Destruction d’archives : je saisis la Procureure de Paris.

Sebastian Nowenstein

XX, XXXXXX

XXXXXXX

XXXXXXXX

Courriel :S@ac-lille.fr

Madame la Procureure de Paris Laure Beccuau

Tribunal de Paris,

Parvis du Tribunal de Paris

75 859 PARIS Cedex 17

,

A Lille, le 9 avril 2022.

Madame la Procureure,

Je lis dans l’Avis 20214989 de la CADA (ANNEXE I) que le ministère de l’Intérieur détruit l’intégralité du contenu des messageries professionnelles des agents à l’occasion du départ de ces derniers :  

En réponse à une demande d’information complémentaire, il lui a par ailleurs été précisé qu’à l’occasion du départ d’un agent, quel qu’en soit le motif, sa messagerie professionnelle est supprimée, tout comme l’intégralité de son contenu. »

Le ministère de la Culture, sous la tutelle duquel se trouve le Service interministériel des Archives de France, m’informe par message électronique en date du lundi 28 mars (ANNEXE II), qu’il n’a connaissance d’aucun document qui organiserait cette pratique : 

S’agissant du ministère de l’intérieur, le contrôle scientifique et technique est exercé par le chef de la mission des archives mis à disposition de ce ministère par le service interministériel des archives de France (article R. 212-4 du code du patrimoine). Ce dernier n’a connaissance d’aucun document, accord, circulaire ni instruction qui organiserait la destruction systématique des messageries au départ des agents. »

Pourtant, comme le rappelle dans son message le ministère de la culture, aucun document administratif ne peut être détruit sans le visa de la personne chargée du contrôle scientifique et technique de l’État : 

L’article R. 212-14 du code du patrimoine précise que services, établissements et organismes publics soumettent la liste des documents qu’ils souhaitent éliminer au visa de la personne chargée du contrôle scientifique et technique de l’État sur leurs archives. Toute élimination est interdite sans ce visa. »

Je remarque que par note (ANNEXE III) adressée au chef de cabinet du ministère de l’intérieur le 18 mai 2020, le délégué interministériel aux archives rappelait l’importance de préserver les messageries électroniques : 

Dans certaines conditions d’utilisation, et notamment dans le cadre des prises de décision ou dans celui de la diffusion d’information, les messageries deviennent en effet un support essentiel. « 

Le délégué précise : 

Chaque département ministériel a la responsabilité de définir, en accord avec le service interministériel des Archives de France, la stratégie, les modalités pratiques et les objectifs de la collecte et de l’élimination des messageries dans son périmètre. « 

Le délégué conclut : 

Il vous revient donc de veiller à élaborer cette stratégie en associant l’ensemble des services compétents (missions des Archives de France ou services d’archives ministériels, services informatiques, délégués à la protection des données, …). « 

L’importance de préserver les archives est reconnue par la Déclaration universelle des Archives de l’Unesco, citée dans le Référentiel général de la gestion des archives(ANNEXE IV, page 6) : 

Comme le rappelle la déclaration universelle des archives adoptée en novembre 2011 par l’UNESCO, « parce qu’elles garantissent l’accès des citoyens à l’information administrative et le droit des peuples à connaître leur histoire, les archives sont essentielles à l’exercice de la démocratie, à la responsabilisation des pouvoirs publics et à la bonne gouvernance ». Parce qu’elles permettent à chaque citoyen d’exercer son droit « de demander compte à tout agent public de son administration », elles doivent être conservées de façon raisonnée et étudiée [➡ fiche n°2]. Le droit d’accès de tout citoyen [➡ fiche n°4], qui suppose pour l’administration la connaissance des règles du Code du patrimoine et de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978, est à ce titre crucial. « 

Enfin, je souhaiterais signaler la Fiche sur le délit de destruction d’archives publiques sans l’accord préalable de l’administration des archives du ministère de la Justice du 30 novembre 2020 (ANNEXE V), qui rappelle ce qu’il faut entendre par archives publiques : 

Les archives publiques sont définies par les articles L211-1 et L211-4 du code du patrimoine (CdP) : il s’agit de l’ensemble des documents, y compris les données, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus, dans l’exercice de leur activité, par toute personne morale de droit public ou toute personne de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public. « 

Je déduis de ce qui vient d’être exposé que l’élimination des messageries professionnelles dont s’est prévalu le ministère de l’intérieur dans le cadre de la procédure CADA susmentionnée tombe sous le coup de l’article L214-3 du code du patrimoine, qui punit d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende le fait, pour une personne détentrice d’archives publiques en raison de ses fonctions, de détourner ou soustraire tout ou partie de ces archives ou de les détruire sans accord préalable de l’administration des archives.

En outre, le caractère systématique qui caractérise la destruction de ces messageries professionnelles paraît devoir tomber sous le coup de l’article 432-1 du code pénal, qui punit de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique, agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi.

Je porte à votre connaissance ces faits en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale. 

