Cifuentes est innocente : son master est d'origine divine. Lettre à Anthony Bellanger, chroniqueur à France-Inter.

À Lille, le 20 avril 2018.

Cher Monsieur,

Hier, alors que je passais à mes élèves votre chronique sur le master de madame Cifuentes, j’ai eu une révélation : le master s’est donné à Cifuentes, il s’est manifesté à elle à l’instar de Jésus, qui s’était manifesté à un autre politicien du Partido Popular, Jorge Fernández Díaz, connu par ailleurs pour avoir octroyé la Medalla de Oro del Mérito Policial à la Virgen del Amor. Cristina Cifuentes est, donc, innocente.

Vous êtes journaliste, je suis enseignant. Nous devons tous deux vérifier les informations que nous divulguons. Je ne vous parlerai donc pas du ravissement intime de cette révélation dont les voix comme lointaines des élèves m’arrachèrent –ça va, monsieur ?-, mais, uniquement, des documents, de constancia documental, comme avait dit Cifuentes en brandissant, devant l’Asamblea de Madrid, les nombreux documents qui prouvaient son innocence.

Cristina Cifuentes est innocente : ce qu’elle ne saurait dire, je vais le prouver.

Oui, ça va, ça va, excusez-moi, fis-je. Je poursuivis mon cours, mais, une fois rentré à la maison, je me mis à la recherche des preuves de ce que j’avais compris. Ces preuves, cette constancia documental, je vous en offre la primeur.

2014. Les temps sont rudes pour l’Espagne. Mais Santa Teresa veille et intercède pour notre pays, comme l’explique Fernández Díaz, alors ministre :

Santa Teresa hablaba de tiempos recios, y estoy seguro de que en estos momentos estará siendo una importante intercesora para España en estos tiempos también recios que está atravesando.

Jésus s’est manifesté à Jorge Fernández Díaz, qui, par ailleurs, a un ange gardien qu’il appelle Marcelo1.

L’intervention de Santa Teresa ne fut pas un cas isolé. D’autres interventions divines se produisirent, qui avaient toutes pour objet de favoriser le PP, seul parti à même de sauver l’Espagne. Ainsi explique, du reste, la prolifération de remises de médailles à des Vierges et des Christs : ceux qui critiquent ces honneurs ignorent (feignent-ils ignorer ?) les innombrables bienfaits que ces décorations récompensent si faiblement. Mais laissons ces autres interventions pour une note prochaine2.

Santa Teresa jugea nécessaire d’aider Cristina Cifuentes et lui donna un master. Cristina Cifuentes en ignorait tout. Elle n’a donc pas menti lorsqu’elle a écrit :

No obstante, según se desprende de la información reservada abierta por la Universidad, la obtención de dicho máster se ha visto afectada, al parecer, por diversas irregularidades administrativas, totalmente ajenas a mí, pero que han dado lugar a su cuestionamiento.

Santa Teresa agit, intercède et obtient des résultats. Mais elle ne les proclame pas, elle ne s’en vante pas. Santa Teresa est toutefois aujourd’hui au désespoir d’avoir causé la perte de celle qu’elle voulait aider. Elle l’a écrit à la mallheureuse Cristina et je vous transmets sa lettre :

Castellanos de la Cañada3

22 de abril de 2018.

Cristinita,

Perdóname. Afanándome por tu bien y el de España, no he hecho más que causar tu pérdida y, quizás la del país de que soy patrona. ¡Qué desgracia!

Pero sé fuerte, Cristina, como dice Mariano. Yo estoy realizando todas las gestiones que puedo para que esto se arregle.

Ya sé, ya sé que tú no habías pedido nada, que ese título no lo querías ni lo quieres. Pero, créeme, cuando yo lo puse en el sobre para mandártelo, lo hice con una sonrisa seráfica en los labios y con la mejor fe.

Yo sé también que tienes motivos sobrados para desconfiar de mí y del interés de mi intercesión. Pero te puedo decir que aquí arriba somos muchos los que ayudamos al PP. en todo lo que podemos. La Virgen del Sagrado Amor me decía el otro día lo emocionada que se había puesto con la medalla que Jorge le había mandado. Ten confianza, criatura, no desfallezcas, no dimitas : ¡nada de ceder el poder a los podemitas!

Teresa de Ávila.

Je vous transmets une photo de la lettre. Le cœur transpercé qui en constitue l’en-tête prouve l’authenticité du document. La signature de la sainte aussi (rien à voir avec les signatures falsifiées du diplôme de madame Cifuentes4). J’ai en ma possession d’autres courriers qui sont autant de constancias documentales de l’innocence de Cristina Cifuentes. Je vous les transmettrai si vous avez le courage de vous engager dans cette affaire et, d’abord, de rectifier les erreurs -appelons-les ainsi- de votre chronique.

Je vous prie d’agréer, cher monsieur, l’expression de mes salutations respectueuses.

Esteban Nierenstein,

professeur agrégé,

Lycée de Timburbrou.

1Source : https://www.religionenlibertad.com/el-nuevo-ministro-de-interior-explica-su-reencuentro-con-dios-despues-19671.htm

2Le glorieux posgrado de Harvard qu’obtint Pablo Casado est un exemple fréquemment cité. Il se déroula en 4 jours dans le quartier madrilène d’Aravaca. C’est san Cristóbal de Licia, patron des voyageurs, qui semble avoir été à l’œuvre dans cette contraction miraculeuse du temps. San Cristóbal de Licia aurait permis à Harvard de se transporter à Madrid. On ne sait pas encore très bien comment Pablo Casado a réussi à passer un posgrado en 4 jours.

3Castellanos de la Cañada est l’un des villages de jeunesse de Santa Teresa. C’est là, notamment, qu’elle convainquit un prêtre concubinaire d’embrasser à une vie réglée. Santa Teresa aime à revenir, incognito et en toute simplicité, dans son village. C’est là que, en lisant la presse, elle découvrit, fort tardivement, les malheurs de sa protégée, Cristina Cifuentes.

4J’ai l’intime conviction que Cristina Cifuentes avait eu l’intuition de l’origine divine de son master, mais que, soit parce qu’elle craignait de ne pas être crue, soit par répugnance à se mettre en avant comme ayant été le siège d’un de ces miracles que l’on ne veut plus voir aujourd’hui, elle a cherché à prouver son innocence par des moyens dont elle a pensé qu’ils seraient plus à même d’emporter la conviction des Espagnols. Ajoutons à cela que Cristina Cifuentes est agnostique et que, par conséquent, elle a dû elle-même avoir du mal à accepter la possibilité d’une intervention divine. De cette difficulté, j’en sais moi-même quelque chose, moi qui, athée, ai reçu la visite de la Vierge de la Macarena… En un sens, le drame de Cifuentes est celui de notre incrédulité. Notre incapacité à accepter le surnaturel a pu conduire cette femme qui se savait innocente à vouloir contourner notre cécité par des énoncés qui, bien que factuellement faux, n’en renvoyaient pas moins à une vérité profonde.