À Lille, le vendredi 15 février 2019.
Monsieur le député,
Enseignant dans le secondaire, j’ai lu avec intérêt que, souhaitant renforcer l’adhésion de nos élèves aux valeurs de la République, vous avez fait adopter un amendement qui impose dans nos classes un drapeau français, un drapeau européen et les paroles de la Marseillaise.
Faire partager les valeurs de la République est une mission parmi les toutes premières que la Nation nous confie, ainsi que le stipule, non sans solennité, l’article L111-1 du code de l’éducation :
Outre la transmission des connaissances, la Nation fixe comme mission première à l’école de faire partager aux élèves les valeurs de la République. Le service public de l’éducation fait acquérir à tous les élèves le respect de l’égale dignité des êtres humains, de la liberté de conscience et de la laïcité.
Dans un sujet aussi grave, monsieur le député, le législateur républicain que vous êtes ne saurait avoir agi à la légère. Je présume par conséquent que votre initiative se fonde sur des études solides. Je vous écris afin de vous demander de bien vouloir me transmettre lesdites études.
J’espère y trouver réponse aux questions suivantes :
1. Y a-t-il une corrélation démontrée entre l’exposition au drapeau tricolore et l’adhésion aux valeurs de la République ?
2. Y a-t-il un effet de seuil ou, au contraire, plus de drapeau, c’est toujours plus de valeurs ?
3. Existe-t-il un lien entre la taille du drapeau et l’intensité de l’adhésion à nos valeurs ?
4. La lecture de la Marseillaise suffit-elle à susciter un élan patriotique ? Ne faut-il pas aussi qu’elle soit écoutée, voire chantée ? Et avec quelle fréquence ?
5. Avez-vous pensé aux indispensables sanctions qui frapperaient les enseignants récalcitrants ?
6. Que faire en cas d’outrage aux symboles nationaux ? Six mois d’emprisonnement et 7500 euros d’amende ? Il ne se conçoit pas que le drapeau tricolore et la Marseillaise soient moins protégés dans les classes que dans les stades.
7. Ne faudrait-il pas étendre votre démarche à d’autres enceintes que celles de l’École ? Vous entendra-t-on, vous et vos collègues députés, chanter la Marseillaise avant chaque débat ? Cela ne peut pas faire de mal, monsieur le député, car, parfois, on a l’impression que la représentation nationale a en tête tout autre chose que les valeurs de la République quand elle légifère.
Monsieur Ciotti, je me suis longtemps interrogé sur la manière dont je devais m’acquitter de l’obligation de faire partager les valeurs de la République. Votre amendement m’ouvre des horizons nouveaux. La certitude de trouver en lui -dans les études et recherches surtout qui, je présume, le fondent- la réponse à mes interrogations a fait naître en moi un sentiment puissant d’espoir. C’est vous dire si j’attends avec impatience votre réponse à ce courrier.
Une dernière question, monsieur le député, presque douloureuse : pourquoi pas avant ? Pourquoi a-t-il fallu que la Nation attende si longtemps cet amendement salvifique ?
Je rends publique cette lettre. Je la transmets à des universitaires et à des chercheurs. Peut-être auront-ils connaissance d’études portant sur les influences des drapeaux sur les personnes que vous ignorez ? Je ne manquerai pas de vous transmettre toute information qui me parviendrait sur la question.
Dans l’attente de votre réponse, monsieur le député, et, avant tout, des études qui l’accompagneront, je vous prie d’agréer l’expression de mes salutations les meilleures.
Sebastián Nowenstein,
professeur agrégé.