Note blanche établie par les services secrets et transmise par la Blanca Paloma à l’intéressé.
Concerne : action juridico-subversive de monsieur Vestringios, professeur agrégé et de son assistant Nierenstein (également professeur agrégé).
Monsieur Vestringios a coutume d’interpeller ses supérieurs, surtout madame la ministre, par la voie hiérarchique. Monsieur Vestringios publie ses courriers sur un blog dont la diffusion tout à fait confidentielle est essentiellement due à des leçons de littérature latino-américaine écrites en espagnol et lues surtout au Mexique.
Les interpellations de monsieur Vestringios prennent la forme de démonstrations juridiques étayées.
L’hypothèse qu’il soit aidé par un groupe de juristes n’a pas pu être démontrée. L’analyse de son ordinateur montre qu’il écrit lui-même ses courriers.
Il a fait l’objet d’un courrier de remontrances de madame la Rectrice. Monsieur Vestringios y a répondu avec ironie et insolence, selon les mots des services du Recteur. Convoqué au Rectorat, il s’est entretenu avec trois haut-fonctionnaires et a adopté une ligne de défense juridique, citant la loi Le Pors sur la fonction publique et demandant, comme il l’avait déjà fait dans sa réponse écrite à la Rectrice, quel était le fondement juridique de la demande du Recteur. Il a déploré ne pas pouvoir prendre position comme il l’aurait voulu en raison de l’imprécision des griefs que la Rectrice formait à son encontre, des demandes qu’il formulait et des sanctions dont il le menacerait. Le Rectorat ne paraît pas en mesure d’intimider monsieur Vestringios.
Monsieur Vestringios a coutume aussi d’interpeller des personnalités afin, dit-il, de préparer des cours.
Dans ses cours, selon plusieurs témoignages d’élèves, monsieur Vestringios se singularise par rapport aux pratiques habituelles en mettant l’accent sur la réflexion linguistique et l’écriture créative, mais il y a fort peu de traces des leçons qu’il préparerait au moyen des courriers qu’il envoie. Aucun des élèves interrogés ne mentionne les écrits de monsieur Vestringios, qui leur sont, à l’évidence, totalement inconnus.
Dans un échange privé, monsieur Vestringios explique sa réticence à utiliser le matériel qu’il récolte pour des raisons de neutralité. Il ne veut pas qu’on lui reproche de mettre ses élèves au service de ses travaux ou de ses engagements. Il n’en pense pas moins que les manuels acceptés par l’Éducation Nationale sont empreints d’idéologie. Il ne se considère pas en position de force pour assumer pleinement la liberté pédagogique qui, en principe, lui est reconnue. C’est pourquoi il propose son matériel à des collègues qui, pense-t-il, pourront se sentir plus libres que lui d’y avoir recours. Il déclare aussi à son interlocuteur qu’il n’est pas un homme courageux, mais qu’il ne désespère pas de le devenir un jour.
Monsieur Vestringios anime des ateliers littéraires à l’étranger, en particulier en Islande et en Espagne. Il propose aux participants d’inventer des situations et des personnages et, ensuite, d’agir pour que les fictions s’incarnent, comme il dit, deviennent réelles, en quelque sorte.
À titre d’exemple, on mentionnera le travail de son atelier concernant la Vierge de la Macarena, de Seville, qui, prétendument libérée par des féministes de la Basilique où elle « cohabitait » avec le criminel franquiste Queipo del Llano, quitte Séville, entreprend de se présenter aux élections municipales de la ville et n’a de cesse d’attaquer le candidat Valls, un ancien premier ministre français qui aurait voulu relancer une carrière politique qui s’étiolait en Espagne.
Monsieur Vestringios a des amitiés dans nos services et auprès des juges. Il a des contacts fréquents avec des syndicats de policiers, d’avocats et de magistrats.
Nous pensons qu’il a eu connaissance de plusieurs notes de nos services concernant ses activités syndicales, militantes et professionnelles.
Il nous le fait savoir au moyen des fictions qu’il publie dans son blog et qu’il attribue aux élèves de ses ateliers littéraires. Il explique son accès à nos notes par l’intercession de différentes Vierges bien introduites dans la police espagnole. Cette affirmation est à rapprocher des écrits nombreux de monsieur Nierenstein, qui n’a de cesse de moquer l’octroi régulier par l’État espagnol de médailles à différentes vierges pour les remercier du voile de protection dont elles recouvrent les forces de l’ordre. Dans les récits de monsieur Vestringios, les Vierges, sont toujours professeures agrégées. En réalité, dans ses récits, tout le monde ou presque est professeur agrégé de quelque-chose.
L’accès des Vierges aux policiers français, daterait (dans les fictions de monsieur Vestringios) de l’époque où des policiers français collaboraient avec des homologues espagnols dans l’assassinat de personnalités basques réputées proches des indépendantistes. Nous pensons qu’il s’agit là d’une fausse piste, bien entendu. Les contacts de monsieur Vestringios dans la police semblent pouvoir expliquer l’accès qu’il a eu à certaines de nos notes.
Pour l’heure, nous n’avons pas pu identifier la source des fuites.
PS :
Le « Courrier de Timburbrou« vient de publier une lettre qu’il attribue à messieurs Vestringios et Nierenstein.
Ainsi que nous l’avons expliqué dans une note précédente, Le Courrier de Timburbrou est un journal publié prétendument dans le futur. Ces articles sont réputés parvenir de façon épisodique et inexpliqué dans le présent.
Notons aussi que le blog de monsieur Vestringios accueille des articles censés venir d’autres univers. Monsieur Vestringios renvoie son lecteur régulièrement à la théorie des multivers, une théorie physique très abstraite qui postule l’existence d’univers parallèles. Naturellement, tous ces articles sortent de l’imagination de monsieur Vestringios, qui adopte volontiers des pseudonymes. Le plus connu d’entre eux est celui de Nowenstein, dont les articles sont souvent cités par des lecteurs imprudents qui ne perçoivent pas qu’il s’agit d’un prête-nom. À leur décharge, il faut dire que monsieur Vestringios et ses disciples ont réussi à installer dans le monde réel nombre de « faits » qui accréditent faussement la réalité de monsieur Nowenstein. On lui trouve un frère habitant en Islande, une sœur demeurant à Lima, des enfants, une activité de professeur agrégé (comme pratiquement tout le monde chez Vestringios), une épouse journaliste engagée (ancienne professeure agrégée) dans la lutte pour les droits humains, etc. Pour l’internaute non-averti, monsieur Nowenstein existe vraiment.
Voici la lettre de que Georges Vestringios transmet à madame la Rectrice et à monsieur le Préfet et que le Courrier de Timburbrou publie :