Du principe de parcimonie judiciaire et des poursuites que sa défense peut engendrer.

Énoncé I : La « vérité » judiciaire n’est pas une vérité.

L’énoncé I peut être fondé sur les considérations ci-après.

Les preuves.

Il y a des méthodes de recherche de la vérité qui sont interdites par la procédure pénale. Les vérités obtenues par des méthodes illégales sont écartées. Des preuves apportées hors délai peuvent être écartées.

Les juges et les jurés ont le monopole de la vérité judiciaire.

Seuls les juges ou les jurés sont habilités à produire la vérité judiciaire. Ils le font en leur âme et conscience. En science, mais aussi dans les rapports humains, un propos est vrai ou faux en lui-même, indépendamment de la qualité de la personne qui le profère ou le démontre. S’il est démontré qu’un énoncé est faux, la qualité de cellui qui établit la démonstration est indifférente.

Des liens de causalité farfelus, improbables, indémontrés ou indémontrables.

Les esprits des juges, comme ceux de tous les humains, établissent des liens de causalité farfelus, improbables, indémontrés ou indémontrables. Ceux des scientifiques aussi. Mais, l’examen critique effectué par la communauté scientifique dans son ensemble et sans limite de temps tend à les éliminer. Le double degré de juridiction ou la collégialité ne suffisent pas à éliminer les biais cognitifs des êtres humains que sont les magistrats, et ce, quels que soient le dévouement et la conscience professionnelle de ces derniers.

Le temps, l’irrévocabilité.

Une fois les voies d’appel épuisées, la vérité judiciaire est irrévocable. La vérité scientifique ou la vérité tout court ne le sont jamais ; elles sont perpétuellement sujettes à révision. Même si un énoncé produit par la justice peut avoir l’apparence de l’évidence, son caractère irrévocable l’empêche d’accéder au rang de vérité.

Déni de justice : de l’obligation de produire des « vérités ».

Lorsqu’une affaire est valablement soumise à une juridiction, cette dernière doit se prononcer, sans quoi elle commettrait un déni de justice. Un tribunal ne peut pas dire « je ne sais pas », alors que le scientifique s’interdit de présenter des incertitudes ou des suppositions comme des vérités.

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Structurellement, la vérité judiciaire n’est pas une vérité. Ceci est inévitable. Personne ne voudrait que des écoutes illégales ou la torture fournissent des preuves judiciaires. Personne ne voudrait qu’une affaire judiciaire soit revue ou réouverte sans fin.

Mais il faut prendre au sérieux l’incapacité de la procédure judiciaire à produire des vérités. De ce constat, je dérive l’énoncé II, que, par allusion à Ockham, je nomme principe de parcimonie judiciaire, dont voici la formulation : « le recours à la procédure judiciaire est à éviter autant que possible ». La main tremblante de Montesquieu s’appliquera à la loi, mais aussi au fait d’y recourir par le biais de l’institution judiciaire. Le recours à ce principe est illustré utilement par l’énoncé IV, plus bas.

Énoncé III : « Une action judiciaire qui ignore l’injonction contenue dans l’énoncé II doit être systématiquement suspectée d’illégitimité, d’imprudence, de témérité, d’intention vexatoire ou d’instrumentalisation politique. » Ces maux ne doivent pas être regardés comme mutuellement exclusifs.

Concrètement, aujourd’hui, j’affirme ceci (énoncé IV) : la circulaire du 10 octobre 2023 du ministre Dupont-Moretti est susceptible d’avoir conduit à une multiplication de poursuites pour apologie du terrorisme qui méconnaissent le principe de parcimonie et qui, par conséquent, appellent la suspicion.

J’affirme (énoncé V) que l’énoncé IV est de nature à décrédibiliser une partie de l’action judiciaire en ceci qu’il nourrit la suspicion à son égard.

J’affirme aussi (énoncé VI) que l’énoncé V, en jetant le discrédit sur ce qui a l’apparence d’un mésusage ou d’un fonctionnement illégitime de l’institution judiciaire, protège l’essence de ladite institution et son utilité sociale bien comprise.

Énoncé VII : Dans cette note, on donnera à l’expression jeter le discrédit le sens général qu’elle revêt dans la langue française. Ce sens n’est pas nécessairement le même que celui que la jurisprudence utilise lorsqu’elle interprète l’article 434-25 du Code pénal. Ceci signifie que l’emploi de ladite expression n’emporte nullement une quelconque reconnaissance de culpabilité de l’infraction définie par l’article précité.

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