L’État fait-il l’apologie du terrorisme ?

Je fais l’objet d’une enquête préliminaire pour apologie du terrorisme, ce dont je m’estime totalement innocent. Je mets en place une défense publique participative pour me préparer à l’éventualité que le procureur choisisse de me poursuivre. Cette démarche consiste à exposer les bases de ma défense et à solliciter des avis de celleux qui souhaiteraient m’aider à l’élaborer.

Dans cette note, je m’interroge sur l’énoncé suivant : discréditer l’incrimination d’apologie du terrorisme et la manière dont elle est jugée est un outil de défense légitime.

Démontrer, par exemple, que l’apologie du terrorisme est une infraction mal définie rendrait ma condamnation difficile. Démontrer qu’une décision de justice ou un acte de l’État constituent, d’un point de vue sémantique, des apologies du terrorisme (ou de crimes de guerre ou contre l’humanité) rendrait aussi ma condamnation plus difficile. L’adjectif « sémantique », que je viens d’employer, a pour but d’inclure dans la catégorie d’apologie du terrorisme des assertions qui ne seraient pas légalement punissables, mais qui, proférées dans des circonstances que celles qui ont présidé à leur énonciation, le seraient. Les choses seront plus claires si l’on fait appel à deux cas concrets : le massacre de Tiendanite et la Légion d’honneur du maréchal Sissi.

Acquittement des auteurs du massacre de Tiendanite.

La justice française a acquitté les auteurs du massacre de Tiendanite, pendant lequel dix indépendantistes kanaks sans armes furent tués par des colons. La justice présente donc comme légitime le meurtre de dix personnes dans un guet-apens. Pour obtenir ce résultat, la notion oxymorique de « légitime défense préventive » a été mobilisée. Les auteurs de la tuerie auraient craint que les dix-sept hommes sans armes auxquels ils ont tendu une embuscade et que, pour certains, ils ont achevés, les attaquent. Un tronc de cocotier avait été mis en travers de la route pour bloquer les véhicules qui transportaient les indépendantistes. Ces derniers rentraient d’une réunion au cours de laquelle, dans un souci d’apaisement, ils avaient décidé de lever les barrages qu’ils avaient disposés.

Compte tenu de la manière dont le crime de terrorisme est aujourd’hui défini dans le Code pénal français, il est possible de regarder le massacre de Tiendanite comme un acte terroriste en ceci qu’il a pu viser à intimider la population kanak (voir note). Le fait de déclarer publiquement qu’il a constitué un acte de légitime défense pourrait constituer, par conséquent, une apologie du terrorisme.

Une décision de justice est insusceptible de poursuites pénales, mais que se passerait-il si quelqu’un, aujourd’hui, déclarait que tuer des civils sans armes en prévision d’actes hostiles à venir qu’on imputerait à ces derniers est un acte légitime ? Il est probable que la personne serait poursuivie pour apologie du terrorisme. Ceci revient à dire que, proférée par d’autres que par un tribunal, l’énoncé « organiser un guet-apens pour tuer des personnes sans armes en raison de comportements futurs qu’on leur impute est légitime » serait constitutif d’apologie du terrorisme et, par conséquent, que l’acquittement des auteurs constitue une apologie du terrorisme au sens sémantique et non pénal de l’expression. Ceci signifie, par exemple, que par sa décision d’acquittement, l’État français présente sous un jour favorable un acte susceptible d’être qualifié de terroriste, quand bien même ledit État français, parce qu’il est irresponsable pénalement, ne saurait être poursuivi pour ce fait et quand bien même, la révision de ce procès serait, dans l’ordre juridique français, impossible.

On pourrait, à titre subsidiaire, défendre la thèse que l’acquittement des auteurs de la tuerie de Tiendanite est lié par un lien de causalité probable avec la mise en place de milices armées (voir Le Monde) qui, lors des troubles récents s’étant déroulés en Nouvelle-Calédonie, ont tué des Kanaks. De façon consciente ou non, les initiateurs de ces milices ont pu se dire que si le fait de tuer dix Kanaks par légitime défense préventive n’était pas punissable, alors, la création de milices susceptibles de conduire à des faits comparables ne devrait pas l’être non plus.

La Légion d’honneur du maréchal Sissi.

Il se déduit de rapports nombreux (ceux d’Amnesty International, par exemple) que le maréchal Sissi gouverne en suscitant la terreur dans de larges secteurs de la population égyptienne. En dépit de cela, le Grand Maître de la Légion d’honneur et Président de la République Emmanuel Macron a choisi de décerner la Légion d’honneur audit Sissi. Selon la jurisprudence en matière d’apologie du terrorisme, glorifier une personne revient à glorifier ses actes.

On peut penser que, tant que le Grand Maître et l’État qu’il sert choisissent de ne pas déchoir le maréchal Sissi de sa Légion d’honneur, la glorification des actes dudit maréchal perdure. J’ai interrogé sur cette problématique le Président de la République :

J’ai soumis la même question au premier ministre Castex en l’élargissant au fait que la France glorifie des gens tels que Franco, Mussolini, Ceaucescu, Bokassa ou Franco.

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Si qualifier une décision de justice ou la remise de la Légion d’honneur au maréchal Sissi d’apologie du terrorisme est absurde, me condamner, moi, pour mon texte si mesuré, le serait, en termes moraux, encore davantage.

Il ne s’agit pas, ici, de plaider pour la suppression du délit d’apologie du terrorisme ou de réclamer des poursuites dépourvues de sens contre le président de la République, mais de montrer que ma condamnation le serait tout autant et que l’infraction d’apologie du terrorisme ne doit pas être banalisée ou instrumentalisée à des fins politiques. Que le procureur soit maître de l’opportunité des poursuites ne devrait pas annuler l’obligation morale de cohérence dans l’action de la Justice.

Je défends, sur le sujet, le principe de parcimonie judiciaire, selon lequel, la Justice ne devrait pas intervenir au-delà de ce qui est strictement nécessaire.

Je prévois d’analyser dans des notes à venir d’autres aspects de l’énoncé présenté en tête de celle-ci. Je voudrais, avant de conclure, aborder une problématique connexe.

L’ Article 434-25 réprime le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance. Est-ce que défendre publiquement l’idée qu’une décision de justice soit sémantiquement équivalente à faire l’apologie d’un acte terroriste est de nature à jeter le discrédit sur une décision de justice ? On peut le soutenir. Mais, en même temps, on peut penser que m’interdire d’exprimer publiquement cette possibilité afin de préparer ma défense dans le cadre de la défense publique participative que j’ai choisie aurait pour effet d’amoindrir mon droit à me défendre.

Note : Tuer dix Kanaks représentait, à l’époque du massacre de Tiendanite, tuer 1 Kanak sur 6 187. Si l’on projette ce chiffre sur la population française actuelle, il s’agirait de 10 986 personnes. La question de savoir comment notre esprit réagit à certaines proportions ou à certaines données chiffrées est un sujet qui mérite l’étude et sur lequel je recherche de la bibliographie. La question va au-delà de celle des tueries. Des exemples tels que le changement climatique ou les montants des aides accordées aux entreprises illustrent les biais cognitifs qui brouillent notre perception de ce genre de données.