A Lille, le 15 février 2022.
Monsieur le premier ministre,
s/c du chef d’établissement,
J’estime nécessaire de porter à votre connaissance l’échange que j’ai eu avec l’UE, que j’ai interrogée au sujet de l’Observatoire des libertés académiques dont s’est prévalue la ministre Vidal pour évoquer l’islamo-gauchisme qui gangrènerait les universités françaises. J’ai interrogé l’UE parce que la ministre a affirmé que l’Europe avait adhéré audit observatoire.
Avant de m’adresser à l’UE, j’avais saisi sans résultat la PRADA du ministère de la Recherche et la ministre elle-même par la voie hiérarchique. Le journal Libération a échoué à identifier l’observatoire dont parle madame Vidal et la ministre n’a pas donné suite à ses sollicitations.
Il y a quelques jours, devant le Sénat, madame la ministre s’est derechef référée à ces travaux.
L’UE me renvoie au Global Observatory on Academic Freedom, mais, comme je l’indiquais plus haut, la ministre affirme que l’Europe a adhéré à l’observatoire dont elle parle, alors que l’UE écrit :
L’initiative https://opensocietyuniversitynetwork.org/research/projects/global-observatory/ n’est pas un programme de l’UE, nous ne pouvons donc fournir aucune information à son sujet.
Quant à la PRADA du ministère de la Recherche, elle me répond étrangement :
Je vous informe que les documents demandés, qui auraient été établis par le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et recensant les évènements universitaires, colloques ou congrès empêchés en France n’existent pas.
Par ailleurs, dans la mesure où les publications des observatoires mondiaux ou européens ainsi que les classements de la France en matière de libertés académiques sont en libre accès sur internet et diffusés sous la responsabilité des structures concernées, ces documents ont fait l’objet d’une diffusion publique au sens du quatrième alinéa de l’article L. 311-2 du code des relations entre le public et l’administration et ne relèvent pas du droit à la communication des documents administratifs.
Je vous prie de bien croire, Monsieur, en l’expression de ma sincère considération,
https://sebastiannowenstein.org/2022/01/12/ministre-vidal-letrange-reponse-de-la-prada-du-ministere-saisine-de-la-cada/
Libération envisage la possibilité que l’observatoire cité par la ministre soit celui auquel me renvoie l’UE. Cependant, les membres de l’Observatoire, interrogés par le journal, n’ont pas connaissance des travaux cités par la ministre :
« Tous s’étonnent des propos de la ministre. Pour commencer, ils ne comprennent pas bien comment elle peut parvenir à des conclusions sur l’état des libertés académiques en France, alors que l’Observatoire n’a, à ce stade, publié aucune analyse. «De premiers travaux sont en cours et seront publiés, mais ce n’est pas encore le cas, explique Danièle Joly. »
En outre, prendre connaissance des positions du GOAF, c’est comprendre qu’il est impossible que la pensée de la ministre se soit nourrie de ses travaux. Si madame Vidal avait accordé un quelconque crédit à ces derniers, elle se serait démise. Lisons, en effet, ce qu’écrit le directeur ce cet observatoire :
L’Europe est aux prises avec une crise des libertés académiques. L’éclat récent de la Ministre Frédérique Vidal et ses menaces à l’encontre des universités, au prétexte d’un prétendu islamo-gauchisme, en est un récent symptôme.
(…)
En France, la Ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation accuse les universités d’être gangrenées par un supposé islamo-gauchisme et soutient que le gouvernement doit impérativement intervenir. Elle se targue de défendre les libertés académiques, tout en jetant la suspicion sur certains thèmes et domaines de recherche qui seraient malvenus, tels les études postcoloniales.
(…)
La Ministre Vidal et le gouvernement français ont justifié leur offensive contre la recherche et l’enseignement dans les universités, non seulement en s’appuyant sur des arguments politiques et légaux (l’obligation de protéger l’état de droit et de combattre le terrorisme), mais aussi en forgeant leur propre interprétation de ce qu’est et n’est pas la liberté académique, à l’aide d’une définition implicite convoquée pour l’occasion, mais qui s’inscrivait dans le cadre d’un glissement vers l’extrême droite.
