Lettre aux Économistes atterrés. Des aides d’État qu’on tolère et de celles que l’on ne tolère pas.

À Lille, le vendredi 17 mai 2019.

Bonjour,

Enseignant dans le secondaire, je prépare un dossier transdisciplinaire sur la concurrence libre et sur la façon dont la Commission européenne fait ou ne fait pas respecter ce principe.

Après l’étude du cas de l’accès gratuit et illégal de certains producteurs espagnols de fruits rouges1 à la ressource publique qu’est l’eau et des distorsions -ignorées, à ma connaissance par la Commission européenne- que cette situation induit, je formule les hypothèses suivantes :

I. La politique économique de l’Union européenne n’est pas conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre.

II. Lorsqu’une aide d’État prend la forme de l’inexécution par un État de ses obligations environnementales ou en matière de santé publique, la Commission n’agit pas2.

III. La politique économique réellement conduite par la Commission européenne peut faire l’objet d’une description objective incluant une typologie des situations dans lesquelles la Commission européenne s’abstient de faire respecter l’interdiction des aides d’État et le respect de la concurrence libre.

D’autres situations qui, à mon estime, constituent des entorses au principe de la concurrence libre, renforcent mes hypothèses partiellement ou totalement. Citons les cas du vin3 et du transport aérien, dont le kérosène n’est pas taxé.

Sur un plan juridique, on peut se demander si le rejet de certaines interventions publiques et non d’autres peut être justifié. Il serait à l’évidence paradoxal qu’un effet protecteur naisse lorsqu’une aide d’État prend la forme d’une inexécution par ledit État de ses obligations environnementales.

J’ai bien noté qu’il n’y a pas d’obligation de poursuivre dans le chef de la Commission européenne4.

Au-delà des questions de droit que pose le fait d’octroyer à un acteur politique le pouvoir de choisir discrétionnairement de faire respecter ou non des dispositions fondamentales d’un ordre juridique, je me demande dans quelle mesure, en termes techniques, il est possible de parler d’une économie libre en l’absence d’un organisme réprimant de façon systématique les aides d’État.

L’expression « économie libre » désigne-t-elle une réalité sociale précise ?

Peut-on comparer en termes économétriques la distorsion causée par le dumping écologique espagnol et celle qui découlerait de la mise en place de prix planchers comme ceux que réclame, par exemple, la Confédération paysanne ?

Pourriez-vous m’indiquer si vous avez connaissance de travaux confirmant ou infirmant les hypothèses que je viens de formuler et, surtout, décrivant de façon réaliste la politique économique conduite par l’UE ?

Dans l’attente de votre réponse, je vous prie de recevoir mes salutations les plus cordiales.

S. Nowenstein,

professeur agrégé.

1Afin de ne pas alourdir ce courrier, je me permets de vous renvoyer vers celui que j’ai transmis à madame Jégouzo, cheffe de la délégation de l’UE en France, où le cas évoqué ici est présenté de façon plus détaillée. Vous pouvez aussi consulter le courrier que je transmets à des parlementaires français et celui que j’adresse à des producteurs français de fruits rouges.

2D’autres hypothèses peuvent rendre compte de l’inaction de la Commission dans ce cas d’espèce. Nous laissons pour plus tard leur examen.

3J’ai interrogé monsieur le Président de la République sur cette question par la voie hiérarchique : https://sebastiannowenstein.org/2019/05/06/lexecutif-et-le-lobby-de-lalcool-lettre-au-president/

4À ce sujet, on peut consulter https://ec.europa.eu/info/law/law-making-process/applying-eu-law/infringement-procedure_fr