Chères et chers élèves,
Certains parmi vous pensent que la France fait un usage à géométrie variable de ses valeurs. Ils pensent que la République est hypocrite. Ils pensent qu’il est hypocrite de brandir des valeurs (ou des principes, il règne une certaine confusion sur le sujet) pour interdire les habits trop amples et, en même temps, de ne pas s’y référer pour agir afin qu’Israël cesse de bombarder Gaza. Ils pensent aussi que si le président Macron déclare que les bombardements russes qui, en Ukraine, frappent les infrastructures sont des crimes de guerre, il devrait déclarer la même chose au sujet des bombardements israéliens qui frappent Gaza. Vous formez d’autres griefs à l’égard de la République, je le sais : j’ai juste pris deux exemples tirés de l’actualité récente.
Vous l’avez remarqué : parfois, au lieu de dire la France ou l’État, on dit la République. En général, on le fait quand on recherche une certaine solennité, quand on veut insister sur la portée politique de son propos ou quand on veut s’inscrire dans une tradition qui dépasse la politique quotidienne. On dit que la République assure la liberté de conscience, mais pas qu’elle a gagné la coupe du monde de foot. J’utilise le mot République ici dans ce sens solennel ou politique.
Peut-on adhérer aux valeurs de la République alors que, pense-t-on, cette dernière les bafoue ?
On peut.
Il faut, d’abord, se dire que les valeurs de la République ne lui sont en rien propres. De nombreux pays, avec, parfois, d’autres mots, les revendiquent. Égale dignité de tous les êtres humains, liberté, égalité, fraternité… : de ces valeurs, il est banal de se réclamer. Je dirais que tous les pays de l’Union européenne le font et l’Union elle-même le fait aussi.
S’en réclamer, en vérité, est aisé. Agir en conformité avec ces valeurs l’est moins. Dans un État de droit, du reste, on évite, en général, d’appliquer directement les valeurs. On préfère qu’elles inspirent des lois, lesquelles doivent être plus précises que les valeurs. Donner mission à un juge d’appliquer une valeur, ce serait lui donner un pouvoir infini, car ces valeurs, qui sont abstraites, sont susceptibles d’une infinité d’interprétations. C’est pour cela aussi que les juges n’appliquent pas la constitution directement. Mais je reviendrai sur ce sujet plus tard. L’essentiel, c’est, d’une part, de rappeler que les valeurs de la République ne sont pas propres à la République et, d’autre part, qu’elles ne trouvent pas, en principe, à s’appliquer de façon automatique dans la façon dont l’État agit.
Il faut ensuite se dire que ce n’est pas parce que quelqu’un dont vous réprouvez les actes se réclame de valeurs bonnes que celles-ci cessent de l’être. Une chose, c’est le gouvernement et ses politiques et les valeurs dont la société se réclame en sont une autre .
Il faut enfin remarquer que ces valeurs n’appartiennent pas à ceux qui exercent le pouvoir, mais à la société entière et, aussi, à chacun de nous en particulier. L’École, du reste, cherche à vous y faire adhérer. La République, en donnant une telle mission à l’École, veut que chaque élève y adhère.
Il ressort de ce qui précède que vous pouvez vous prévaloir de ces valeurs communes, partagées ou proclamées si vous voulez contester une politique. Vous pouvez, ainsi, en appeler à l’égale dignité de tous les êtres humains si vous estimez que le gouvernement français méconnait (c’est-à-dire, ne respecte pas) cette valeur dans sa politique à l’égard d’Israël.
Vous pouvez, en somme, adhérer aux valeurs de la République, malgré la République ou même contre la République.
Sebastian Nowenstein, professeur agrégé.