Je fais l’objet d’une enquête préliminaire pour apologie du terrorisme après que, en solidarité avec le secrétaire de l’UD CGT du Nord, j’ai écrit à la procureure pour m’accuser du même délit que celui pour lequel mon camarade était poursuivi.
J’ai écrit qu’il est raisonnable d’établir un lien de causalité entre l’oppression du peuple palestinien par Israël et les attaques du 7 octobre 2023. J’ai constaté aussi que, parce qu’il résiste à l’occupation par Israếl, le Hamas peut être qualifié de mouvement de résistance. J’ai dit aussi, sur la base du précédent Lafarge, que, parce qu’Israël a financé le Hamas et œuvré à son renforcement, la complicité de ce pays avec les crimes commis par le hamas pouvait être recherchée. Je me sais, bien entendu, totalement innocent de l’infraction dont je m’accuse. Mais, à mon estime, mon camarade l’était aussi, et, pourtant, il a été condamné.
Pour me défendre, je mets en place une défense publique participative, qui consiste à publier les bases de ma défense et à solliciter les commentaires de celles et ceux qui pourraient contribuer à l’améliorer.
Les remarques que l’on va lire portent sur le jugement de condamnation du secrétaire de l’UD CGT du Nord. Il est clair que, pour me défendre, je dois combattre ce jugement. Je dois le discréditer, au sens où je dois abolir le crédit qui lui est attaché. Ce faisant, je me rends passible de poursuites pour une autre infraction, celle que définit l’article 434-25 du Code pénal, lequel réprime le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance.
Je ne manquerai pas d’informer la procureure de la publication de ces remarques, ainsi que de deux autres notes susceptibles de caractériser, à ses yeux, l’infraction précitée. De cette infraction, comme de celle d’apologie du terrorisme, je m’estime innocent. Je pense que me poursuivre, porterait atteinte de façon abusive à ma défense, celle que j’ai choisie impliquant la libre circulation et publication de mes arguments :
- L’État fait-il l’apologie du terrorisme ?, 22 juin 2024
- Du principe de parcimonie judiciaire et des poursuites que sa défense peut engendrer, 22 juin 2024
Le lecteur qui le souhaite peut consulter les deux courriers adressés à ce jour à madame la Procureure :
- Je m’accuse d’apologie du terrorisme (II). Lettre à la Procureure, 15 juin 2024
- Je m’accuse d’apologie du terrorisme et en informe la Procureure, 23 octobre 2023
et celui que j’ai adressé à l’officier de police qui m’a auditionné pour verser d’autres documents au dossier :
Je propose enfin le compte rendu de l’audience du secrétaire de l’UD CGT du Nord, que j’ai effectué après avoir assisté à la plus grande partie de celle-ci :
- Apologie du terrorisme, quelques notes personnelles, 2 avril 2024
Des faits déformés.
Dans le jugement, le tribunal évoque plus d’un millier de civils qui auraient trouvé la mort, alors que, selon les autorités israéliennes, ce sont 695 civils ont été tués.
Le tribunal parle de violences sexuelles d’ampleur. À l’époque, les violences sexuelles, dénoncées par les autorités israéliennes, n’avaient pas été établies de source indépendante. On sait aujourd’hui que les accusations de viols massifs et systématiques qui auraient été utilisés comme arme de guerre n’ont jamais été étayées.
Sur ce sujet, le tribunal ne semble pas faire la différence entre les faits établis et la propagande israélienne. Pourtant, au moment où le tribunal écrit, le caractère souvent outrancièrement mensonger de cette dernière est largement documenté et établi (voir, par exemple, infra, le courrier adressé à la ministre Bergé). Il faut noter que le tribunal n’est pas le seul à reprendre à son compte la propagande israélienne. Les médias les plus respectables l’ont fait aussi. Le New York Times s’est particulièrement illustré en la matière (voir The Intercept). La ministre Bergé a fait montre d’un zèle étonnant sur lequel je l’ai interrogée par la voie hiérarchique :
- Les vérités alternatives de la ministre Bergé et les associations féministes. Par la voie hiérarchique. 21 février 2024
- Les vérités alternatives de la ministre Bergé. Par la voie hiérarchique, II. 7 mars 2024
Un jugement qui ignore la jurisprudence européenne.
Le jugement choisit d’ignorer la jurisprudence européenne, pourtant claire. Rouillan a fait de l’apologie du terrorisme et il ne pouvait pas être condamné à de la prison. Le syndicaliste n’a pas fait de l’apologie et il a été condamné à la prison.
De ce qui est incongru et de ce qui ne l’est pas. De ma perplexité.
Le paragraphe suivant suscite ma perplexité :
Les propos tenus plus loin, selon lesquels « la propagande médiatique, totalitaire, nous présente scandaleusement les conséquences comme des causes, les occupés comme terroristes et les occupants comme victime », parachèvent d’éclairer le sens des propos incriminés. En effet, il ne pourra être valablement soutenu que dans le contexte d’un tract répondant précisément aux événements du 7 octobre, les occupants seraient l »Etat d’Israël » et les occupés les Palestiniens, ce qui n’auraient en outre aucun sens, car ceux qui sont selonles auteurs du tract, présentés comme terroristes sont les membres du Hamas et non pas les palestiniens dans leur ensemble. Il serait parfaitement incongru que Jean-Paul DELESCAUT lui-même puisse exposer qu’un amalgame puisse être fait entre la population palestinienne et les terroristes du Hamas. II le serait tout autant de considérer qu’il faille écarter la circonstance de temporalité du tract et ne pas le remettre précisément dans le contexte susmentionné.
