Voici comment Ríos Carratalá, professeur de littérature à l’université d’Alicante et auteur d’ouvrages sur le franquisme et la memoria histórica explique la dérive de Martínez Gargallo qui, d’humoriste talentueux, se mua en juge zélé du franquisme (http://ctxt.es/es/20161019/Politica/9048/franquismo-Carratala-franco-represion-censura-cela.htm) :
¿Cómo se produjo esa deriva hacia convertirse en represor? ¿Tenía alguna característica que le empujara?
Hay un dato, que no doy en el libro porque no deja una huella documental, pero creo que era homosexual.
Quelques questions plus loin, il explique :
Estas personas son las que se convierten en los máximos represores. En el régimen nazi, los que más judíos matan son aquellos que tienen la posibilidad de ser vinculados con los judíos. Esos se exceden. Ocurre por la fe del converso y para que no rasquen en el pasado.
Il faut donc se réjouir que Hitler et tant d’autres chefs nazis n’aient pas craint d’être pris pour juifs ou homosexuels, sans quoi ils auraient fait des excès.
L’interview évoque aussi le cas de González Ruano, l’une des créatures les plus sordides du franquisme, propagandiste des nazis et spoliateur de juifs désespérés qui recherchaient au sauf-conduit dans le Paris occupé. Mais, non satisfait des actes avérés commis par l’ignoble personnage, le professeur éprouve le besoin de lui imputer l’assassinat à Andorre des juifs précédemment spoliés :
En París, él trafica con judíos, les cobra para que salgan hacia España y de ahí a Latinoamérica. Les cobra y en Andorra los espera y los mata. O sea, estaba conchabado con gente de Andorra que se encarga de cargarse a los judíos
D’après El País (http://cultura.elpais.com/cultura/2014/02/28/actualidad/1393591901_559355.html), l’information provient de « l’historien » Pons Prades, qui la tiendrait du maquisard Manuel Huet Piera, lequel la tiendrait d’un ingénieur juif blessé, Rosenthal. Le problème, c’est que, d’une part, l’oeuvre abondante de Pons Prades contient le récit de son enlèvement par des extraterrestres et que, d’autre part, la germaniste catalane Rosa Sala Rose et le journaliste Plácid García-Planas, qui ont investigué la vie de González Ruano pendant trois ans pour lui consacrer un livre (El marqués y la esvástica) n’ont pas pu établir la réalité de ces imputations.
De l’autre côté du spectre politique, si l’on peut dire, car on est toujours au ras des pâquerettes et qu’on se demande si cela a un sens de parler de politique à ce niveau-là de néant argumentaire, Jorge Bustos explique (http://www.zoomnews.es/213201/considerando-frio/ruano-y-antifascismo) qu’il est déçu que la co-auteure du livre cité, Rosa Sala, se demande s’il est opportun qu’une rue de Madrid porte le nom de González Ruano. Ce dernier, doté apparemment d’une bonne plume, relèverait exclusivement du tribunal de l’esthétique, toute autre considération devant être écartée :
Como si el callejero dependiera de la Congregación para las Causas de los Santos y el tocino de la velocidad. Se trata de un viejísimo –platónico, de hecho– debate y nace del terco ideal que fomenta el cerebro humano por la indisolubilidad del binomio ética-estética.
Quelques lignes auparavant, l’auteur attribuait, à tort sans doute, comme on l’a vu, au prosateur admiré des assassinats des juifs qu’il avait spoliés, tirés comme des lapins à Andorre (sic) :
Sus autores son la filóloga alemana Rosa Sala Rose y Plàcid García-Planas, periodista de La Vanguardia, quienes han pasado tres años investigando los turbios negocios del genio del columnismo en el Berlín de Goebbels y en la Francia colaboracionista, donde el autoproclamado marqués de Cagigal se dio la gran vida baudelaireana a costa del trapicheo en el mercado negro, el proxenetismo y un lucrativo tráfico de salvoconductos que en no pocas ocasiones terminaba con un judío cazado en Andorra como un conejo.
