Timburbrou est un lieu situé dans un univers parallèle au nôtre.
Le but de notre association est de faire converger nos univers et d’établir des canaux de passage entre eux.
Nous pensons que nos univers sont liés en des proportions non négligeables par des mécanismes de non-localité. La non-localité est connue dans notre univers ; c’est, par exemple, ce que l’on appelle l’intrication quantique : lorsque deux particules sont intriquées, leurs états sont liés, lorsque l’état de l’une d’elles change, l’autre le fait aussi, même si elles sont situées à une très grande distance, de manière instantanée. Einstein, pour évoquer ce phénomène, que la théorie quantique prédisait, mais auquel il ne croyait pas, et qu’il voyait comme une faiblesse de la théorie, utilisait l’expression spooky action at a distance, ou action fantomatique à distance. La réalité de ces phénomènes a été démontrée expérimentalement. La non-localité se déploie même sur le temps, pouvant intervenir à rebours de celui-ci.
Nos deux univers semblent intriqués, comme pourraient l’être, pensent quelques scientifiques, certaines galaxies de notre univers.
Les manifestations de Timburbrou dans notre univers sont rarissimes. Corrigeons : les manifestations de Timburbrou dont nous ayons connaissance sont rarissimes.
Elles sont aussi dérisoires, en ceci qu’elles concernent des événements insignifiants de notre univers. Certains y voient la preuve que ces frôlements sont le fruit du hasard. D’autres pensent qu’il s’agit d’expérimentations contrôlées et limitées, une forme de prélude précautionneux, qui annonce des immixtions plus importantes. D’aucuns craignent une intrusion hostile, voire une invasion, déjà en cours. Nous voulons, quant à nous, que les manifestations de Timburbrou se multiplient. Nous sommes prêts à sacrifier nos êtres pour cela. Pour nous, Timburbrou est un espoir, il incarne le rajeunissement de notre monde, un avenir qui ne soit pas fait de chaos et de destruction, le seul avenir possible.
Il est habituel, à Timburbrou, de créer des individus et de leur insuffler la vie. Ces individus sont ce qui se rapproche le plus de nos livres ou, plutôt, de nos films. L’art y est collectif. On crée des individus, on les analyse, on les examine ; Ils vivent, ils le font véritablement, on les dote d’un corps. On fait des paris sur leur comportement futur.
L’état d’avancement de nos technologies ne nous permet pas de nous passer totalement de la base humaine. C’est pourquoi, j’ai été désigné, moi, humain, pour devenir, ici, parmi nous, l’alter ego de l’un des individus qu’on crée à Timburbrou.
Pour des motifs que je préfère taire, le choix de ma personne se présenta au groupe comme une évidence. J’ai, pour ainsi dire, donné mon corps, vivant, à la science et à notre cause. J’ai accepté de devenir Sebastian Nowenstein (SN désormais).
Lorsque je parlerai de moi, je dirai « je ». Lorsque je parlerai de l’homme que je dois m’efforcer d’être, je dirai SN. Mais il sera très peu question de moi ici, et très peu question de SN, aussi, puisque l’on ne sait pas grand-chose de lui.
L’art, à Timburbrou, est essentiellement théâtral et politique, cela nous le savons. SN travaille pour « Théâtre Qraob ». Certains documents qu’il publie peuvent contredire à première vue cet énoncé, parce qu’ils paraissent uniquement littéraires. Une étude sur la littérature médiévale islandaise, est-ce un texte politique, est-ce un texte théâtral ? Nous attribuons à ces textes littéraires, pour les appeler ainsi, la mission de créer de l’espace entre les textes politiques, à les situer les uns par rapport aux autres, à créer des distances relatives. Ces textes, nous le soupçonnons, sont comme l’ADN poubelle de nos cellules, qui ne comporte pas d’information, qui n’est pas codant, mais qui est là pour créer de la place entre les séquences qui, elles, contiennent de l’information. De toutes façons, ces textes sont très minoritaires ; en réalité, ils ne nous intéressent pas vraiment.
Nous avons, nous aussi, créé une association appelée Théâtre Qraob. Il fallait, pour que je puisse incarner SN, que mon milieu se rapproche autant que possible de ce que nous savons du sien.
Il y a des corrélations entre nos activités et les manifestations de Timburbrou dans notre monde. Nous appelons ces manifestations les occurrences. Nous pensons, sans pouvoir, je le concède, le démontrer, que plus nos activités se rapprochent de celles de « Théâtre Qraob ». (les guillemets désignent l’association de Timburbrou, les italiques, la nôtre), plus nous obtenons des occurrences.
Nous progressons lentement, mais nous progressons. Nous espérons que dans un futur pas trop lointain, nous aurons des occurrences en nombre suffisant pour pouvoir dégager des patterns, comme disent les statisticiens, qui nous aident bénévolement. Nous pourrons alors orienter nos actions vers celles qui sont associées au plus grand nombre d’occurrences, au lieu de nous en remettre, comme nous le faisons maintenant au hasard de nos intuitions.
Pour le moment, nous varions nos activités et reproduisons celles qui se traduisent par la plus grande densité d’occurrences. Nous choisissons, évidemment, des actions qui nous paraissent justes. Non par impératif éthique, mais parce que nous pensons que les activités de nos alter egos sont dictées par des motivations morales. Nous pensons qu’en adoptant la même démarche, qu’en agissant de façon sincère, nous augmentons les chances de susciter des occurrences.