On ne comprend pas pourquoi les occupants ne seraient pas l’État d’Israël (qui d’autre ?) et les victimes les Palestiniens. On ne comprend pas pourquoi on ne protesterait pas contre une propagande médiatique, totalitaire, qui a fait, aux yeux des auteurs du tract, de tous les Palestiniens des terroristes, alors qu’après les attaques, des propos assimilant tous les Palestiniens, quel que fût leur âge, à des terroristes se sont multipliés. Le sens du syntagme « les occupés comme les terroristes » est limpide. Le tribunal veut croire que, dans l’esprit des auteurs du tract, les occupés sont uniquement les terroristes. Il n’apporte aucun argument pour justifier la restriction du sens du syntagme qu’il veut opérer. Le tract, évidemment, n’assimile pas les Palestiniens aux terroristes, puisqu’il proteste contre cette assimilation. Le raisonnement du tribunal est tellement confus qu’il donne à voir une volonté de trouver ou de construire l’infraction en faisant dire à une phrase ce qu’elle ne dit pas. Rappelons, comme maître Alimi l’a fait pendant l’audience, que le mot Hamas n’apparaît pas dans le tact.
Le syntagme « les occupants comme victime » ne peut pas être détaché de celle à qui il est imputé, à savoir, selon les auteurs, la propagande médiatique totalitaire. Que l’occupant israélien ait été présenté comme victime est exact. Que le communiqué déplore toutes les victimes civiles l’est aussi. On peut donc comprendre que le tract déplore un regard biaisé qui voit exclusivement l’occupant comme victime et qu’il rattache ce regard à ce qu’il qualifie de propagande totalitaire, qui ne se confond pas avec l’ensemble de la presse occidentale. Le tribunal a voulu comprendre que le tract défendait le Hamas et qu’l refusait la qualité de victimes aux victimes. Cette compréhension tendancieuse doit pouvoir être effectuée dans une société libre. Elle ne devrait pas fonder la condamnation d’un syndicaliste à un an de prison.
De la définition du terrorisme et du Hamas en tant qu’organisation terroriste.
L’AFP écrit : L’emploi du mot terroriste est extrêmement politisé et sensible. De nombreux gouvernements qualifient d’organisations terroristes les mouvements de résistance ou d’opposition dans leurs pays. De nombreux mouvements ou personnalités issus d’une résistance un temps qualifiée de terroriste ont été reconnus par la communauté internationale et sont devenus des acteurs centraux de la vie politique de leur pays. L’exemple le plus emblématique est sans doute Nelson Mandela.
L’AFP écrit aussi : Conformément à sa mission de rapporter les faits sans porter de jugement, l’AFP ne qualifie pas des mouvements, groupes ou individus de terroristes sans attribuer directement l’utilisation de ce mot ou sans utiliser des guillemets.
La BBC fait de même.
Ne pas qualifier le Hamas de mouvement terroriste n’est pas constitutif d’apologie du terrorisme. Déplorer le deux poids deux mesures ne l’est pas davantage. Estimer que la propagande médiatique totalitaire accole sans souci d’équilibre le mot terroriste au Hamas non plus.
Dans Le Monde, Madame la Présidente du tribunal explique :
Le terrorisme, c’est un crime national, chaque Etat le définit. C’est là toute la difficulté.
Si un acte terroriste est un acte ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, comme le dit l’article 421-2-6 du Code pénal français, alors le Hamas est terroriste et Israël l’est aussi. C’est la position que j’ai adoptée quand j’ai écrit à la procureure pour m’accuser d’apologie du terrorisme.
La multiplicité des définitions du mot terrorisme et l’emploi politique qui en est fait rend légitime la critique de l’usage dominant qui veut que les actes du Hamas en relèvent alors que ce n’est pas le cas de ceux d’Israël.
Le jugement semble pourtant s’inscrire en faux contre ces considérations. Il en appelle à la communauté internationale, dont elle se fait l’interprète, à l’inscription du Hamas dans les listes d’organisations terroristes de l’Union européenne et aux qualifications employées par les juridictions françaises devant le Parquet National antiterroriste :
Selon ces propos, les actes de terrorisme du 7 octobre, qualifiés comme tel (sic) par la communauté internationale mais également et surtout par les juridictions françaises elles-mêmes devant le Parquet national anti-terroriste, seraient alors justifiés par la politique de l’Etat d’Israël comme intimement liés à cette dernière.
Mais pourquoi formuler ces considérations quand personne, ni la CGT, ni la BBC, ni l’AFP n’est obligé d’endosser cette qualification et quand le tract incriminé ne nie pas le caractère terroriste de l’attaque ? Pourquoi les formuler, alors que prévenu avait qualifie pendant l’audience les attaques du 7 octobre de terroristes ?