Tout ceci ne saurait justifier pour Bustos que l’on prenne le soin de ne pas imposer et infliger à ceux qui résident dans la rue en question -ou aux déambulations des Madrilènes-, la confrontation quotidienne avec le nom de cette crapule. Observons, à titre subsidiaire, qu’à raisonner de la sorte, si les aquarelles de Hitler avaient été bonnes, il aurait fallu garder pour lui une place ou une rue à Berlin, afin d’honorer son talent. Que je sache, d’ailleurs, il n’y a pas de rue Céline en France, ce qui n’empêche nullement l’étude des textes de l’auteur dans les universités. Confusion ou cynisme, Bustos et ses amis (d’autres liens vers leurs déplorables textes plus bas) font comme si la correction élémentaire de débaptiser la rue en question était la même chose que de brûler les livres et articles de leur héros.
L’interview du professeur Ríos Carratalá provient du site http://ctxt.es/, qui propose souvent des articles de qualité signés par des intellectuels respectés, des professeurs universitaires et des chercheurs. Jorge Bustos, lui, exerce son talent dans plusieurs médias d’importance :
En resumen: entre El Mundo, Cope, Telecinco y La Sexta reparte hoy su tiempo profesional, sin abandonar labores puntuales de crítico en El Cultural y Leer ni tampoco las tertulias futboleras y militantes de Real Madrid TV.,
dit-il, en parlant de lui-même à la troisième personne : https://jorgebustos.es/acerca-de/
On a du mal à ne pas désespérer. Peut-être que la meilleure façon de ne pas le faire, c’est de se rappeler avec Gramsci qu’il faut allier le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté. Je crois qu’il ne faut pas beaucoup d’intelligence pour être effaré par ce que l’on vient de lire, mais on peut garder l’optimisme de la volonté. En ce qui me concerne, l’optimisme de la volonté, ou de l’action, passe par le fait de réfléchir avec les élèves sur la question de savoir s’il peut être légitime de falsifier l’histoire. C’est un sujet que j’aborde souvent lorsqu’on travaille sur le récit de Borges Thème du traître et du héros. Dans ce récit, Ryan découvre que son arrière grand-père était un traître et non le héros de l’indépendence irlandaise que l’on croyait. Il décide de passer sous silence sa découverte et publie une biographie à la gloire du héros. Je me dis que l’obstination à travailler sur ces sujets, peut-être un jour en collaboration avec des collègues espagnols, est la meilleure réponse que nous puissions opposer à l’invraisemblable cirque médiatique où manipulation et mauvaise foi se déploient.
En tout cas, j’ai l’impression que les meilleurs défenseurs de González Ruano et ses comparses ne sont pas les improbables journalistes post-franquistes qui chérissent leur mémoire, mais ceux qui, croyant bien faire, ne peuvent se contenter des crimes commis, mais se croient obligés de les multiplier ou les inventer. Ces derniers instaurent un relativisme où tout se vaut, un relativisme qui est le terreau le plus favorable pour que prospèrent les faussaires de l’histoire.
PS : J’oubliais, j’avais promis quelques liens vers les textes des défenseurs de Gónzalez Ruano :
Jaime G Mora du journal ABC, affirme ici : http://www.fronterad.com/?q=bitacoras/jaimegmora/como-leer-a-cesar-gonzalez-ruano que González Ruano fut coquin attachant : Hoy es un autor de culto, un truhán entrañable.
Ignacio Ruiz Quintano, du journal ABC, compare, en citant un ami, González Ruano et Cervantes : http://salmonetesyanonosquedan.blogspot.is/2014/03/ruano.html
Pablo Planas (http://www.libertaddigital.com/chic/2014-03-04/pablo-planas-a-proposito-de-gonzalez-ruano-70910/) déplore le changement de nom du prix de journalisme le plus prestigieux de la démocratie espagnole qui, entre 1975 et 2014 porta le nom de González Ruano. C’est la compagnie d’assurance Mapfre qui est parvenue a ainsi avilir le travail de nombreux journalistes et écrivains de langue espagnole pendant 39 ans.