Commission d'enquête sur le fonctionnement du service public de l'éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l'exercice de leur profession. Lettre à madame Laborde.

Madame la Présidente,

J’ai suivi avec intérêt les travaux de la commission que vous présidez. Au cours de ceux-ci, les personnes auditionnées furent interrogées avec insistance sur la question du non-respect de la minute de silence dans les établissements scolaires ; les sénateurs cherchaient à savoir si les chiffres communiqués par le ministère étaient fiables. Le soupçon qu’ils auraient été sous-évalués apparaît du reste explicitement dans l’exposé des motifs de la proposition de résolution tendant à la création de votre commission d’enquête.

Je me permets de vous écrire car je constate, alors que vos travaux approchent de leur terme, que vous n’avez pas cherché à savoir si l’École pouvait, en droit, imposer1 cette minute de silence. J’avoue ne pas voir sur quelle base légale cela a été fait. Sans base légale, il n’y aurait pas eu violation d’une règle, mais simple exercice de la liberté de conscience, laquelle se range, comme chacun le sait, parmi les Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR), qui font eux-mêmes partie du bloc de constitutionnalité. Ce qui aurait pour conséquence qu’en l’absence d’autre faute, la sanction qui aurait frappé un élève pour n’avoir pas voulu s’associer à la minute de silence serait une peine injuste et une atteinte à la liberté de conscience.

Si mes craintes concernant la solidité juridique des sanctions prononcées sont fondées, il se pourrait que les incidents aient été sur-évalués et non sous-évalués. Il serait en effet nécessaire de retirer du décompte les élèves qui, sans troubler l’ordre scolaire, ne se sont pas associés à la minute de silence. Il est même douteux, en outre, que la faute soit constituée dans les cas où des élèves ont contesté par des chahuts une minute de silence obligatoire puisque le comportement fautif dériverait par un lien de causalité plausible d’une faute préalable, celle commise par l’École qui, sans en avoir le pouvoir et en violation de la liberté de conscience des élèves, aurait imposé ladite minute de silence.

Je forme des vœux, madame la Présidente, pour que mon analyse soit erronée2. Au vu de l’importance qu’a eue dans les travaux de votre commission la question du non-respect de la minute de silence, on est en droit de se demander si l’ensemble de votre rapport ne risque pas d’être affaibli par l’insuffisance que je crois percevoir3. Ne serait-il opportun, madame la Présidente, que vous auditionniez un juriste reconnu qui vous donnerait à vous, mais aussi aux citoyens qui liront votre rapport, les apaisements nécessaires sur la question ?

Je vous prie d’agréer, madame la Présidente, l’expression de mes salutations républicaines.

Sebastián Nowenstein,
professeur agrégé

PS : Je joins à cette lettre le courrier que j’adresse à madame la ministre Vallaud-Belkacem. J’y affirme que l’école ne pouvait pas être Charlie. Je me permets aussi de vous transmettre la lettre adressée à un ancien élève dans laquelle je tente de le convaincre que sa religion ne lui impose pas de considérer les combattants de Daech comme des frères.

1La minute de silence fut proposée dans certains établissements, ce qui ne me semble pas poser de problème légal immédiat, mais imposée dans d’autres. Mes doutes portent sur la légalité de l’imposition de la minute de silence, non sur la proposition faite aux élèves de s’y associer.

2J’aurais aimé effectuer une analyse plus détaillée de la question que je vous soumets avant de vous écrire, madame la Présidente. Peut-être serais-je arrivé à la conclusion qu’il n’y avait rien à craindre et que ces incidents qui ont tant occupé votre commission ontcomme le dit la proposition de résolution tendant à la création de votre commission, mis au jour un malaise plus profond caractérisant l’éloignement d’un nombre croissant d’élèves de la morale républicaine et non une atteinte involontaire à la liberté de conscience portée, dans l’émotion, certes, par l’Éducation Nationale. Mais j’ai préféré vous soumettre mes interrogations dans l’état, car le temps presse et j’en manque pour être certain de ne pas commettre une faute en m’abstenant de vous écrire.

3Il est certes légitime de s’interroger sur un fait social, le refus de la minute de silence, alors même que ce refus serait protégé par le principe de la liberté de conscience. Mais il serait étrange que l’exercice d’un droit garanti par un principe de valeur constitutionnelle se trouvât parmi les faits étudiés par une commission d’enquête parlementaire.