Ce que le tribunal avait à juger n’était pas le caractère terroriste ou non de l’attaque, mais le caractère supposément apologétique du tract. Le tribunal agit ici comme ces magiciens qui attirent notre attention pour mieux pouvoir réaliser un tour de passe-passe, celui qui consiste à substituer au verbe provoquer, celui employé dans le tract, le verbe justifier.
De l’interprétation : quand justifier remplace provoquer.
Le tract dit que la réponse a été provoquée par l’oppression israélienne.
Provoquer : C. Provoquer qqc.
1. a) Qqc./qqn provoque qqc. Faire naître, être à l’origine de, susciter. Synon. causer. Tout ce qui est conventionnel provoque une réaction en sens contraire : il est impossible qu’une mode soit durable (RENAN, Avenir sc., 1890, p. 442). V. amener ex. 33, asocial ex. 2, commentaire ex. 3, dégoût ex. 5, évaporation A ex. de Stocker :
2. Les exigences nouvelles de notre civilisation nous font désormais un devoir (…) de chercher le moyen de provoquer l’effort intellectuel, de faire naître la volonté d’apprendre chez le plus grand nombre possible d’enfants.
L. CROS, Explosion scol., 1961, p. 93.
SYNT. Provoquer un effet, une réaction; provoquer un événement, un phénomène; provoquer (de) l’admiration, l’attendrissement, l’émotion, l’émulation, l’enthousiasme, l’étonnement, l’exaltation, l’intérêt; provoquer (de) l’affolement, l’agitation, l’angoisse, l’indignation, l’irritation; provoquer du/le chagrin, le mécontentement, le mépris, le rire; provoquer la sympathie; provoquer (de) la colère, la curiosité, la jalousie, la pitié; provoquer une rencontre; provoquer un accident, un conflit, un drame, un éclat, un esclandre, un incident, un massacre, un scandale; provoquer une bagarre, une controverse, une crise, une démission, une dispute, une émeute, une guerre, une révolution; provoquer un choc, un court-circuit, une explosion, des dégâts; provoquer du/le chômage; provoquer l’effondrement, la hausse des prix; provoquer des dépenses; provoquer un débat, une discussion, une consultation, une enquête; provoquer une décision, une réponse; provoquer des aveux, des confidences, des explications; provoquer des commérages, des protestations, des réflexions, des remous, des représailles.
Absol. Le plus artiste sera d’écrire, par petits bonds, sur cent sujets qui surgiront à l’improviste (…) De la sorte, rien n’est forcé. Tout a le charme du non voulu, du naturel. On ne provoque pas : on attend (RENARD, Journal, 1887, p. 6).
Source : http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/advanced.exe?8;s=417856005;
Le tract établit un lien de causalité entre l’occupation israélienne et les attaques du 7 octobre 2023. Ce lien est vraisemblable.
Conscient que ce lien vraisemblable ne saurait constituer une apologie du terrorisme, le tribunal choisit de réécrire le texte. Réécrit par ses soins, le tract justifie les attaques du Hamas. Réécrit par lui, le tract affirme que les attaques étaient inéluctables (ce qui, au demeurant, ne constituerait pas une apologie du terrorisme). Réécrit par lui, le tract dit que les attaques constituerait une solution.
Les craintes de la CGT étaient justifiées. Le sentiment d’urgence aussi. Des circonstances extrinsèques.
Lorsque le tract paraît, les bombardements israéliens avaient déjà commencé et le ministre de la défense israélien Yoav Gallant avait déjà déclaré « « Nous combattons des animaux humains ». Au moment où le tribunal rédigeait son jugement, la Cour internationale de justice (CIJ) avait déjà enjoint Israël de prendre toutes mesures destinées à empêcher la commission d’un génocide :
1) « Prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte » contraire à la convention sur le génocide 2) « Prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza » 3) « Prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence » 4) « Veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette pas » les actes prohibés par la convention de 1948. 5) « Prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations » d’actes génocidaires.
Source : https://www.monde-diplomatique.fr/2024/02/ROBERT/66549
Qu’Israël, après les attaques du 7 octobre, bombarderait avec férocité Gaza, cela était prévisible. Il est, par exemple, « connu et documenté » que ce pays s’est doté d’une doctrine militaire qui légitime l’emploi d’une force disproportionnée contre la population civile. Il s’agit de la doctrine « Dahiyja » exposée en ces termes par le général Eisenkot :
« What happened in the Dahiya quarter of Beirut in 2006 will happen in every village from which Israel is fired on, » « We will apply disproportionate force on it (village) and cause great damage and destruction there. From our standpoint, these are not civilian villages, they are military bases, »
« This is not a recommendation. This is a plan. And it has been approved, »
Source : https://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-3604893,00.html
Le samedi 7 octobre 2023, le premier ministre israélien déclarait : « Partez maintenant, car nous allons opérer puissamment partout. » (la déclaration est disponible ici). Les Palestiniens, bien entendu, n’avaient nulle part où aller : il leur fallut attendre le déluge de bombes que monsieur Netanyahou annonçait.