Manuel Valls. Un signe.

Voir aussi :
http://sebastiannowenstein.blog.lemonde.fr/2016/08/30/lettre-au-premier-ministre-laffaire-daoud/
Dans une tribune publiée sur Facebook, dont on s’est déjà occupé ici, ici et ici le premier ministre affirmait :

Cette manière de mener le débat public est le signe d’un profond malaise de l’intelligence, d’une grande difficulté, dans notre pays, à penser sereinement le monde d’aujourd’hui, ses dangers. Et d’une trop grande facilité à repousser tous ceux qui s’y essayent.

Manuel Valls faisait allusion à une tribune critique à l’égard d’un article de Kamel Daoud publiée par un collectif de 19 chercheurs. Les deux articles avaient été publiés dans le journal Le Monde : l’article de l’écrivain algérien, le 31 janvier 2016 et la réponse des chercheurs, le 11 février 2016. La tribune « Facebook » du premier ministre, quant à elle, date du 2 mars 2016.

Notre seul but ici est de réfléchir à un immense paradoxe : alors que l’écrivain algérien a reçu une vague torrentielle de soutiens, alors que l’on ne trouve pas trace d’un quelconque soutien dont auraient bénéficié ses critiques, alors qu’une partie considérable de ces derniers ne sont pas Français ou exercent à l’étranger, alors qu’il s’agit de personnes d’une notoriété médiatique inexistante (cherchez-les sur wikipédia…), eh bien, le premier ministre fait de leur manière de mener le débat un « signe », le signe qu’il y a, en France, un profond malaise de l’intelligence.

Songez aussi que tout fait n’accède pas à la dignité de signe. Pas plus que le soutien massif qu’a reçu Kamel Daoud, l’admiration générale dont Deniz Gamze Ergüven jouit ne fait pas signe :

Par quelle injustice, par quelle absurdité – et alors qu’ils dénoncent les mêmes réalités avec chacun leur écriture – la réalisatrice franco-turque est-elle encensée, tandis que l’intellectuel algérien est cloué au pilori ?

Seule la tribune dont nous parlons et ses 19 chercheurs isolés accèdent, dans la vision du premier ministre, à la haute dignité d’être signe.

Précipitation, impéritie, légèreté ? Instrumentalisation savante ? Inconcevable erreur de jugement ?

N’allons pas trop vite. Méfions-nous des premiers mouvements de la pensée. Observons, déjà, que ce paradoxe qui nous émeut tant a laissé indifférente l’intelligence nationale, celle, à tout le moins, qui a les faveurs des gazettes. Observons, qui plus est, que cette intelligence nationale a, pour l’essentiel, réagi comme le premier ministre. Méfions-nous donc. Soyons prudents.

On sait le peu d’estime de monsieur Valls pour les sciences sociales. Monsieur Valls dédaigne ces explications qu’elles affectionnent ou recherchent, car expliquer, c’est déjà vouloir excuser un peu (voir ici et ici). Monsieur Valls n’a pas besoin de leur secours, il ressent sans doute la France et il parle sans doute aussi d’expérience, comme il dit à propos de Kamel Daoud. Manuel Valls est un visionnaire, Manuel Valls voit des signes. Cela doit suffire pour gouverner la France.

Soyons donc prudents, ne disqualifions pas l’homme qui nous gouverne. Cherchons à le comprendre plutôt. Et pour cela, essayons-nous à sa méthode un instant, cela ne coûte rien. Juste un instant. Cherchons des signes, comme lui. De quoi la tribune de monsieur Valls est-elle le signe?

Saisis d’effroi, de stupeur aussi, nous avons reculé. Le courage nous a manqué et nous n’avons osé regarder en face ce que notre signe annonce.

Et quoi ? Oserions-nous, faibles, conspuer celui qui regarde et interprète les signes qu’il convoque ?

Inclinons-nous. Que le paradoxe demeure.