choses seront plus claires si l’on fait appel à trois cas concrets : le massacre de Tiendanite, la Légion d’honneur du maréchal Sissi et la glorification de Robert Schuman, ce dernier exemple concernant non pas l’apologie du terrorisme, mais celle d’apologie de crimes contre l’Humanité. Pour la présente démonstration, cependant, l’apologie de crimes contre l’Humanité convient tout autant que l’apologie du terrorisme.

Acquittement des auteurs du massacre de Tiendanite.

La justice française a acquitté les auteurs du massacre de Tiendanite, pendant lequel dix indépendantistes kanaks sans armes furent tués par des colons. La justice présente donc comme légitime le meurtre de dix personnes dans un guet-apens. Pour obtenir ce résultat, la notion oxymorique de « légitime défense préventive » a été mobilisée. Les auteurs de la tuerie auraient craint que les dix-sept hommes sans armes auxquels ils ont tendu une embuscade et, pour certains d’entre eux, achevés, les attaquent. Un tronc de cocotier avait été mis en travers de la route pour bloquer les véhicules qui transportaient les indépendantistes. Ces derniers rentraient d’une réunion au cours de laquelle, dans un souci d’apaisement, ils avaient décidé de lever les barrages qu’ils avaient disposés.

Compte tenu de la manière dont le crime de terrorisme est aujourd’hui défini dans le Code pénal français, il est possible de regarder le massacre de Tiendanite comme un acte terroriste en ceci qu’il a pu viser à intimider la population kanak (voir note). Que la justice française ne l’ait pas qualifié comme tel est sans importance, car, ce qui importe ici est la réalité et non la manière dont la Justice caractérise la réalité. Dans ces conditions, le fait de déclarer publiquement que le massacre de Tiendanite a été un acte de légitime défense pourrait constituer une apologie du terrorisme.

Ceci revient à dire que, proférée par d’autres que par un tribunal, l’énoncé « organiser un guet-apens pour tuer des adversaires politiques non armés en invoquant des actes futurs que ces derniers auraient la volonté de poser est légitime » constitue une apologie du terrorisme. Il s’en déduit que l’acquittement des auteurs constitue une apologie du terrorisme au sens sémantique de l’expression. Ceci signifie, par exemple, que par sa décision d’acquittement, l’État français présente sous un jour favorable un acte susceptible d’être qualifié de terroriste, quand bien même ledit État français, parce qu’il est irresponsable pénalement, ne saurait être poursuivi pour ce fait et quand bien même, la révision de ce procès visant à annuler l’acquittement serait, dans l’ordre juridique français, impossible. Je signale, au demeurant, que l’impossibilité légale de revenir sur cet acquittement n’annule pas la responsabilité de l’État, qui est maître des règles de procédure pénale et de celles du code pénal et qui aurait pu, par une déclaration solennelle, jeter le discrédit sur un jugement que la raison présente comme une apologie du terrorisme et qui aurait pu également rendre légal le fait pour lui ou pour le citoyen de jeter le discrédit sur certaines décisions de justice.

On pourrait, à titre subsidiaire, défendre la thèse que l’acquittement des auteurs de la tuerie de Tiendanite est lié par un lien de causalité raisonnable à la mise en place de milices armées (voir Le Monde) qui, lors des troubles récents ayant eu lieu en Nouvelle-Calédonie, ont tué des Kanaks. De façon consciente ou non, les initiateurs de ces milices ont pu se dire que si le fait de tuer dix Kanaks par légitime défense préventive n’était pas punissable, alors, la création de milices susceptibles de conduire à des faits comparables ne devrait pas l’être non plus.

La Légion d’honneur du maréchal Sissi.

Il se déduit de rapports nombreux (ceux d’Amnesty International, par exemple) que le maréchal Sissi gouverne en suscitant la terreur dans de larges secteurs de la population égyptienne. En dépit de cela, le Grand Maître de la Légion d’honneur Emmanuel Macron a choisi de décerner la Légion d’honneur audit Sissi. Selon la jurisprudence en matière d’apologie du terrorisme, glorifier une personne revient à glorifier ses actes.

On peut penser que, tant que le Grand Maître et l’État qu’il sert choisissent de ne pas déchoir le maréchal Sissi de sa Légion d’honneur, la glorification des actes dudit maréchal perdure. J’ai interrogé sur cette problématique le président de la République :

J’ai soumis la même question au premier ministre Castex en l’élargissant au fait que la France glorifie des gens tels que Franco, Mussolini, Ceaucescu, Bokassa ou Franco.

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Le cas Robert Schuman.

Je reproduis ci-après un extrait du courrier que j’ai adressé au ministre Blanquer :

  1. La circulaire du 28 janvier 1988 portant sur la dénomination des établissements d’enseignement public énonce :

Ainsi, les dénominations d’établissements scolaires devraient constituer pour les jeunes générations présentes et futures autant d’exemples particulièrement choisis, et donc avoir une valeur éducative.

