Mesdames et Messieurs les Proviseurs et Proviseurs-adjoints1,
s/c du chef d’établissement
Dans Le Monde du 27 janvier, vous publiez une tribune dans laquelle vous vous inquiétez des effets des blocages sur les plus faibles de nos élèves. En même temps, vous ne dites pas que les inégalités que vous supposez devoir découler de ces blocages ne seraient, si elles étaient établies, qu’une goutte d’eau dans l’océan des inégalités systémiques dont souffre notre école et qui font d’elle la plus inégalitaire de l’OCDE. Cette façon d’instrumentaliser le grave problème des inégalités scolaires pour le mettre au service de votre propos est contraire aux principes de l’argumentation loyale que nous nous efforçons de transmettre à nos élèves. Le fait de faire appel non aux données incontestables des études, mais à celles qu’il vous plaît de supputer l’est également.
Au delà d’une certaine mauvaise foi argumentative, ce que votre texte révèle, c’est l’affaiblissement de la puissance publique en cours dans le pays. Quelques blocages et tout s’écroule. Incapable de faire en sorte que le baccalauréat se déroule normalement, l’État en vient, par votre voix, à prier élèves, parents et enseignants mobilisés de cesser leurs actions. On prie, on exige, on demande, on s’indigne, mais, ce qui reste, c’est l’impuissance publique devant le chaos engendré par des réformes, au mieux, impréparées.
Ce que je vois, dans mon établissement, c’est quelques dégradations, certes, mais, surtout des groupes très peu nombreux et très pacifiques qui se mettent avec quelques barrières devant notre porte d’entrée. Hier, les policiers qui ont chassé les élèves qui bloquaient étaient plus nombreux que ces derniers. Et ce que je vois, c’est une masse d’élèves qui votent avec leurs pieds et qui prennent prétexte de blocages souvent plus symboliques qu’autre chose pour ne pas venir en cours ou pour refuser les épreuves. Ce que j’ai vu, parfois, c’est des scènes surréalistes, comme des blocages sans bloqueurs : quelques barrières et absolument personne devant. Les barrières restent là toute la matinée et le lycée demeure vide pendant la journée. Les élèves bloqueurs, s’ennuyant au bout de quelques minutes, rentrent chez eux. Le syndicaliste que je suis a souvent regardé avec perplexité et, avouons-le, avec une forme d’incompréhension, ces quelques barrières de chantier qui, à elles seules, bloquaient l’État.
Vous nourrissez, chères et chers collègues, une fiction qui décrit des groupes violents composés d’élèves, parents, enseignants et syndicalistes terrorisant une communauté éducative qui n’aspirerait qu’à retrouver la normalité de l’École de la République. Ce n’est pas ce que je vois dans mon lycée. Ce n’est pas non plus ce que décrit l’article du Monde, que vous citez, non sans candeur, au demeurant.
Ce que je vois, c’est la rupture du lien de confiance entre l’École et les élèves qu’accentue, à mon humble avis, une réforme chaotique. Ce que je vois, c’est le discrédit plus général de l’État, qui apparaît comme indifférent aux réalités et multipliant les cadeaux aux plus riches. Face à un enfermement autistique, la défiance s’est partout installée. Il n’y a plus de normalité, il n’y a plus ce consentement comme évident ou spontané sur lequel repose la relation École-société. Dans ce climat, il suffit de quelques bloqueurs pour que tout s’écroule. L’invocation rituelle des valeurs de la République ou celle de la surpuissance fantasmée des radicalisés ne fait pas avancer la réflexion.
Vous avez raison de réclamer que nos établissements retrouvent une vie normale. Mais vous vous trompez d’interlocuteur. C’est à l’État que vous devez vous adresser, non à la société. Écrivez donc au ministre.
Je vous prie d’agréer, chères et chers collègues, l’expression de mes salutations les meilleures.
Sebastián Nowenstein
professeur agrégé.
1Les destinataires de cette réponse sont les signataires de la tribune du Monde, à savoir : Brigitte Abad-Vega, proviseure adjointe, lycée Charlemagne ; Kamel Ait-Bouali, principal, collège Thomas-Mann ; Georges Benguigui, proviseur, lycée Arago ; Fabienne Bensa, proviseure adjointe, lycée Monet ; Hélène Benkoski, proviseure, lycée Georges-Brassens ; Zahia Betraoui, proviseure, lycée Corbon ; Sylvie Bezat, proviseure, cité scolaire Victor-Hugo ; Isabelle Brochard, proviseure, lycée Colbert ; Arnaud Chaunavel, principal adjoint, collège Paul-Valéry ; Brigitte Chevalet, proviseure, lycée Elisa-Lemonnier ; Valérie Chilma-Sadé, principale adjointe, collège Louise-Michel ; Peggy Colcanap, principale adjointe, collège George-Rouault ; Marianne Cossé, principale adjointe, cité scolaire Claude-Monet ; Adrienne Dassonville, principale, collège Seligmann ; Marianne Dujardin, proviseure adjointe, lycée Jean-Lurçat ; Rémi Duloquin, principal, collège Georges-Brassens ; Dominique Dupont, principale, collège Marie-Curie ; Véronique Dupayrat, proviseure, lycée Jean-Lurçat ; Mariette Dupont, proviseure, lycée Turquetil ; Martine Ferry-Grand, proviseure, cité scolaire Claude-Bernard ; Christelle Fevre, principale adjointe, collège Beaumarchais ; Catherine Gogolka, principale adjointe, collège Gabriel-Fauré ; Jean-Luc Gueret, proviseur, cité scolaire Charlemagne ; Marie Guichet, principale, collège Couperin ; Virginie Hauer, principale, collège Camille-Claudel ; Patricia Hébert, proviseure, lycée Auguste-Renoir ; Jérôme Herbrich, principal adjoint, collège Hélène-Boucher ; Christophe Hespel, proviseur, lycée Diderot ; Anne-Laure Lalouette, proviseure adjointe, lycée Diderot ; Dimitri Lentulus, principal adjoint, collège Georges-Meliès ; Philippe Le Guillou, proviseur, lycée Maurice-Ravel ; Marie-Eve Leroux-Langlois, proviseure, cité scolaire Claude-Monet ; Sarah Magadoux, proviseure adjointe, Lycée Maurice-Ravel ; Florence Malliaros, principale, collège Yvonne-Le-Tac ; Fabrice Meunier, principal, collège Béranger ; Roger Mubanga Beya, proviseur adjoint, lycée Vauquelin ; Armelle Nouis, proviseure, cité scolaire Hélène-Boucher ; Régine Paillard, proviseure, lycée Jean-Zay ; Farida Pariolleau, principale adjointe, collège Paul-Valéry ; Anne Patronoff-Vandard, proviseure, lycée Beaugrenelle ; Marie Plasse, principale adjointe, collège Victor-Hugo ; Franck Puech, proviseur adjoint, lycée Hélène-Boucher ; Rémi Roudeau, proviseur adjoint, Ecole Estienne ; Jérôme Sabatier, proviseur, lycée Paul-Poiret ; Céline Schneider, principale adjointe, collège Janson-de-Sailly ; Gilles Soumare, proviseur, cité scolaire Voltaire ; Raphaël Spira, proviseur adjoint, cité scolaire Paul-Valéry ; Françoise Sturbaut, proviseure, cité scolaire Paul-Valéry ; Raphaèle Surgeul, principale, collège Rognoni ; Christine Stourm, principale adjointe, collège Charlemagne ; Mahi Traoré, proviseure adjointe, lycée Victor-Hugo ; Philippe Yvon, principal, collège César-Franck.