À Lille, le vendredi 17 mai 2019.
Madame Loiseau,
Enseignant dans le secondaire, je travaille sur l’article 119 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui dispose que la politique européenne est conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre.
Afin de faire respecter l’article 119, l’article 107 du même traité interdit les aides d’État :
Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.
Pourtant, ainsi que j’ai eu l’occasion de l’écrire à madame Jégouzo, cheffe de la Représentation de l’UE en France, des agriculteurs espagnols bénéficient d’eau gratuitement sans que la Commission européenne mette un terme à cet avantage indu. Cette situation est amplement connue de la Commission et dure depuis vingt ans ou plus. Il n’y a pas d’illégalité dans cette longue tolérance car la Commission européenne, bien que gardienne des Traités, peut se dispenser d’agir contre les manquements commis par les États suivant des critères d’opportunité politique.
Je dérive de cette situation et d’autres cas l’hypothèse que la Commission européenne se dispense de traiter un problème sous l’angle des aides d’État lorsque ces aides prennent la forme de l’inexécution par ledit État de ses obligations en matière environnementale ou de santé publique.
Pensez-vous que la Commission européenne doive poursuivre l’État espagnol pour avoir avantagé de façon indue certains de ses agriculteurs ? La Commission européenne doit-elle exiger la restitution par ces agriculteurs des aides reçues sous forme d’eau gratuite ? La Commission européenne doit-elle traiter sous l’angle de la concurrence toute aide reçue sous la forme d’une inexécution par un État de ses obligations en matière environnementale ou de santé publique ?
Un rapport récent de la Cour des comptes de l’UE et d’autres sources démontrent que la sur-exploitation des aquifères espagnols est un problème d’une ampleur tout à fait considérable, puisqu’on estime entre 500.000 et un million le nombre de puits illégaux et à 44 % la proportion de réserves d’eau en mauvais état. Une extrapolation simple conduit à penser qu’une part considérable de la production agricole espagnole bénéficie des aides indues qui découlent de la méconnaissance par l’État espagnol de ses obligations en ce qui concerne la protection de l’environnement.
Dans ces conditions, pourriez-vous m’indiquer si l’engagement de prendre une directive « Éthique des entreprises » que vous incluez dans votre programme et qui vise à interdire le marché européen aux entreprises qui ne respecteraient pas les exigences environnementales fondamentales doit s’appliquer à l’agriculture espagnole ? Doit-on présumer, a contrario, que les entreprises européennes sont vertueuses ?
Vous motivez votre proposition par la nécessité que prévale une juste concurrence entre nos entreprises européennes et le reste du monde. Sans doute souhaitez-vous aussi une juste concurrence entre les entreprises européennes ?
Pensez-vous qu’il faille renégocier les Traités afin de retirer à l’organe politique qu’est la Commission le pouvoir de faire obstacle par son inaction à l’application du droit ?
Il semble que faire cesser le dumping écologique que pratique l’Espagne soit une impossibilité politique et que les exigences de l’article 119 du Traité vont continuer d’être méconnues. Ne pensez-vous pas dès lors que, de fait, tout État européen peut se prévaloir de ce précédent pour mettre en place des mesures de soutien à ses entreprises contraires à l’article 119 ?
Ce serait un plaisir pour moi que de pouvoir inclure dans le dossier que je prépare vos réponses à ces questions.
Je publie cette lettre à l’adresse https://sebastiannowenstein.org/2019/05/17/lettre-a-madame-loiseau-au-sujet-du-dumping-ecologique-espagnol-que-tolere-la-commission-europeenne/
Je vous prie d’agréer, madame la candidate, à l’expression de mes salutations les meilleures.
S. Nowenstein,
professeur agrégé.
PS : Si vous le souhaitez, chère Madame, vous pouvez prendre connaissance du courrier que, sur le même sujet, j’adresse à monsieur Bellamy.