Pendant son temps libre, SN participe aux activités de « Marches et Récits ». Nous comprenons que les membres de ces espèces de clubs lisent beaucoup -dans plusieurs langues- et se retrouvent une fois par semaine dans différents lieux. Les participants marchent et se parlent de ce qu’ils ont lu.
Avant d’avoir connaissance de l’existence de Timburbrou, avant de devenir SN, j’animais un groupe de lecture de la revue de vulgarisation scientifique Epsiloon. Nous nous réunissions une fois par semaine pour partager nos impressions. C’est de ce groupe qu’est née notre association, après que plusieurs de ses membres ont constaté des occurrences.
La révélation se produisit un soir. Il pleuvait. Nous nous étions abrités sous un kiosque à musique (nos discussions se déroulaient à l’air libre à chaque fois que cela était possible ; c’est une habitude qui se généralisé après la Pandémie). L’un de nous eut le courage d’évoquer les événements étranges qui, depuis des semaines, survenaient dans sa vie. Lorsque les autres membres du groupe avouèrent en connaître des semblables, nous éprouvâmes le soulagement de ne pas être fous, mais, surtout, de la peur et de la perplexité.
Qu’est-ce donc que Timburbrou ?
Un monde parallèle. Nous disons que Timbrubrou est un monde parallèle, mais, en réalité, il pourrait être beaucoup d’autres choses. Dire que Timburbrou est un monde parallèle, c’est moins formuler une hypothèse que faire appel à la façon la plus imparfaite d’évoquer de que nous savons de lui.
Ce que nous savons de Timburbrou, c’est que c’est un monde dont certaines régions sont, pour autant que nous puissions l’affirmer, identiques à des parcelles du nôtre. Nous savons aussi que les lois qui gouvernent sa physique sont les mêmes que celles qui régissent notre univers. Il semble que les événements de Timburbrou précèdent légèrement ceux de notre univers.
Certains d’entre nous récusent l’expression univers parallèle. Ils considèrent, non sans raison, qu’à partir du moment où Timburbrou se manifeste dans notre monde, il fait partie de notre monde. Ils préfèrent considérer que certaines régions de notre univers ont acquis la capacité de se répliquer, de se cloner, en quelque sorte. Mais ces clones font partie de nous, de notre univers.
Ce qui importe, cependant, au-delà d’une querelle qui ne peut pas être tranchée pour le moment, c’est que nous avons tous constaté 1, l’existence d’un monde similaire au nôtre et 2. que, sous certaines circonstances, des portes s’ouvrent qui permettent à nos deux univers de communiquer entre eux.
L’hypothèse a été émise que Timburbrou serait notre futur. Cette hypothèse a semblé prometteuse ; certains ont un temps caressé l’espoir de trouver le moyen d’accélérer notre temps et de parvenir alors à une synchronisation parfaite avec Timburbrou. Il faut cependant rappeler ce que nous disions plus haut : il est des régions de Timburbrou qui ne semblent pas avoir d’équivalent dans notre univers.
Une autre différence nous intrigue et nous inquiète : nous n’avons jamais trouvé à Timburbrou l’équivalent de notre activité, c’est-à-dire, des gens qui, comme nous, chercheraient à multiplier les liens vers notre univers. Prévisiblement, nous n’avons pas trouvé d’occurrences de notre univers à Timburbrou ; tout se passe comme si Timburbrou ignorait pleinement notre existence, hormis peut-être dans quelques êtres de fiction, comme ce SN que je m’efforce d’être, et dans lesquels certains ont crû trouver quelques ressemblances avec eux ou avec d’autres membres du groupe.
Nous pensons, sans pouvoir le démontrer, que les canaux entre mondes parallèles (je continuerai d’employer, par commodité, cette expression) sont d’autant plus nombreux que les faits qui surviennent dans les deux univers sont proches. C’est cette conviction qui nous conduit, à chaque fois que nous avons des informations sur un événement dans le monde parallèle, à tout mettre en œuvre pour reproduire ici ce qui s’est passé là-bas.
Ces pages, lecteur, tu t’en es déjà douté, peut-être, sont la tentative d’écrire l’ouvrage que mon alter ego rédige dans son monde.
Elles sont la chronique de nos actions et cette chronique est une action en elle-même. C’est ce qui explique, du reste, que tu trouveras dans la liste des actions entreprises celle d’élaborer cette chronique. La liste de toutes les actions entreprises doit-elle contenir la liste des actions entreprises ? Nous avons décidé que oui.
Lecteur, cette chronique obéit à un autre objectif : celui de t’inviter à amplifier nos actions. Nous voulons que tu sois aussi un membre de Théâtre Qraob, nous voulons que tu participes à nos actions et que tu nous aides ainsi à multiplier les canaux qui nous unissent au monde parallèle de Timburbrou.
Dans ce qui suit, tu trouveras tout ce que nous savons des actions entreprises à Timburbrou. Tu verras que nous avons peu d’éléments et que, souvent, il s’agit d’événements anodins. Nous aurions aimé, bien entendu, être exhaustifs, mais nous ne le pouvons pas. Nous te donnons tout ce que nous avons. Parfois, nous suggérons des manières de combler ce que nous ne savons pas, c’est-à-dire que nous te suggérons des actes que nous estimons raisonnable de penser qu’ils ont posés, entre les lignes de nos récits partiels.
Nous te souhaitons une bonne lecture de cette chronique, ami. Mais, surtout, nous souhaitons que tu agisses avec nous.