À Bruxelles, le samedi 18 mai 2019.
Madame/Monsieur la députée/le député,
Je suis enseignant dans le secondaire et je travaille en ce moment sur les aides d’État dont pourraient bénéficier certains producteurs espagnols de fraises et qui seraient de nature à créer une concurrence déloyale pour les producteurs belges de ce fruit.
L’article 119 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) prévoit que la politique économique de l’UE sera conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre. :
1. Aux fins énoncées à l’article 3 du traité sur l’Union européenne, l’action des États membres et de l’Union comporte, dans les conditions prévues par les traités, l’instauration d’une politique économique fondée sur l’étroite coordination des politiques économiques des États membres, sur le marché intérieur et sur la définition d’objectifs communs, et conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre.
L’article 107 dudit Traité énonce :
1. Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.
Or, certains producteurs espagnols disposent gratuitement d’eau qu’ils prélèvent illégalement à proximité du parc naturel de Doñana. La Commission européenne, constatant que
(…) de grandes quantités d’eau sont détournées à la fois pour l’agriculture et pour les besoins des touristes locaux, ce qui entraîne un effondrement du niveau de la nappe.,
a assigné l’État espagnol devant la Cour de Justice de l’Union européenne pour non-protection des zones humides de Doñana1.
Les grandes quantités d’eau évoquées par le communiqué de la Commission sont prélevées au moyen de puits illégaux et les exploitants qui les creusent utilisent gratuitement l’eau qu’ils en extraient.
De plus, une partie non négligeable des terres qui accueillent les cultures sont des terres non agricoles et, par conséquent, l’activité agricole qui s’y déroule est illégale.
Cette situation, dont le caractère délictuel ne devrait pas offrir de doute2, dure dans le temps3, ce qui rend plausible l’existence d’une volonté politique dans le chef de l’État espagnol de favoriser ses producteurs nationaux en tolérant que ces derniers s’approprient gratuitement des ressources telles que l’eau.
Dans ces circonstances, il est raisonnable de penser que le producteur belge ou européen qui respecte la législation fait face à une concurrence déloyale lorsqu’il affronte des producteurs qui disposent gratuitement de la ressource publique qu’est l’eau ou qui produisent sur des terres non-agricoles dont le prix doit être présumé moindre que le prix des terres agricoles.
De surcroît, on peut s’interroger sur l’existence possible d’un délit de recel au sens de l’article 505 du code pénal si, comme on ne saurait l’exclure, des entreprises belges commercialisent des fraises dont la production résulte d’un acte illégal tout en ayant connaissance de ce fait.
Madame/Monsieur la députée/le député, auriez-vous l’obligeance de répondre aux questions ci-après ? Je prépare un dossier sur la question à l’intention de mes élèves et des collègues qui, en France ou, plus largement, au sein de l’Union européenne, pourraient désirer aborder la question.
- Aviez-vous connaissance de la problématique exposée par ce courrier avant de le recevoir ?
- Avez-vous, de quelque façon que ce soit, agi en tant que parlementaire sur la question ?
- Prévoyez-vous d’agir en quelque façon que ce soit sur la question soulevée ici ?
- Dans l’affirmative, comment prévoyez-vous d’agir ?
Au-delà de la question précise qui est posée ici, on cherchera à montrer, de façon générale, en quoi consiste le travail d’un député.
J’écris aussi à des députés européens d’autres nationalités et à des eurodéputés. Les réponses obtenues permettront, par la suite, de mettre en regard le travail de parlementaires dans différents systèmes politiques.
Dans l’attente de votre réponse, je vous prie d’agréer, monsieur le député, l’expression de mes salutations les meilleures.
S. Nowenstein,
professeur agrégé
- Lettre au ministre de l’agriculture. Fraises et dumping écologique espagnol
- La responsabilité sans faute en droit communautaire dans le cas du dumping écologique espagnol. Lettre au professeur Van Waeyenberge. 20 mai 2019
- Recel et dumping écologique : lettre aux députés belges. 18 mai 2019
- Recel et dumping écologique : lettre au Procureur du Roi de Bruxelles. 18 mai 2019
- Lettre aux Économistes atterrés. Des aides d’État qu’on tolère et de celles que l’on ne tolère pas. 17 mai 2019
- Lettre au professeur Petit. Fraises et aides d’État : les limites de la concurrence libre à l’européenne. 17 mai 2019
- Lettre à monsieur Bellamy au sujet du dumping écologique espagnol que la Commission européenne tolère. 17 mai 2019
- Lettre à madame Loiseau au sujet du dumping écologique espagnol que tolère la Commission européenne. 17 mai 2019
- Fraises espagnoles, recel, distorsion de la concurrence. Lettre au Procureur de la République. 17 mai 2019
- Lettre ouverte aux producteurs de fraises et fruits rouges victimes du dumping écologique organisé par l’État espagnol et toléré par la Commission européenne. 16 mai 2019
- Doñana : lettre à des syndicats français d’agriculteurs. 11 avril 2019
- Doñana, une synthèse. 10 avril 2019
- Doñana : Carta a la delegada de la Junta de Andalucía en Bruselas. 7 avril 2019
- Doñana : Lettre à madame Jégouzo, cheffe de la représentation de l’UE en France. 7 avril 2019
- Doñana : Lettre à des parlementaires français. 7 avril 2019
- Doñana : Lettre à la DGCCRF. 7 avril 2019
- La réponse de Carrefour à mon courrier sur les fraises et Doñana. 30 mars 2019
- Lettre au PDG de Casino. Les fraises et le dessèchement du parc de Doñana. 21 mars 2019
- Doñana, lettre au PDG des hypermarchés Leclerc. 21 mars 2019
- Lettre au PDG d’Auchan au sujet des fraises et du dessèchement du parc de Doñana, en Espagne. 18 mars 2019
- Doñana, carta a alcaldes. 17 mars 2019
- Doñana, carta a productores de fresas españoles. 17 mars 2019
- Proyecto « Doñana en peligro ». Presentación vídeo. 17 mars 2019
- Doñana, lettre à des producteurs de fraises français et belges. 17 mars 2019
- Doñana, carta a organizaciones de protección del medio ambiente. 17 mars 2019
- La cuestión de Doñana vista con el prisma de mi programa. 17 mars 2019
- Carta a las asociaciones españolas de magistrados sobre la desprotección de Doñana. 17 mars 2019
- Lettre au PDG de Carrefour au sujet des fraises et de la sécheresse du parc de Doñana. 11 mars 2019
- El oro rojo, la serie. Enlaces de interés. 19 février 2019
- Oro rojo, la serie. 19 février 2019
- Carta al presidente de la Confederación hidrográfica del Guadalquivir. Pozos ilegales en torno a Doñana. 12 février 2019
1Voir http://europa.eu/rapid/press-release_IP-19-466_fr.htm
2Je note que la DIRECTIVE 2008/99/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL
du 19 novembre 2008 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal dispose en son article 3 que les États membres font en sorte que tout acte causant une dégradation importante d’un habitat au sein d’un site protégé constitue une infraction pénale. Je note aussi que cette directive a été transposée en droit espagnol (Ley Orgánica 5/2010, de 22 de junio) et qu’en son article 6, §2, ladite directive indique : Les États membres font en sorte que les personnes morales puissent être tenues pour responsables lorsque le défaut de surveillance ou de contrôle de la part d’une personne visée au paragraphe 1 a rendu possible la commission d’une infraction visée aux articles 3 et 4 pour le compte de la personne morale par une personne soumise à son autorité.
3Voir, par exemple : El epicentro del saqueo sin castigo del agua de Doñana, El País, le 10 février 2019.
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