(…)
Malgré leurs différences quant à l’idéologie et leur position à l’égard de l’état de droit et des pratiques démocratiques, Frédérique Vidal (et avec elle Emmanuel Macron), Viktor Orban, Recep Tayyip Erdogan et bien d’autres, se rejoignent quand ils brouillent les cartes sur la notion de libertés académiques ou simplement tirent parti du fait qu’elle est tellement floue en Europe.
https://blogs.mediapart.fr/liviu-matei/blog/230321/l-islamo-gauchisme-la-france-et-la-crise-des-libertes-academiques-en-europe
Un autre membre éminent du GOAF, le professeur Michel Wieviorka, déclare à Libération au sujet de la ministre :
« Elle parle de ce qu’elle ne connaît pas. Soit elle mélange soit elle est dans l’ignorance », renchérit Michel Wieviorka. D’autant plus que, assure le sociologue, « s’il y a bien un thème sur lequel l’Observatoire est en désaccord avec elle, c’est sur l’idée que l’islamo-gauchisme gangrène les universités françaises ».
Quel est donc l’observatoire sur lequel la ministre prend appui ? Les chances pour qu’un observatoire des libertés académiques qui ne soit pas le GOAF, auquel l’Europe adhère sans le savoir et qui, inconnu sur Internet, publie des résultats qui confirment les dires de la ministre de façon suffisamment publique pour que la PRADA du ministère estime ne pas devoir me les communiquer mais suffisamment cachée pour que ni Libération ni moi ne les trouvions paraissent faibles.
Se peut-il que madame la ministre ait désinformé le Sénat et l’opinion publique en invoquant un observatoire qui n’existe pas ? Aurait-elle inventé, rêvé, imaginé un observatoire qui viendrait lui donner raison après des déclarations polémiques ? Aurait-elle cru que sa parole pouvait générer des faits ou des instances alternatifs et aurait-elle, de ces faits et instances, cherché à accréditer la réalité ?
Cela ne se conçoit pas. Les faits exposés ici, pourtant, créent l’apparence que tel est le cas.
Il me semble urgent, monsieur le premier ministre, que cette apparence soit dissipée.
Pourriez-vous instruire madame la ministre Vidal pour que -en application de la loi de 78 sur la transparence- elle me communique les travaux sur lesquels elle prend appui ?
Dans l’attente de votre réponse, je vous prie d’agréer, monsieur le Premier ministre, l’expression de mes salutations les meilleures.
S. Nowenstein,
Professeur agrégé.
Annexe.
Echange avec l’UE.
Cher M. Nowenstein,
Merci d’avoir contacté le centre d’information Europe Direct.
Nous vous informons qu’en notre qualité de service d’information générale de l’Union européenne, nous répondons aux questions sur l’UE, ses activités et ses institutions.
L’initiative https://opensocietyuniversitynetwork.org/research/projects/global-observatory/ n’est pas un programme de l’UE, nous ne pouvons donc fournir aucune information à son sujet.
Nous vous conseillons de consulter les organisateurs.
Par ailleurs, veuillez noter que les systèmes éducatifs relèvent de la compétence des gouvernements des États membres de l’UE, qui peuvent appliquer leurs propres règles. Nous vous encourageons à contacter le ministère de l’éducation du pays qui vous intéresse pour connaître la législation nationale en vigueur.
Vous pouvez également consulter des informations générales sur les systèmes éducatifs de l’UE en cliquant sur le lien suivant :
https://eacea.ec.europa.eu/national-policies/eurydice/national-description_en (disponible en anglais)
Nous espérons que vous avez trouvé ces informations utiles. Nous restons à votre disposition pour d’autres questions sur l’Union européenne, ses activités ou ses institutions.
Created on: 2022-02-10 16:54:03
Preferred contact language: fr
Alternative contact language: –
Add to europe mailing list: Yes
Bonjour,
Madame Vidal, ministre de la Recherche de France, a déclaré devant le Sénat de son pays :
« Au-delà, une université du nord de l’Europe, en lien avec des universités canadiennes, me semble-t-il, a proposé de mettre en œuvre une surveillance mondiale de la question des libertés académiques au sein de l’Observatoire mondial des libertés académiques.
L’Europe a adhéré à cet observatoire, qui, à partir d’un certain nombre de critères, évalue le niveau des libertés académiques dans les différents pays. La note maximale est égale à 1 et, de mémoire, la France affiche un score de 0,881. Je me réjouis certes que nous fassions partie des pays classés entre 0,8 et 1, mais c’est tout de même la moindre des choses. »
Je souhaite disposer de toute information concernant cet observatoire auquel l’Europe a adhéré qui serait en votre possession.
Une démarche comparable entreprise auprès du ministère de la Recherche français n’a pas abouti : aucune référence ou document ne m’a été transmise. Les médias français qui ont cherché à identifier les sources de madame la ministre ont aussi échoué :
Meilleures salutations,
S. Nowenstein