Sebastian Nowenstein, professeur agrégé. 

ANNEXES 

ANNEXE I. Avis 20214989 de la CADA du 23/00/2021.

https://www.cada.fr/20214989

Ministère de l’Intérieur 

Madame X, X, a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 28 juillet 2021, à la suite du refus opposé par le ministre de l’intérieur à sa demande de communication, par envoi électronique, sous format PDF ou tout autre format ouvert, après occultation des identités des personnes physiques évoquées, des courriels échangés entre les personnels du ministère de l’intérieur suivants, depuis leur adresse mail professionnelle, entre le 1er décembre 2018 et le 1er avril 2019 : 
1) Monsieur X (X), X et Monsieur X (X), X ; 
2) Monsieur X (X), X et Monsieur X (X), alors X. 
 
1. La Commission d’accès aux documents administratifs a demandé au ministère de l’intérieur de produire ses observations sur cette demande, qu’elle a transmise le 9 août 2021 à la personne responsable de l’accès aux documents administratifs et des questions relatives à la réutilisation des informations publiques (PRADA), désignée pour ce ministère conformément à l’article R330-2 du code des relations entre le public et l’administration et qui est, en cette qualité, notamment chargée, selon l’article R330-4 du même code de : « 1° Réceptionner les demandes d’accès aux documents administratifs et de licence de réutilisation des informations publiques ainsi que les éventuelles réclamations et de veiller à leur instruction ; / 2° Assurer la liaison entre l’autorité auprès de laquelle elle est désignée et la commission d’accès aux documents administratifs. » 
 
En réponse à la demande qui lui a été adressée, le ministre de l’intérieur, par l’intermédiaire de la direction générale de la police nationale (DGPN), a maintenu son refus de communication des documents sollicités au point 2) de la demande, cette direction rappelant que le point 1) se situait en dehors de son domaine de compétence. Il est regrettable que, bien que la PRADA ministérielle ait été en copie du courriel de la DGPN, la commission n’ait reçu aucune réponse relative aux documents mentionnés au point 1), en dépit d’une relance. 
 
2. S’agissant du point 2) de la demande et de la messagerie de Monsieur X, la commission a été informée que ces documents, constitués de courriels échangés il y a plus de deux ans entre des fonctionnaires ayant depuis lors changé d’affectation, n’existent pas en l’état et ne peuvent être obtenus par un traitement automatisé d’usage courant. En réponse à une demande d’information complémentaire, il lui a par ailleurs été précisé qu’à l’occasion du départ d’un agent, quel qu’en soit le motif, sa messagerie professionnelle est supprimée, tout comme l’intégralité de son contenu. Or Monsieur X a changé de poste en 2019. 
 
Les termes des messages de la DGPN ne permettent pas à la commission de comprendre clairement s’il en est de même pour la messagerie de Monsieur X, qui a également quitté ses fonctions en 2019.  
 
La commission rappelle que ne relèvent du droit d’accès aux documents administratifs que les documents existants ou susceptibles d’être obtenus par un traitement automatisé d’usage courant. 
 
La commission prend acte des informations fournies par la DGPN et de ce que les courriels reçus ou envoyés par Monsieur X ont en l’espèce été détruits. Elle déclare dès lors, dans cette mesure, la demande d’avis sans objet, sous réserve toutefois que la suppression de la boîte mail concernée se soit par ailleurs accompagnée d’une suppression de toute sauvegarde qui aurait pu en être faite dans un fichier informatique ou sous format papier, et que la boîte mail de Monsieur X et son éventuelle sauvegarde aient également été supprimées, ce qui ne lui a pas été confirmé.  
 
3. S’agissant du point 1) de la demande, en l’absence d’information sur l’éventuelle suppression de la messagerie professionnelle de Monsieur X, après son départ X, non plus que sur celle de la messagerie de Monsieur X après son départ de ses fonctions de X ni sur celle de leurs éventuelles sauvegardes, la commission rappelle que les courriels professionnels sont des documents administratifs en principe communicables à toute personne qui en fait la demande en application de l’article L311-1 du code des relations entre le public et l’administration, sous réserve de la disjonction et de l’occultation des éléments couverts par les articles L311-5 et L311-6 du même code.  
 
La commission rappelle également qu’un traitement automatisé d’usage courant s’entend d’une opération qui ne présente pas de difficultés techniques particulières, c’est-à-dire qui se réalise à l’aide d’une fonctionnalité contenue dans le traitement et qui ne requiert donc pas un investissement technologique pour y parvenir (avis n° 20181269 du 13 septembre 2018, par exemple). Elle précise qu’il y a lieu de tenir compte de la charge de travail que le traitement de la demande implique pour l’administration (par analogie, s’agissant de documents administratifs susceptibles d’être établis par extraction des bases de données dont l’administration dispose : CE, 13 novembre 2020, n° 432832), ce qui suppose de procéder à une balance entre les moyens dont l’autorité saisie dispose et l’intérêt que présenterait, pour le demandeur, le fait de bénéficier de la communication des documents occultés eux-mêmes (CE, n° 426623, Association contre l’extension et les nuisances de l’aéroport de Lyon-St-Exupéry du 27 mars 2020, confirmé par CE 19 juin 2020, Syndicat mixte Haute-Saône numérique, n° 431293). 
 
