Rencontre avec Estrata Gassaka, présidente de l’Association Place Leonardo Blumo, de Timburbrou.

“Nous avons voulu saturer notre place de savoirs et d’histoires”

Timburbrou, 21 mars 2038.

Comment votre association est-elle née ?

Il y a eu un événement qui a permis la cristallisation, mais celle-ci ne serait jamais intervenue sans une réflexion et une envie d’agir qui ne datent pas d’hier. Il y a eu une concours de circonstances heureux, je crois.

Commençons par l’événement…

Eh bien l’événement, c’est un droit de retrait exercé par les enseignants après qu’un assistant d’éducation eut fait l’objet de menaces de mort. Ces menaces de mort provenaient de trafiquants de drogue qui s’étaient approprié la place Leonardo Blumo, qui est devant notre lycée.

Mais vous n’avez pas voulu vous cantonner à une réponse sécuritaire.

Oui, voilà. Il nous semblait que rien ne pourrait être fait dans un climat de peur et d’intimidation. Mais nous étions conscients aussi qu’une réponse purement sécuritaire ou en termes de personnels d’encadrement, dont nous manquions cruellement, ne suffirait pas. Nous nous sommes dit qu’il fallait faire vivre cette place. Et nous nous sommes dit aussi que nous ne pouvions pas ignorer que ceux qui nous menaçaient étaient des jeunes auxquels le marché du travail était largement fermé et qui, aussi, avaient souvent échoué à l’école.

Oui, vous avez mis en place aussi des ateliers de recherche d’emploi ou de rédaction de cv.

Oui, sans grand-succès, je dois le dire. Nous avons réussi à sortir quelques jeunes de la délinquance, mais la relève était toujours là… Nous avons cependant réussi à pacifier notre place, qui était notre but premier.

Astrano Gómez, du deal international au commerce de proximité. (page non disponible pour des motifs de droits d’auteur)

Vous vous êtes inspiré de l’Islande…

Oui, enfin, nous nous sommes inspirés, entre autres choses, de l’Islande, ou plutôt du travail développé par une artiste islandaises dans plusieurs pays. Hérna Icidôttir.

Hérna a décidé de saturer des lieux de connaissances et de fictions. Elle choisissait un lieu, mettait à la disposition des gens toutes les connaissances existantes sur le lieu en question et puis elle faisait écrire des histoires au sujet de ce lieu. Elle parvenait à faire écrire des histoires en organisant des concours d’écriture. Nous avons voulu, comme elle, saturer notre place de savoir et d’histoires.

Qui est Hérna Icidôttir ? (page non disponible)

Y a-t-il eu d’autre sources d’inspiration pour vous ?

Oui, oui, elles ont été nombreuses. Nous nous sommes inspirés de l’association Arbres vénérables et de leur projet Arbres à histoires, arbres à savoirs, qui consiste, en gros, à faire la même chose que Hérna, mais en l’appliquant sa démarche à des arbres vénérables. Et nous nous sommes aussi inspirés de l’association bruxelloise Nos squares.

Vos partenariats avec d’autres places, étrangères ou non se sont multipliés.

Notre démarche a suscité rapidement de l’intérêt. Et nous avons créé la Fédération des places du Monde Leonardo Blumo.

Pensez-vous être internationalistes ?

Oui, c’est un beau mot, un mot que nous revendiquons.

On voyage sans voyager avec vous.

Oui. Ou alors, on voyage longtemps.

Le voyage court est une aberration. Nous favorisons les séjours longs à l’étranger.

Par l’échange…

Au départ, nous avons sollicité les habitants de Timburbrou pour qu’ils accueillent les vainqueurs de nos concours. Nous avons toujours voulu travailler avec aussi peu d’argent que possible.

Après, nous avons voulu étendre à d’autres la possibilité de se loger à l’étranger. Mais le voyage pour nous est un aboutissement. On ne voyage pas avant de s’être imprégné du lieu que l’on va connaître. Maintenant, vous pouvez voyager sans jamais avoir écrit une page de fiction. Nos séjours ne sont jamais inférieurs à six mois.

Vous faites du journalisme aussi.

Nous lisons et nous discutons la presse. Nous diffusons une revue de presse internationale et nous organisons des rencontres quotidiennes pour en parler.

Et, en effet, nous enquêtons aussi. Sur des sujets de fond. Et toujours de façon collaborative.

Enquêter pour agir, c’est ainsi que vous concevez votre travail.

Nous avons établi que les producteurs espagnols de fraises ne respectaient à peu près rien. Les aquifères étaient massivement sur-exploités. Nous l’avons établi sans nous déplacer. Nous y sommes parvenus parce que nous avons collaboré avec des dizaines de plazas en Espagne. Et grâce à la collaboration de dizaines de places en France et en Europe, nous sommes parvenus à faire en sorte que les fraises espagnoles ne soient pas vendues au-delà des Pyrénées. Cela a été notre premier grand succès. Les producteurs espagnols ont dû se montrer raisonnables et l’Etat espagnol a fini par s’occuper sérieusement du problème. Les fraises espagnoles s’exportent à nouveau.

Et vous avez, dans cet épisode, aussi pointé les incohérences de la Commission européenne.

Oui, nous avons démontré que la concurrence libre et non faussée est d’une application discrétionnaire. L’aide d’État que constitue le fait d’extraire de façon gratuite et illégale l’eau, qui est une ressource publique, n’était pas considéré sous l’angle de la distorsion de la concurrence, mais sur celui de la protection de l’environnement. Or, la réglementation sur la protection de l’environnement était essentiellement décorative, alors que celle portant sur les aides d’État produit des effets réels.

Doñana, une synthèse

Oro rojo a été un succès de fiction inspiré de cette affaire. Comment est né le concept de série matricielle ?

Une série matricielle est une série où chacun peut ajouter un épisode. C’est un travail décentralisé. On s’est inspiré de l’Eglise catholique et du récit biblique. L’idée de génie de l’Église a été de créer une trame, la Bible, est de créer une attente extrêmement forte chez le fidèle de voir ce récit s’actualiser en lui. C’est ainsi qu’adviennent les miracles.

Nous nous sommes dit que nous pouvions aussi créer une trame et proposer à quiconque le voudrait d’y ajouter un épisode.

Et nous nous sommes aussi inspirés de la littérature sans auteur du Moyen-Age où chacun avait la liberté d’enrichir le récit. El libro del Buen Amor espagnol a été une influence fondamentale pour nous.

Oro rojo, la serie

El oro rojo, la serie. Enlaces de interés.

Mail à D

Vous venez de publier une anthologie des récits se déroulant place Leonardo Blumo, à Timburbrou.

Oui, ce sont nos prix Nobels (rires). Des écrivains du monde entier, dont la plupart n’ont jamais mis le pied sur notre place, l’intègrent dans leurs récits. Nous avons publié les nouvelles qui nous le plus plu ou ému. Les histoires sont illustrées par des photographies de nos concours, car nous avons aussi organisé des concours de photographie, vous le savez sans doute. Comme tout est disponible sur notre site, il est arrivé que des photographes s’inspirent des récits et vice-versa.