Affaire La Costa Nostra. Lettre aux collègues.

Chères et chers collègues,

Souhaitez-vous vous associer à un travail d’enquête sur une affaire hispano-colombienne qui implique le pouvoir du Partido Popular à Madrid et celui de la famille Char à Barranquilla, Colombie ; sur une affaire qui mêle corruption, action judiciaire et diplomatique, des compagnies d’eau et le monde de l’édition ? Le remarquable ouvrage La Costa Nostra, de la journaliste colombienne Laura Ardila, étrangement censuré par la multinationale espagnole Planeta constitue le point de départ de l’enquête que nous entamons.

Je vous expose l’affaire, telle qu’elle apparaît aujourd’hui, en quelques points :

  1. Le dernier livre de la journaliste colombienne Laura Ardila vient d’être publié par un courageux éditeur indépendant, Rey Naranjo.
  2. Ce livre devait être publié par la Planeta Colombia, qui fait partie de la multinationale espagnole Planeta. A la dernière minute, après consultation de la maison mère, Planeta Colombia a informé l’auteure que son manuscrit ne serait pas publié. Fut invoqué le risque d’actions en justice que les personnes citées dans le livre pourraient entreprendre.
  3. Pourtant, Planeta Colombia n’avait jamais soulevé d’objection de cet ordre pendant les deux années d’écriture du livre, dont les chapitres lui étaient régulièrement remis par l’auteure (voir, entre autres, l’article par lequel Laura Ardila annonçait dans El Espectador la mauvaise manière qui lui était faite).
  4. Juan David Correa, l’éditeur responsable du suivi du travail d’Ardila, a démissionné de Planeta. Pendant sa carrière d’éditeur, il n’a jamais eu à renoncer à une publication : “Nunca en estos cinco años y medio se me sugirió censurar algún contenido o se me impidió publicar alguno de los libros que propuse”. Source : https://elpais.com/america-colombia/2023-07-11/renuncia-el-editor-literario-de-planeta-por-la-cancelacion-del-libro-de-los-char.html. Voir aussi https://cambiocolombia.com/cultura/esta-es-la-carta-de-renuncia-juan-david-correa-editorial-planeta-colombia
  5. Juan David Correa est, depuis le mois d’août 2023, ministre de la Culture en Colombie. Il semble difficile qu’il ne s’intéresse pas à une affaire dont il a une connaissance très directe et dans laquelle la délibération démocratique colombienne faillit être obérée par une décision d’une multinationale étrangère.
  6. Certes, la réaction de Laura Ardila, du public et de l’éditeur Rey Naranjo ont permis à la société colombienne de déjouer la censure de Planeta. Mais il est à craindre qu’il n’en soit pas toujours ainsi, de même qu’il est à craindre qu’un effet dissuasif ou d’autocensure découle de cet épisode.
  7. Pour Laura Ardila, el silencio no era una opción. Elle porta l’affaire sur la place publique. Il est très probable que, sans l’étrange comportement de Planeta Colombia, le livre aurait eu un retentissement moindre que celui qu’il a eu. Planeta Colombia ne pouvait ignorer le risque réputationnel auquel elle s’exposait en annulant la publication de Costa Nostra. Pourquoi l’avoir fait ?
  8. Assez naturellement, les soupçons se sont orientés vers la puissante famille Char dont le pouvoir est décortiqué sans complaisance dans le livre.
  9. Une autre piste paraît cependant devoir être explorée : celle du PDG espagnol de Planeta, José Creuheras Margenat, qui est aussi celle du cas Lezo (ou Canal).
  10. Planeta et son PDG sont cités dans ce cas, qui implique la ville de Barranquilla, Colombie, et sa compagnie d’eau, Triple A (qu’Inassa, voir plus bas, possédait à 82%).
  11. Les dirigeants de Planteta ont été mis sur écoute dans le cadre de l’affaire Canal (ou Lezo) : « Un informe de la Unidad Central Operativa de la Policía Judicial de la Guardia Civil (UCO), que había pinchado los teléfonos de la cúpula de Planeta por el caso del Canal de Isabel II (…) ». Source : https://ctxt.es/es/20210401/Politica/35712/Ayuso-Grupo-Planeta-universidad-privada-Atresmedia-Jose-Creuheras-Mauricio-Casals.htm
  12. Crehueras a été interrogé en tant que témoin dans cette affaire.
  13. Edmundo Rodríguez Sobrino, l’ancien directeur d’Inassa, qui possédait 82% de Triple A, apparaît dans le cas Lezo : Rodríguez Sobrino pagó sobornos a funcionarios de Panamá, Colombia, R.Dominicana y Haití para contratos de Inassa.Voir aussi Rodríguez Sobrino pagó sobornos a funcionarios de Panamá, Colombia, R.Dominicana y Haití para contratos de Inassa. Rodríguez Sobrino a été conseillier du journal La Razón, propriété du groupe Planeta, jusqu’à ce que le journal le destitue en 2017.
  14. Selon le journal espagnol CTXT, Planeta a agi pour que la présidente de la communauté de Madrid ne collabore pas avec la justice dans le cas Lazo : « La armada mediática de Planeta ataca duramente a Cifuentes. Según publican distintos medios, Planeta intenta que la presidenta no colabore con la Justicia en el caso del desfalco del Canal de Isabel II, porque la Fiscalía estaba investigando en el llamado Caso Lezo al socio y consejero de La Razón Edmundo Rodríguez Sobrino, que a la sazón era presidente de Inassa, la filial del Canal en Latinoamérica ».  Source : https://ctxt.es/es/20210401/Politica/35712/Ayuso-Grupo-Planeta-universidad-privada-Atresmedia-Jose-Creuheras-Mauricio-Casals.htm
  15. En janvier 2023, Canal Isabel II a attaqué la Colombie devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). L’entreprise espagnole conteste la saisie de ses actifs dans Triple A à laquelle avait procédé le gouvernement de Duque. L’État espagnol s’en mêle, qui défend les intérêts de Canal Isabel II.
  16. Dans La Costa Nostra, il est souvent question de l’affaire Canal.
  17. J’ai écrit au PDG de Planeta pour lui demander si la censure du livre de Laura Ardila est dûe au cas Lezo. Mon courrier est ici : « La Costa Nostra »: ¿Es el caso Lezo la causa de la censura de Planeta? Carta al presidente de la editorial.
  18. Je lui ai écrit de nouveau pour lui annoncer que j’initiais une Enquête Publique Participative sur l’affaire.
  19. J’ai aussi écrit au personnel de l’entreprise, aux 88 intellectuels qui se sont indignés de la censure qui a frappé Ardila, à des maisons d’édition, à des journalistes, etc.
  20. Dans La Costa Nostra, il est aussi question des paramilitaires colombiens, qui apparaissent dans une autre affaire sur laquelle je travaille, celle de l’ancien policier argentin Mario Sandoval (voir l’article qu’Angeline Montoya a consacré au volet colombien de cette affaire dans Le Monde et ici mes propres publications).
  21. Dans La Costa Nostra, il est enfin question de García Marquez. Barranquilla, on le sait, a beaucoup compté dans la vie de l’écrivain.

Voir aussi :