À Lille, le 22 février 2024.
Madame la Ministre,
s/c du chef d’établissement
Par sa cruauté, l’attaque lancée par le Hamas a traumatisé et horrifié. Selon les autorités israéliennes, 695 civils ont été tués et 240 personnes ont été prises en otage. Le Monde titre : Israël s’organise pour documenter les violences sexuelles commises lors de l’attaque du Hamas. Un signalement, qui repose sur une vidéo dont l’authenticité n’est pas contestée, a été fait auprès de la Cour Pénale Internationale (CPI) pour violences sexuelles commises contre Shani Louk, une Germano-Israélienne de 23 ans dont le corps, inanimé et largement dénudé, a été chargé à l’arrière d’un pick-up, puis exhibé dans les rues de Gaza, écrit le journal. Mais, pour ce qui est des viols, la lecture de l’article nous apprend que les témoignages ont été indirects et qu’ils émanent des autorités ou d’organisations israéliennes. La demande du haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, visant à déployer ses équipes pour enquêter est restée sans réponse de la part des autorités israéliennes, dit Le Monde, qui cite les propos de monsieur Türk : « Il faut examiner précisément s’il s’agit d’un acte prémédité, généralisé et systématique. Je ne suis pas en état de le confirmer ».
Pourtant, interviewée par Radio J, vous avez déclaré que des milliers de femmes ont été exterminées, assassinées, violées ou brulées.
Je souhaiterais, madame la ministre, connaître vos sources, car, malgré mes efforts, je n’en trouve aucune qui confirme votre affirmation. Je ne trouve pas non plus de déclaration ou de communiqué de votre part corrigeant le propos précité.
Je formule cette demande en ma qualité d’enseignant. Je souhaiterais savoir que répondre à un élève qui accuserait le gouvernement français de diffuser de fausses informations par votre personne.
La suite de cette lettre implique que votre affirmation est fausse. Je vous invite à vous dispenser de sa lecture si vous êtes en capacité de fonder vos affirmations sur des sources crédibles.
J’appelle votre attention, madame la ministre, sur la crainte exprimée par le journal israélien Haaretz que des récits non vérifiés nourrissent ceux qui nient la réalité des massacres commis le 7 octobre.
J’ai noté également, dans un autre extrait de votre interview, que vous refusez que l’État soutienne financièrement des associations qui ne sauraient pas caractériser ce qui s’est passé. Les associations que vous visez sont des associations féministes qui auraient tenu des propos ambigus sur les attaques du 7 octobre : S’il y a la moindre ambiguïté sur des propos qui auraient été tenus le 7 octobre, il ne serait pas normal que ces associations continuent à avoir des subventions de la part du gouvernement », dites-vous. Vous réclamez de la clarté de leur part. Mais si la « clarté », c’est de dire, contre toute évidence, que le nombre de femmes victimes s’élève à des milliers, comment feront-elles, ces associations, pour apporter cette « clarté » que vous réclamez ?
Doivent-elles se soumettre à votre vérité alternative ? Que doivent-elles dire, au juste ? Est-ce que des centaines de viols, ce serait assez ? Ne faut-il pas surenchérir et estimer ces derniers à de dizaines de milliers ? Serait-ce trop ? Dès lors que l’on s’affranchit du réel vérifiable, tout est possible. Fixée administrativement, la « vérité » se construit alors à rebours des conséquences qu’on lui prête.
Vous rappelez le mot d’ordre féministe « on vous croit ». Mais ce mot d’ordre s’adresse à celles qui ont subi les viols, pas à un État engagé dans une guerre informationnelle qui a coutume de tordre les faits, de manipuler et de diffuser des récits mensongers. Le premier ministre Netanyahou illustré cette habitude et la pousse à l’outrance quad il prétend que Hitler n’avait pas l’intention de tuer les Juifs. Il ne me semble pas qu’il faille comprendre le mot d’ordre féministe que vous citez comme une injonction à croire n’importe quoi.
Il reste que si, un jour, ces milliers d’assassinats et de viols dont vous parlez sont avérés, vous aurez raison d’instruire vos services pour qu’ils passent au crible les propos d’associations qui les nieraient.
Mais, usez-vous, aujourd’hui, de la même rigueur à l’égard de celles et ceux qui ne sauraient caractériser la mort de milliers de femmes gazaouies réelles ? Avez-vous instruit votre administration pour qu’elle passe au crible les propos ambigus sur ces mortes-là ?
Alors que vous exigez de la clarté des associations féministes, le gouvernement auquel vous appartenez refuse de la faire en ce qui concerne les armes que la France livre à Israël. Le Traité sur le commerce des armes, TCA, pourtant, interdit que l’on vende des armes si l’on a « connaissance […] que ces armes ou ces biens pourraient servir à commettre un génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves des conventions de Genève de 1949, des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d’autres crimes de guerre ». Réclame-t-on de la clarté pour des mots non prononcés sur des faits non (encore ?) établis quand on entretient le flou sur des exportations d’armes bien réelles vers Israël ?
