Dans une intervention désormais bien connue, le Président de la République a affirmé que le chlordécone n’était pas cancérigène. Le Président a, en outre, fait planer le doute sur les travaux du professeur Blanchet, urologue éminent qui, en compagnie de professeur Multigner, a publié des travaux qui font autorité sur la corrélation observée entre l’exposition au chlordécone et la survenue de cancers de la prostate1. Monsieur Macron a affirmé s’appuyer sur ce que l’OMS et l’Inserm [leur] avaient donné2.
Les propos du président ont reçu une interprétation par les services de l’Élysée qui va au-delà de la contre-vérité scientifique puisque cette interprétation parvient à ébranler le bon sens même en violant le principe de non-contradiction, qui affirme que la proposition p et non-p ne peuvent pas être vraies en même temps. L’Élysée a, en effet, expliqué au Monde que, quand le président a dit qu’il ne fallait pas dire que le chlordécone était cancérigène, il n’a pas dit qu’il ne fallait pas dire que le chlordécone était cancérigène. Le Monde rendait compte ainsi des explications de l’Élysée3 :
Contacté, l’Elysée a tenté lundi d’éteindre la polémique et s’est voulu rassurant, récusant tout « retour en arrière » et plaidant un « malentendu », explications sémantiques à l’appui. « Le président n’a jamais dit que le chlordécone n’était pas cancérigène, a-t-il soutenu au Monde. Quand il dit : “Il ne faut pas dire que c’est cancérigène”, c’est une façon de dire : “On ne peut pas se contenter de dire que c’est cancérigène, il faut aussi agir.” »
Enseignant dans le secondaire, je suis, vous le comprendrez aisément, attaché à l’image que nos élèves ont des institutions scientifiques. De plus, il est dans mes fonctions d’éduquer mes élèves pour qu’ils acquièrent la capacité de penser de façon rationnelle et logique. C’est pourquoi, je souhaite étudier avec mes élèves4 les circonstances qui rendent socialement tolérable ou, à tout le moins, peu onéreuse politiquement, la profération d’énoncés aussi absurdes ou trompeurs que ceux que je viens de citer.
Je me permets de vous écrire car je voudrais vous demander si, en tant que syndicalistes, vous êtes intervenus pour rappeler au Président les limites de ses compétences et attributions et pour défendre le professeur Blanchet des insinuations le visant.
Je rappellerai ici, car cette lettre a aussi une visée pédagogique, que, outre les intérêts concrets et matériels des travailleurs, les syndicats défendent leurs intérêts collectifs et moraux, auxquels il est porté atteinte lorsque, au plus haut niveau de l’État, on met en doute les résultats de la science et le travail d’un scientifique ou on se départit de la logique la plus élémentaire.
Je formule cette hypothèse, que je me permets de vous soumettre, que la désinformation s’installe d’autant plus facilement dans une société que la vigilance exercée par les corps intermédiaires en vertu de leurs compétences et déontologie, est faible ou les alertes qu’ils diffusent peu entendues. Si les scientifiques ne défendent pas collectivement leur travail, la désinformation peut se déployer sans encombre.
Défendre Blanchet, défendre Multigner, c’est défendre un pair, mais c’est aussi défendre la science et la vérité. Et c’est aussi défendre la dignité des travailleurs martiniquais et guadeloupéens empoisonnés par le chlordécone contre la désinformation présidentielle.
Dans l’attente de votre réponse, je vous prie de croire, madame, monsieur, à l’expression de mes salutations les meilleures.
S. Nowenstein,
professeur agrégé.
1Leur article est disponible à l’adresse https://ascopubs.org/doi/full/10.1200/JCO.2009.27.2153
2J’ai écrit au Président-directeur général de l’Inserm afin d’obtenir communication des documents invoqués par le président : http://sebastiannowenstein.blog.lemonde.fr/2019/04/09/macron-et-le-chlordecone-demande-de-transmission-de-documents-adressee-au-directeur-de-linserm/
3Source : https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/02/04/chlordecone-l-elysee-plaide-le-malentendu-apres-la-declaration-polemique-de-macron_5419206_823448.html
4J’ai écrit au président par la voie hiérarchique afin de solliciter de lui une position claire sur le sujet que je pourrais joindre à mon dossier : http://sebastiannowenstein.blog.lemonde.fr/2019/03/15/il-ne-faut-pas-dire-que-cest-cancerigene-lettre-au-president-macron-au-sujet-de-ses-declarations-sur-le-chlordecone/