Il y a deux affaires Sandoval-Blanquer. La première est celle des conditions qui ont permis à un ancien policier argentin soupçonné dans 500 disparitions d’être embauché dans l’IHEAL (Institut de Hautes Études d’Amérique Latine) que dirigeait Jean-Michel Blanquer et d’être reconduit dans ses fonctions cinq années de suite. La deuxième est celle d’un silence : celui du ministre de l’Education nationale qui n’estime pas avoir à assumer la responsabilité de ce qui, au mieux, apparaît comme une invraisemblable erreur.
Mario Sandoval est un ancien policier argentin qui fut extradé par la France vers son pays en décembre 2019. Pour des raisons juridiques, l’extradition ne porte que sur un cas, mais Mario Sandoval est soupçonné dans son pays d’avoir participé à plus de 500 faits de meurtres, tortures et séquestrations pendant la dictature militaire, qui a duré de 1976 à 1983 (Le Monde, 15-12-2019). Mario Sandoval fut embauché par M. Blanquer à l’IHEAL en 1999. En 2004, Mme. Zagefka, succédant à M. Blanquer à la tête de l’institut, mit un terme aux fonctions de M. Sandoval. En parallèle de ses fonctions d’enseignant, M. Sandoval a conseillé les AUC (Autodéfenses Unies de Colombie), groupe paramilitaire et terroriste auquel sont imputés 150.000 assassinats et qui a été l’un des principaux exportateurs vers l’Europe de cocaïne, ainsi que l’a révélé Le Monde diplomatique en 2007.
Il peut se concevoir, parce que des erreurs invraisemblables surviennent parfois, que monsieur Blanquer ait mis ses étudiants entre les mains d’un tel maître par erreur. Il n’en reste pas moins que les erreurs doivent être assumées et que, dans une structure pyramidale comme celle d’un institut universitaire, c’est à celui qui se trouve à sa tête de le faire.
Jean-Michel Blanquer doit donc s’expliquer.
L’homme qui s’en est pris avec virulence aux islamo-gauchistes qui, prétendument, gangrènent l’université ; celui qui a attaqué un syndicat pour l’emploi d’un mot banal en sciences sociales dans l’intitulé d’un stage destiné à ses adhérents, celui qui a inscrit dans le code de l’éducation un devoir d’exemplarité pour les enseignants au moyen d’une loi portant pour titre Pour une école de la confiance peut-il garder le silence ? Peut-il ne rien dire à ses étudiants, dont il a (par mégarde, par légèreté ?) trahi la confiance ?
Mais, au-delà de la vertu civique que nous sommes en droit d’attendre de nos dirigeants, cette vertu qui fait, qui devrait faire, que l’on rend compte de ses actes et qu’on assume les responsabilités qui découlent d’eux, l’affaire Sandoval-Blanquer dévoile les faiblesses d’une opinion publique française qui n’a pas été en mesure d’exiger que lui soient données les réponses qu’elle était en droit d’exiger. Lorsque les interrogations portant sur les années passées par Sandoval à l’IHEAL se firent jour, la presse se contenta de quelques déclarations du cabinet du ministre, de celles de quelques anciens collègues, et ce fut tout. Le ministre ne savait pas, on se le tint pour dit. Ceux qui s’interrogèrent, ceux qui eurent l’audace de demander des explications ? Des gens hostiles au ministre.
Deux ans après l’extradition de monsieur Sandoval, aucune responsabilité institutionnelle n’a été assumée. Tout se passe, nous le notons avec incrédulité, comme si mettre des étudiants pendant cinq années entre les mains d’un maître qui s’était mis lui-même au service de l’une des pires dictatures d’Amérique latine et du pire des groupes terroristes et narcotrafiquants du continent n’appelait pas de débat particulier.
C’est ce silence que nous voulons dénoncer ici, celui d’une délibération qui n’a pas eu lieu, d’une délibération mort-née.
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