Ces questions aussi, je vous les pose en tant qu’enseignant. Je voudrais savoir que répondre à un élève ou à une élève qui dirait que, pour le gouvernement français, toutes les femmes ne se valent pas et que les milliers de femmes palestiniennes mortes et qui continuent de mourir pèsent moins lourd que ces milliers de femmes israéliennes surgies de vos exagérations. Donner des chiffres faux sert la propagande israélienne, mais n’aide en rien les trop nombreuses femmes victimes du Hamas, pas plus que cela n’honore leur mémoire. Y aurait-il deux féminismes, l’un, le vôtre, qui diffuse de fausses informations et instrumentalise ses combats, et un autre, qui s’y refuse ?
Les choses sont peut-être plus complexes, mais il est difficile de nuancer, tant vos accusations sont à la fois très graves et très imprécises. Ces associations féministes qui n’ont pas réagi comme il fallait, vous ne les nommez pas. Mais vous devez bien les connaître, puisque vous estimez, et le dites publiquement, qu’elles auraient agi autrement si les victimes n’avaient pas été juives ou israéliennes. Mesurez-vous la violence de vos insinuations, madame ? Un peu de clarté et un peu de précision de votre part seraient sans doute bienvenues, qui permettraient peut-être à ces associations de saisir les tribunaux pour rétablir leur honneur.
Je vous ai entendue, madame la ministre, parler avec justesse et émotion des actrices françaises victimes d’atteintes sexuelles. Mais j’ai aussi entendu le président de la République glorifier Depardieu. Clarté, dites-vous ? Cohérence ? Quel est le féminisme de l’exécutif français ? On s’y perd, madame.
J’observe la grande proximité entre vos propos et ceux de l’organisation israélienne Zaka. Vous dites : des milliers de femmes ont été exterminées, assassinées, violées ou brulées. Zaka dit que ses volontaires ont collecté les restes de personnes qui avaient été massacred, bound, burned and raped. Il est arrivé que celles ou ceux qui reçoivent les récits de Zaka surenchérissent dans l’horreur et dans le nombre. Avez-vous été victime de ce phénomène ? Si tel était le cas, ne serait-il pas opportun que vous corrigiez publiquement vos affirmations et les instructions que vous avez données à votre administration ? Je me permets, par ailleurs, de vous indiquer que Zaka n’est pas une source fiable : Haaretz montre que cette organisation ultraorthodoxe juive (cette caractérisation est celle du journal israélien) est à l’origine de récits qui se sont avérés mensongers :
https://www.haaretz.com/israel-news/2024-01-31/ty-article-magazine/.premium/death-and-donations-did-the-volunteer-group-handling-the-october-7-dead-exploit-its-role/0000018d-5a73-d997-adff-df7bdb670000
As part of the effort to get media exposure, Zaka spread accounts of atrocities that never happened, released sensitive and graphic photos, and acted unprofessionally on the ground.«
Madame Bergé, si un ministre s’était autorisé à multiplier par dix, le nombre de victimes palestiniennes, le tollé aurait été, je crois, immédiat. Vos propos ont été traités avec plus d’indulgence. Ne croyez pas, cependant, qu’ils soient sans effet. L’avertissement de Haaretz vaut aussi pour la société française, en particulier pour une jeunesse auprès de laquelle le crédit des institutions ne cesse, me semble-t-il, de s’éroder.
Je publie cette lettre à l’adresse https://sebastiannowenstein.org/2024/02/21/les-verites-alternatives-de-la-ministre-berge-et-les-associations-feministes-par-la-voie-hierarchique/ . Je ne manquerai pas de publier votre réponse, s’il vous paraît opportun de me la faire parvenir.
Vous trouverez en annexe le courrier que j’adresse à la personne responsable de l’accès aux documents administratifs de votre ministère (PRADA). J’y demande, en vertu des dispositions contenues dans le code des relations entre le public et l’administration, que me soient communiqués les instructions que vous avez transmises à vos services tendant à faire examiner les propos des organisations féministes au sujet des attaques du 7 octobre. Je demande également communication des résultats produits par votre examen des centaines d’organisations féministes dont votre administration a passé au crible les propos. Par la présente lettre, que je vous transmets par la voie hiérarchique, je vous adresse à vous aussi ces demandes de communication de documents.
Dans l’attente de votre réponse, je vous prie de croire, madame la ministre déléguée, à l’expression de mes salutations les meilleures.
S. Nowenstein, professeur agrégé.
ANNEXE