  1. Un certain nombre d’établissements scolaires portent le nom de Robert Schuman.
  2. Ministre de la justice, Robert Schuman cosigna le 3 août 19551 une circulaire interministérielle destinée à refuser l’accès à la justice aux victimes de la répression par laquelle l’armée française combattait la rébellion algérienne.
  3. Cette répression recourait à la torture, à l’assassinat et à la disparition de personnes2.
  4. Les crimes liés à la guerre d’Algérie ont fait l’objet d’une loi d’amnistie, qui dispose leur oubli judiciaire.
  5. Cependant, la loi n’efface pas les faits commis, qui demeurent3.
  6. La participation de Robert Schuman à la répression de la rébellion algérienne est un fait historique que la circulaire précitée démontre.
  7. Que le nom de Robert Schuman soit celui d’un établissement scolaire peut dès lors être regardé comme une banalisation de la torture, de l’assassinat ou de la disparition de personnes à des fins politiques.
  8. Côtoyant la devise républicaine sur les frontons de nombre d’établissements scolaires, le nom de Robert Schuman peut être perçu légitimement comme la négation des valeurs que cette devise proclame, en particulier celle de la fraternité.
  9. N’y a-t-il pas, monsieur le référent, contradiction entre les principes et valeurs de la République et les missions de l’École, d’un côté, et le fait d’honorer Robert Schuman en donnant son nom à un établissement scolaire, de l’autre ?
  10. A titre subsidiaire (I) : il peut paraître incohérent que l’on sanctionne le fait de ne pas prendre part à une minute de silence4 alors qu’on honore Robert Schuman.
  11. A titre subsidiaire (II) : il peut paraître incohérent que l’on poursuive des enfants de dix ans pour des propos mal maîtrisés5, alors que la République honore Robert Schuman de façon durable et répétée.
  12. A titre subsidiaire (III) : il peut paraître incohérent que la République honore Robert Schuman, alors que l’apologie du terrorisme6 s’étend à la glorification des auteurs des actes terroristes et que l’ancien ministre prit part à une entreprise de terreur qui a visé la population algérienne par les méthodes citées plus haut (4).
  13. Je publie cette interrogation à l’adresse https://sebastiannowenstein.org/2021/07/26/r-schuman-la-torture-et-lalgerie-courrier-au-referent-valeurs-de-la-republique/

Bien que cette note concerne au premier chef les actes de l’Etat, il n’est peut-être pas inutile, alors que l’on évoque le cas de Robert Schuman, de rappeler que ce dernier fait l’objet d’une procédure de canonisation de la part de l’Église catholique, ce qui pourrait être regardé comme constituant une apologie de crimes contre l’Humanité. Il se pourrait en effet qu’attribuer des vertus héroïques à Schuman ou de le qualifier publiquement de vénérable ou de serviteur de Dieu, alors qu’il endossa les crimes commis par la France en Algérie et conspira pour empêcher les victimes de ces derniers d’accéder à la Justice, revienne à présenter sous un jour favorables ces crimes et leurs auteurs. Envisager de faire un saint de Schuman revient à diminuer la réprobation moral que suscitent les crimes susmentionnés. Le lecteur curieux pourra consulter la lettre que j’ai adressée au nonce de l’Église catholique sur le sujet. J’ai aussi écrit au pape François pour lui dire qu’il serait malheureux qu’un pape argentin sanctifiât Schuman, alors que les militaires argentins s’inspirèrent des techniques de terrorisme d’État françaises pour effrayer et contrôler la population argentine pendant la dictature qu’ils imposèrent au pays entre 1976 et 1983.

J’essaye de parvenir à une démonstration par l’absurde : si qualifier une décision de justice, la remise de la Légion d’honneur au maréchal Sissi ou le nom d’un établissement scolaire d’apologie du terrorisme ou de crimes contre l’humanité est absurde, alors, il le serait bien plus de me condamner, moi, pour un texte fort mesuré.

Il ne s’agit pas, ici, de plaider pour la suppression du délit d’apologie du terrorisme, mais de montrer que cette infraction ne doit pas être banalisée ou instrumentalisée à des fins politiques. Que le procureur soit maître de l’opportunité des poursuites ne devrait pas annuler l’obligation morale de cohérence dans l’action de la Justice.

Je défends, sur le sujet, le principe de parcimonie judiciaire, selon lequel, la Justice ne devrait pas intervenir au-delà de ce qui est strictement nécessaire.

On pourrait opposer au raisonnement développé ici que l’irresponsabilité pénale attachée à une décision de justice ou celle de l’État signifie justement que la justice et l’État peuvent faire l’apologie du terrorisme. Il semble toutefois difficil d’admettre que ce que l’on punit dans le chef du citoyen n’ait aucune correspondance dans les actes d’énonciation que l’État ou la justice posent par leurs agents.

Je prévois d’analyser dans des notes à venir d’autres aspects des l’assertions présentées en tête de celle-ci. Je voudrais, avant de conclure, aborder une problématique connexe.

L’ Article 434-25 réprime le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance. Est-ce que défendre publiquement l’idée qu’une décision de justice soit sémantiquement équivalente à faire l’apologie d’un acte terroriste est de nature à jeter le discrédit sur une décision de justice ? On peut le soutenir. Mais, en même temps, on peut penser que m’interdire d’exprimer publiquement cette possibilité afin de préparer ma défense dans le cadre de la défense publique participative que j’ai choisie aurait pour effet d’amoindrir mon droit à me défendre.

Note : Tuer dix Kanaks représentait, à l’époque du massacre de Tiendanite, tuer 1 Kanak sur 6 187. Si l’on projette ce chiffre sur la population française actuelle, il s’agirait de 10 986 personnes. La question de savoir comment notre esprit réagit à certaines proportions ou à certaines données chiffrées est un sujet qui mérite l’étude et sur lequel je recherche de la bibliographie. La question va au-delà de celle des tueries. Des exemples tels que le changement climatique ou les montants des aides accordées aux entreprises illustrent les biais cognitifs qui brouillent notre perception de ce genre de données.