En l’espèce, la commission estime que les documents sollicités sont communicables à la demanderesse, le cas échéant après occultation des éléments mentionnés aux articles L311-5 et L311-6 du code des relations entre le public et l’administration, sous réserve d’une part, que la messagerie professionnelle de Monsieur X, X (X), ou celle de Monsieur X (X), en sa qualité de X, ou leurs sauvegardes éventuelles, aient été conservées par l’administration, d’autre part, qu’un traitement automatisé d’usage courant permette techniquement d’en extraire les courriels sollicités. Aucun élément ne permet de penser en l’état actuel du dossier, compte tenu de la courte période en cause, que cette communication ferait peser sur le ministère une charge de travail excessive au regard des moyens dont il dispose.  
 
La commission émet, sous ces réserves, un avis favorable à la demande mentionnée au point 1). 

 ANNEXE II. Message du sous-directeur des affaires juridiques du ministère de la culture du lundi 28 mars. 

Bonjour Monsieur,  

Vous avez saisi nos services le 25 février 2022 d’une demande de communication de « tout document, accord, circulaire ou instruction » organisant la pratique de destruction, par le ministère de l’intérieur, de l’intégralité du contenu des messageries professionnelles de ses agents à l’occasion de leur départ. 

L’article R. 212-14 du code du patrimoine précise que services, établissements et organismes publics soumettent la liste des documents qu’ils souhaitent éliminer au visa de la personne chargée du contrôle scientifique et technique de l’Etat sur leurs archives. Toute élimination est interdite sans ce visa.  

S’agissant du ministère de l’intérieur, le contrôle scientifique et technique est exercé par le chef de la mission des archives mis à disposition de ce ministère par le service interministériel des archives de France (article R. 212-4 du code du patrimoine). Ce dernier n’a connaissance d’aucun document, accord, circulaire ni instruction qui organiserait la destruction systématique des messageries au départ des agents. Il travaille actuellement, conformément à la demande du délégué interministériel aux archives de France du 18 mai 2020 (voir PJ ci-jointe) à l’élaboration d’une stratégie de collecte des messageries. 

 Je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes salutations distinguées,  

Hugues GHENASSIA de FERRAN 

Sous-directeur des affaires juridiques 

 

De : sebastian.nowenstein <s>  
Envoyé : vendredi 25 février 2022 11:27 
À : bdl.cada <bdl.cada@culture.gouv.fr> 
Objet : demande de transmission de documents. Destruction des messageries des agents quittant le ministère de l’intérieur. 

  

Monsieur le ministre de la culture 
Secrétariat général 
Service des affaires juridiques et internationales 
Sous-direction des affaires juridiques 
A l’attention de Monsieur Hugues GHENASSIA-DE FERRAN 
182 rue Saint-Honoré 
75033 PARIS CEDEX 01  

  

A Lille, le 25 février 2022.  

  

Monsieur le sous-directeur,  

Je lis dans l’Avis 20214989 de la CADA que le ministère de l’Intérieur détruit l’intégralité du contenu des messageries professionnelles des agents à l’occasion du départ de ces derniers :  

En réponse à une demande d’information complémentaire, il lui a par ailleurs été précisé qu’à l’occasion du départ d’un agent, quel qu’en soit le motif, sa messagerie professionnelle est supprimée, tout comme l’intégralité de son contenu.  

Je souhaiterais, en vertu de la loi de 78 sur la transparence, avoir communication de tout document, accord, circulaire ou instruction qui organise cette pratique. Je vous adresse cette demande car je présume que cette destruction se fait avec l’accord du Service interministériel des Archives de France, qui relève de votre ministère. 

Dans l’attente de votre réponse, je vous prie d’agréer mes salutations les meilleures,  

  

S. Nowenstein, professeur agrégé.  

Sebastián Nowenstein 

https://sebastiannowenstein.org/

 ANNEXE III. Note adressée au chef de cabinet du ministère de l’intérieur le 18 mai 2020 par le délégué interministériel aux archives. 

https://sebastiannowenstein.org/wp-content/uploads/2022/04/service-interministeriel-des-archives-au-chef-du-cabinet-du-ministre-de-linterieur-transmis-par-min-de-la-culture.pdf

 ANNEXE IV. Référentiel général de la gestion des archives. 

https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2014/07/r2ga_document_complet_201310.pdf

 ANNEXE V. Fiche sur le délit de destruction d’archives publiques sans l’accord préalable de l’administration des archives 

https://francearchives.fr/fr/circulaire/DGP_SIAF_2020_003