Adolfo Domínguez, le plus audacieux des green-washing et la complaisance d’une certaine presse.

Adolfo Domínguez est une marque espagnole d’habits. 

Son logiciel ADN fait l’objet d’un article publié dans EL PAIS le 10 août 2020

Une version résumée de cet article constituait le sujet d’espagnol d’une épreuve du BTS Mangement Commercial Opérationnel de 2021. 

J’ai étudié ce texte avec mes élèves en novembre 2021. 

Selon l’article, Adolfo Domínguez , conscient de l’impact écologique considérable du secteur de la mode et du fait que 80% du temps les clients utilisent 20% de leur garde-robe, a décidé de mettre à la disposition de ces derniers  un outil informatique destiné à faire en sorte que ses clients acquièrent seulement ce dont ils ont besoin, ce qu’ils aiment vraiment. 

J’ai demandé aux étudiants si cela ne les surprenait pas qu’une entreprise fasse des efforts pour vendre moins, plutôt que plus, et ce, de surcroît, dans un contexte que l’épidémie de COVID avait rendu particulièrement difficile pour le secteur du commerce. Adolfo Domínguez, en particulier, avait vu ses ventes chuter si l’on en croit les articles que je mets à votre disposition dans la page de cette chronique.

Afin d’en savoir plus sur cette application, je me suis rendu sur le site d’Adolfo Domínguez et j’ai créé deux comptes. Avec les étudiants, nous avons rempli les deux profils. A la fin du processus, qui incluait un test assez flou, il nous était proposé de contracter les services d’un styliste pour 25 euros par mois et de recevoir un envoi de 5 articles. Nous disposerions de sept jours pour rendre les articles. Ce délai écoulé, Adolfo Domínguez considérerait que nous avions choisi d’acheter les articles. Le montant à payer serait alors la somme des prix des articles moins les 25 euros du travail du styliste. Si nous rendions tous les articles, nous perdions les 25 euros.

Il nous a été aisé de comprendre que le but de l’opération n’était pas de limiter les achats, mais, au contraire, de les accroître : ne rien acheter avait un coût, 25 euros, et impliquait, au surplus, soit de se rendre dans l’une des 20 boutiques habilitées dans l’ensemble du territoire espagnol, ce qui, représente un peu moins d’une boutique pour 25.000 kilomètres carrés en moyenne) pour recevoir les articles retournés, soit de convenir d’un rendez-vous avec un transporteur qui devait passer chercher les habits.

L’une de mes étudiantes a rappelé la notion de green-washing, qui avait été abordée dans un autre cours. J’ai dit qu’en effet il me semblait que la démarche d’Adolfo Domínguez en relevait. Mais j’ai ajouté qu’ici cela allait encore plus loin que le procédé ordinaire, puisque l’entreprise poussait l’audace jusqu’à prétendre qu’un dispositif destiné à augmenter les ventes et les achats d’articles même pas essayés avait pour but de… diminuer les achats compulsifs.

15 mails, entre le 8 novembre et le 2 décembre. Depuis le moment où j’ai créé le compte et aujourd’hui, en 24 jours, donc, j’ai reçu 15 mails de la part d’Adolfo Domínguez. On m’annonce des ventes éphémères, on me demande si je suis de ceux qui ne peuvent pas attendre l’arrivée du Black Friday, on veut savoir si j’ai déjà acheté ce dont j’ai besoin, on m’annonce le Black Friday, puis le Cyber Monday. Un encadré, fond noir, lettres blanches, revient systématiquement dans les mails, qui m’assène : Shop now, Shop now, Shop now.

Une autre question que nous avons abordée a été celle de la façon dont le journaliste rendait compte de l’initiative de l’entreprise. Nous avons été frappés par l’absence totale de distance critique : rien ne semble pouvoir différencier la teneur de l’article de la communication de l’entreprise. Il y a des années, en 2009, j’avais étudié avec mes élèves la façon dont Google avait réussi à faire endosser par de nombreux médias espagnols un communiqué portant sur sa collaboration avec le musée du Prado. Le communiqué, qui se présentait sous la forme d’un article de presse, avait été publié comme un article émanant des journaux eux-mêmes. Google, parlant de Google à la troisième personne, disait tout le bien qu’il pensait de Google. Et la presse, faisant un copié-collé du communiqué de Google, donnait au lecteur ce communiqué comme si c’était un article écrit en toute indépendance par un journaliste.

Cette problématique d’une presse qui reprend mot pour mot et sans guillemets la production des services de communication des entreprises, nous l’avons aussi aperçue dans une vidéo portant sur les efforts réalisés par la chaîne de supermarchés Mercadona pour diminuer son impact écologique en réduisant le recours au plastique. Le « reportage », je mets le mot entre guillemets, car, comme nous l’avons vu, avec les étudiants, il s’agissait plutôt d’une page de publicité, avait été réalisé par El Faro de Ceuta. Lorsque l’on fait une recherche dans le site du journal avec le mot Mercadona, on obtient un nombre vertigineux d’articles qui semblent être de la même teneur. J’avoue, cependant, ne pas avoir eu le temps de tous les lire.

Comment expliquer cette complaisance ? Je vous laisse réfléchir sur la question.

Je voudrais seulement évoquer un texte de Jorge Luis Borges, Pierre Menard, auteur du Quichotte, dans lequel l’écrivain se plaît à imaginer qu’un symboliste nîmois, Pierre Menard, écrit à nouveau quelques fragments du plus célèbre des romans espagnols. La comparaison des deux textes montre cette évidence que les mêmes mots, mais énoncés par des émetteurs différents, prennent des sens différents ; les mêmes mots, écrits par Cervantes et Menard, ont des sens différents.

Lorsque je lis la presse et lorsque je lis un communiqué de Google, Mercadona ou Adolfo Domínguez, je ne suis pas dans la même disposition d’esprit. Dans le premier cas, je m’attends à la présentation objective d’une problématique, dans le deuxième à un effort destiné à m’influencer ou à me manipuler. Lorsqu‘une certaine presse présente la communication d’une entreprise comme une présentation objective d’une problématique, elle permet à un discours qui doit être traité avec sens critique d’entrer dans mon cerveau en étant soumis à des contrôles moins sévères. Ce faisant, cette presse me trompe, nous trompe et trahit la mission qui doit être la sienne dans une société démocratique.

https://www.farodevigo.es/economia/2020/11/25/adolfo-dominguez-triplica-ventas-julio-25587218.html?utm_source=pocket_mylist

https://fr.fashionnetwork.com/news/Adolfo-dominguez-des-ventes-divisees-par-deux-au-premier-semestre,1262435.html