Accès aux archives : quelques commentaires après l’article de R. Maurel dans Le Monde.

Pour s’être efforcé d’attirer le regard des lecteurs du Monde sur l’extrême difficulté que revêt pour le citoyen l’accès aux documents administratifs que la loi lui garantit, Raphaël Maurel doit être remercié.

J’ai parfois demandé de tels documents et, actuellement, je suis devant le tribunal administratif après que des avis favorables de la CADA (Commission d’Accès aux Documents administratifs) sont restés sans suite. Je sais fort bien, donc, que, comme R. Maurel l’écrit, le parcours est semé d’embûches. Je constate aussi que la pratique de l’administration, déloyale et procédurière quand il lui déplaît d’appliquer la loi, vide le droit de sa substance pour le plus grand nombre et le réserve, affaibli, à quelques-uns. Ces derniers, ce sont les tenaces, dont l’auteur parle, des professionnels, pour la plupart, qui ont les moyens de leur ténacité. Il est important que cette problématique soit connue et l’article de R. Maurel y contribue. Je crains cependant que rendre contraignants les avis de la CADA, un progrès indéniable, ne suffise pas face à la destruction de documents dont excipe souvent l’administration, face au recours croissant aux messageries privées et face à l’incapacité de la CADA à vérifier les dires de l’administration.

I. Destruction de documents, de messageries en particulier.

L’administration excipe souvent du fait que les documents demandés auraient été détruits. Les messageries électroniques constituent un exemple récurrent de cette forme de refus. Assez étrangement, l’administration en vient à se prévaloir de ce qui est une infraction (article L214-3 du code du patrimoine) pour ne pas communiquer les documents demandés. Assez étrangement, la CADA accepte l’argument, ne porte apparemment pas à la connaissance du procureur ces infractions et déclare sans objet des demandes portant sur des documents prétendument détruits. C’est le cas de l’avis 20214989 de la séance du 23 septembre 2021, qui prend acte de la destruction des messageries des agents du ministère de l’Intérieur. C’est le cas aussi des messageries du chef de cabinet GROS (gouvernement Valls) et de celle de l’ancien ministre de l’Education nationale BLANQUER.

Il se déduit de la réponse que m’a transmise l’administration des archives, que ces destructions se sont faites (sauf évolution récente) sans l’autorisation de ladite administration des archives, ce qui les fait tomber sous le coup de l’article L214-3 précité. J’ai par deux fois donné avis en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale de ces infractions à la procureure de Paris, qui n’a pas donné suite à mes courriers.

J’ai également alerté la première ministre par la voie hiérarchique, ainsi qu’à l’UNESCO (cette destruction d’archives viole la Déclaration universelle des archives).

Il est cependant improbable, me semble-t-il que ces destructions se soient véritablement produites (voir III).

II. Substitution des messageries privées aux archives nationales.

Un nombre important de communications se déroulent sur des messageries telles que WhatsApp. Chiffrés, logés dans les appareils personnels des agents, les messages ainsi échangés échappent à tout contrôle et, de fait, sont et seront, selon toute vraisemblance, impossibles à consulter. L’administration ne dispose pas de protocole permettant de lever le chiffrage de la messagerie officielle tchap et ne conserve pas les messages échangés au moyen de cette messagerie. Elle peut encore moins, naturellement, accéder aux messages chiffrés des messageries privées. Tout un pan de l’activité de l’administration échappe au citoyen et échappera à l’historien de demain ; tout se passe comme si ces archives n’avaient jamais existé ; leur destruction s’accomplit dans l’indifférence.

III. Incapacité de la CADA de vérifier l’inexistence des archives.

Voici les messages ayant pu être retrouvées. La messagerie de monsieur Gros n’existe plus, la messagerie de monsieur Blanquer n’a pas été conservée… Se conçoit-il que l’on détruise la messagerie d’un chef de cabinet de premier ministre et celle de celui qui était ministre de l’Éducation nationale il y a quelques mois ? Se conçoit-il que cela soit fait sans les autorisations exigées par la législation ? Le citoyen est impuissant face à ce qui revêt l’apparence d’une occultation de documents. La CADA, quant à elle, dépourvue de la capacité de perquisitionner, tient pour vraies les affirmations de l’administration, quelque invraisemblables qu’elles paraissent. Aucune disposition légale ne semble susceptible de dissuader utilement l’occultation de documents.

PS : Je comprends d’une réponse récente (voir plus bas) du ministère de la culture qu’un certain nombre de documents dont la communication m’est refusée au motif qu’ils n’auraient pas été conservés font l’objet de protocoles particuliers ; ils seraient conservés par la mission des archives du ministère de la Culture. Ainsi que l’a fait ce ministère pour la demande que je lui soumettais, les autres administrations auraient dû, en application de l’article L. 311-2 du Code des relations entre le public et l’administration, transmettre mes demandes à ladite mission et m’en informer, au lieu de prétendre que les messageries n’existaient plus.

Les documents et données sur lesquels porte votre demande, à l’exception des messages reçus et produits par Mme Saal (dont le traitement est en cours), haute fonctionnaire au sein du Secrétariat général, sont des archives de cabinet ministériel, qui sont conservées par la mission des archives du ministère de la Culture et dont la gestion est régie par des protocoles de versement signés par les ministres de la Culture au titre de l’article L. 213-4 du code du patrimoine. En application de l’article L. 311-2 du CRPA(« Lorsqu’une administration mentionnée à l’article L. 300-2 est saisie d’une demande de communication portant sur un document administratif qu’elle ne détient pas mais qui est détenu par une autre administration mentionnée au même article, elle la transmet à cette dernière et en avise l’intéressé »), votre demande a donc été transmise à et instruite par la mission des archives.

 

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