Paul Ricoeur et moi, notre autobiographie.
À Herlin le Sec, le 28 mars 2028.
Postface :
Comment j’ai inventé Paul Ricoeur.
Par Emmanuel Macron1.
J’ai eu une vie improbable et publique, mais on m’oublie déjà. Je le vois, alors que la mort me guette. Je fus grand, mais serai bientôt poussière. Comme Johnny2 3.
Alors que, comme Cervantès4 en son temps, il me faut mettre la dernière main à mon œuvre avant de cesser d’être, je fais retour sur ce que j’ai fait et sur ce qui en reste :
Paul Ricoeur.
Je n’ai rien fait de plus important. Mon œuvre de président est oubliée, non sans justice, comment ne pas le reconnaître ? Mais le philosophe-historien est encore lu, plus trop, mais un peu quand-même. Alors, voici, cher lecteur, ma décision est prise : mon livre s’appellera Paul Ricoeur et moi.
Paul Ricoeur. J’ai oublié comment l’idée de ce pseudonyme me vint à l’esprit.
Mais je me rappelle assez bien comment, remontant le temps, j’ai insufflé à ce philosophe obscur sa pensée. Paul Ricoeur était un corps vide et disponible, produit par les concours de l’enseignement et par la biologie balbutiante. Non encore fécondé par une véritable pensée, il m’attendait sans le savoir. Ce corps, je l’ai habité avant d’être moi. Puis, suprême modestie, j’ai été son assistant. Je t’ai alors admiré, cher Paul, avec la candeur de mes vingt ans.
Lorsque je suis devenu président, certains esprits naïfs ou vicieux m’ont reproché de récupérer à mon profit la figure du maître. Je dis « vicieux » car, parmi les critiques, il y en avait qui savaient.
Un journaliste argentin, Jorge Luis Borges5, qui couvrait mon élection, fit de moi un fils d’Uqbar, le résultat d’une fiction ourdie par des puissants qui s’impose à un peuple déboussolé. Il eut à mon égard un mot qui fit florès : El presidente adolece de irrealidad -le président souffre d’irréalité-. Dans un article moins connu, Las ruinas circulares, mon ennemi enquêta plus en détail sur son hypothèse. Rien n’est prouvé, tout cela n’est que supputation. Il n’y a pas le début du commencement d’une preuve dans ce qu’écrit notre confrère argentin, répondit, dans un éditorial définitif, Le Monde.
Borges savait6, bien entendu. Non seulement, il savait, mais il s’inspira de moi7 et de mon histoire. Borges n’a jamais vécu vraiment, il le reconnaissait lui-même. Il ne connut la vie que par procuration. Paul Menard8, auteur du Quichotte, s’inspire de moi; de même que l’idée de étudier les influences de Kafka sur Cervantès.
Mon temps s’achève. Le titre de mon livre est expliqué. Je me tais à présent.
Salve, lecteur.
1L’authenticité de cette postface est contestée par les héritiers du grand homme. Un journaliste sénégalais, Bonifacio Trismegisto, affirme, sans preuves, en être l’auteur et prétend, du reste, avoir écrit l’entièreté du livre.
2Dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, je cite 213 auteurs. Avec cette postface, mon autobiographie dépasse mon précédent record de 17 occurrences. Ce qui me satisfait le plus n’est pas ce nombre, mais la diversité de mes sources. Désormais, à chaque fois que je citerai un auteur, je mettrai le décompte global en note de pied de page, comme ça je saurai où j’en suis. Pour mon usage personnel, je tiens un répertoire équivalent des citations latines que je fais et des auteurs que je mentionne quand je parle avec les journalistes.
3Johnny fut beaucoup plus qu’un chanteur et acteur en délicatesse avec le fisc. Il écrivait aussi.
4 215
5 216
6Rafael Alberti (217) ne savait pas tout, mais prédit confusément le destin de Paul Ricoeur dans El hombre deshabitado. Note de SN (218) : Emmanuel Macron ne semble pas avoir lu Rafael Alberti.
7 218. Moi, je suis un auteur. Si je dis moi, c’est que je me cite : donc, oui, tout à fait, 219 !
8 220, parce que, même si Paul Menard est un auteur fictif que Borges a inventé pour lui attribuer le Quichotte, il y eut sans doute un vrai Paul Menard qui inspira à Borges son personnage.