Monsieur le Proviseur,
Madame l’Inspectrice,
1. Vous avez bien voulu me transmettre des consignes concernant la correction des épreuves E3C (voir Annexe I).
2. Ces consignes ne sont ni signées ni datées et ne contiennent aucune indication sur l’autorité qui les émet, sur leur publication ou sur leur base légale.
3. Je comprends, après lecture du Guide de légistique de Légifrance (pages 99 et suiv.) que nous, correcteurs, ne sommes nullement tenus de suivre lesdites consignes. Pouvez-vous me confirmer que cette interprétation est correcte ?
4. Ce serait un véritable soulagement pour nombre de mes collègues d’apprendre que les grilles que contiennent ces consignes peuvent être ignorées.
5. On les comprend : donner 30 points à un candidat qui peut identifier l’articulation de documents (sic) et 10 points à un candidat qui peut identifier la nature de l’articulation entre les documents (lien chronologique, illustratif, d’opposition, etc.) est une véritable souffrance pour tout enseignant, me semble-t-il.
6. Cette souffrance évoque le 2 + 2 = 5 orwellien. Nos grilles requièrent de penser que dix est plus grand (ou égal ?) que trente (10 ≥ 30).
7. Dans la dystopie orwellienne, le fait de tenir comme vraies deux propositions mutuellement incompatibles et d’annuler ainsi le principe de non-contradiction porte le nom de doublepensée (doublethink)
8. En général, nous, enseignants, rejetons la doublepensée. Elle nous paraît contraire à nos missions et valeurs.
9. Ce qui explique, à mon avis, le peu de réactions qu’ont suscité ces grilles, c’est le peu de cas qu’on en fait en général. Détourner pudiquement le regard de certains textes n’est pas toujours une mauvaise solution. Cela peut permettre de ne pas désobéir. C’est sans doute mieux que la doublepensée, moins onéreux que d’y consentir.
10. Je voudrais savoir si ces grilles ont été testées empiriquement. Il est tout aussi difficile d’imaginer qu’elles l’ont été que d’imaginer le contraire. Heureusement, la loi du 17 juillet 1978 permet de demander communication des documents administratifs. J’interroge donc la personne responsable de l’accès de l’accès aux documents administratifs (PRADA) de notre ministère à ce sujet (voir Annexe II).
11. Si la réponse à la question du paragraphe 3 est vraie, ne faut-il pas le préciser à l’ensemble des correcteurs afin de remédier à l’apparence d’application obligatoire que revêtent nos consignes ? Ne pas le faire introduirait un biais dans l’examen, diminuerait son crédit et porterait atteinte à l’équilibre mental des correcteurs (voir 5) et à la crédibilité de notre institution.
12. Si, comme il est probable, bien compréhensible et normal, vous n’êtes pas en mesure de répondre aux interrogations que porte ce courrier, je vous saurais gré de le transmettre à la ou les personnes qui seraient en capacité de le faire. A qui de droit, donc, comme on a coutume de dire.
13. Je publie cette lettre à l’adresse https://sebastiannowenstein.org/2020/02/10/corriger-les-e3c-:-dix-est-il-plus-grand-ou-egal-que-trente-?/. Je ne manquerai pas de publier également la réponse qu’il y sera donné.
Je vous prie d’agréer, Madame l’Inspectrice, Monsieur le Proviseur, l’expression de mes salutations respectueuses.
Sebastián Nowenstein,
professeur agrégé
Annexe I.
Voir pièce-jointe à ce message.
Annexe II.
Message à l’intention de madame Stéphanie FRAIN, PRADA du Ministère de l’Éducation Nationale.
Madame,
Enseignant, j’ai reçu par la voie hiérarchique les consignes que je joins à ce message.
1. Pourriez-vous m’indiquer qui a émis ces consignes, quelle est leur base légale et quelle est leur date d’entrée en vigueur, si une telle date existe ?
2. Ces instructions contiennent des grilles d’évaluation. Je vous saurais gré de me transmettre tout document relatif à ces grilles. Je cherche en particulier à savoir si elles ont été testées et s’il existe des documents portant sur leur pertinence et efficacité telle qu’estimée par les évaluations qui auraient pu avoir lieu.
3. Il a été procédé à des formations afin de présenter et d’expliquer ces grilles aux enseignants. Je vous saurais gré de bien vouloir me transmettre tout document administratif portant sur lesdites formations.
Dans l’attente de votre réponse, je vous prie d’agréer, chère Madame, l’expression de mes salutations les meilleures.
Sebastián Nowenstein