Le Courrier de Timburbrou, le 3 mars 2038.
Après avoir étudié en cours l’histoire de l’église de la Macarena de Séville, les élèves de Timburbrou se sont demandé quelle était la meilleure solution que l’on pouvait apporter à la problématique de cette église bâtie avec des fonds provenant d’une spoliation organisée par l’un des pires criminels du franquisme, Queipo de Llano, qui, de surcroît, y était enterré, ainsi que son épouse.
On pouvait, certes, demander que la dépouille du criminel fût placée ailleurs, mais cela, laisserait entier le problème de l’église elle-même. Celle-ci avait été construite grâce à une souscription populaire organisée par ledit Queipo de Llano, alors que le souvenir des milliers d’assassinés et des femmes violées sur ses ordres était encore vivace. Les contributions financières pour construire l’Église avaient donc été tout sauf libres. La solution la plus simple aurait consisté, de l’avis de la majorité des élèves, à rendre le bâtiment à son véritable propriétaire, le peuple de Séville, représenté par sa Mairie. Cela, cependant, le droit espagnol ne permettait pas de l’imposer et l’Église n’avait pas la dignité de le faire de sa propre initiative. En dépit de leur scepticisme, des élèves préparèrent un projet qui prévoyait, dans un premier temps, l’expropriation de l’église par la Mairie et, ensuite, sa transformation en musée destiné à illustrer les crimes barbares de Queipo de Llano et la complicité de l’Église catholique dans ces crimes. Le conseil municipal de Séville rejeta leur demande.
Un autre groupe défendit une idée qui parut étrange, mais n’en était pas moins digne d’intérêt. Ces élèves demandèrent à leurs camarades : si vous étiez artistes et que vous vouliez créer une oeuvre destinée à illustrer les crimes de Queipo de Llano et la collusion de l’Église dans ceux-ci, que feriez-vous ? Et, sans laisser à leurs interlocuteurs le temps de répondre, ils enchaînaient : nous, nous ferions une église monstrueueuse et absurde qui honorerait la mémoire du criminel. Nous contraindrions l’Église à payer pour l’entretien de ce rappel constant de son indigne passé. Cela, vous l’avez déjà : il n’y a donc rien à changer. Il suffit juste de faire savoir que désormais l’église de la Macarena est la pénitence éternelle imposée à l’Église pour qu’elle expie ses crimes passés. Le dispositif devait être parfait en donnant à voir une Église qui, aujourd’hui, refuse d’assumer ses crimes passés. Ces élèves créèrent un environnement virtuel qui passait sous silence les quelques voix -certes fort rares – qui, au sein de l’Église plaidaient pour une révision de la position de l’institution en cette affaire. De faux communiqués largement diffusés et repris par la presse, faisaient penser que l’Église faisait tout ce qu’elle pouvait pour éviter le sujet, se réfugiant lâchement dans le besoin de réconciliation des Espagnols et évoquant avec une hypocrisie ostensible l’esprit de la transition, comme si l’Église pouvait croire un seul instant qu’honorer un criminel de masse tel que Queipo était en quelque façon que ce fût de nature à amener la concorde. Le souci, ce fut qu’à la grande stupéfaction des élèves, les arguments absurdes qu’ils employèrent furent pris au sérieux et… acceptés. De la réduction à l’absurde ou à la monstruosité d’une église qui honore un criminel de masse ne surgit pas la nécessité absolue de rejeter ce dernier et la célébration de son souvenir, mais, furent obligés de constater avec effarement les élèves, l’acceptabilité de l’homme et de son œuvre, la banalité ex post, pour ainsi dire de ce mal absolu. La société sévillane acceptait, voire endossait, des explications et communiqués que les élèves avaient fabriqués et qui, à leurs yeux, auraient dû couvrir d’infamie l’Église. Ils avaient donc démontré que l’Église avait été criminelle, qu’elle ne se repentait pas. Et pourtant, cela n’avait fait que renforcer les secteurs les plus nostalgiques de l’institution, qui, ravis, trouvaient dans l’acceptation sociale des faux communiqués un argument de poids pour s’opposer à toute démarche révisionniste. Ils durent même constater que, spontanément, sans qu’on l’aide, pour ainsi dire, la société sévillane pouvait aller beaucoup plus loin que tout ce qu’ils avaient imaginé. Le journaliste Nicolás Salas, par exemple, versait dans la plus absolue obscénité et écrivait, le 22 septembre 2017, dans El Correo de Andalucía, que Queipo de Llano avait fait ce qu’il fallait faire et que la ville lui avait exprimé sa gratitude :
Queipo de Llano hizo militarmente en 1936 lo que había que hacer… Y punto. Por eso le premió la ciudad con la actitud más sencilla posible, la que marca la gratitud.
Le meurtre de masse pouvait donc être loué en 2017 par un journal aussi banal que El Correo de Andalucía.
Plus réaliste, un troisième groupe considérait qu’il fallait prendre acte du fait que cette église allait rester église et proposait deux solutions : La première, construire une réplique exacte de l’église de la Macarena juste en face de la Macarena authentique. Ce clone serait consacré à informer le public sur les crimes de Queipo et la complicité de l’Église. La deuxième, consistait à construire un monument abstrait qui évoquerait les crimes de Queipo et la complicité de l’Église.
Globalement, les élèves comprenaient mal la focalisation de ceux qu’on appelait les défenseurs de la mémoire historique sur la question de la dépouille de Queipo del Llano et de son épouse. Pour eux, la question importante était celle du bâtiment lui-même. De même, les élèves considéraient que les défenseurs de la vérité ne devaient pas s’abaisser à converser avec l’Église ou avec l’Hermandad de la Macarena, des instances qui ne faisaient pas le nécessaire pour corriger ne serait-ce qu’un peu les effets des crimes commis. Les élèves pensaient que les défenseurs de la vérité devaient se concentrer sur l’établissement de la vérité historique par leurs propres moyens. C’était, estimaient les élèves, le seul combat digne à mener. On ne négocie pas avec les criminels ou leurs défenseurs pour rétablir la vérité, on ne les prie pas de se montrer honorables. On agit, au contraire, et on rétablit la vérité soi-même. Que l’Eglise ou la Hermandad fassent amende honorable ou préfèrent rester dans l’indignité est leur problème.
Cher lecteur, il t’appartient de prendre ta part dans l’établissement de la vérité. L’avenir n’est pas encore totalement écrit. Pas dans tous les mondes à tout le moins. Tu peux peser. Prononce-toi sur les propositions des élèves et fais en sorte de contribuer à leur avènement dans ton monde. Ou alors, propose autre chose. Nous savons ce que tu es censé faire. Mais tu peux nous surprendre aussi. Tu en as le droit. Qui sait, peut-être changeras-tu ton avenir et notre passé ?
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Laura Jiménez a entendu votre appel :
http://sebastiannowenstein.blog.lemonde.fr/2018/02/06/laura-jimenez-montrer-les-crimes-dont-sont-imbibes-les-murs-de-la-macarena/