À Lille, le 3 décembre 2024
Monsieur le Président,
s/c du chef d’établissement
On ne vous oublie pas ».
E. Macron, Le Monde
Le dimanche 17 novembre 2024, dans l’église de Santa Cruz, à Buenos Aires, Argentine, vous avez dit : « On ne vous oublie pas ».
Vous parliez à des familles des disparus de la dictature militaire argentine, qui régna par la terreur entre 1976 et 1983.
Pourtant, la France organise l’oubli des accords qui la lièrent à l’Argentine et qui la conduisirent à mettre des assesseurs militaires à la disposition de l’armée de ce pays. Cette dernière s’inspira des techniques antisubversives appliquées en Algérie pour réprimer avec férocité toute dissidence. La France organise cet oubli en affichant, dans le site de son ambassade en Argentine, une liste des accords ayant existé entre la France et l’Argentine qui omet les accords mentionnés plus haut (ANNEXE I).
Voici trois ans, j’écrivais à l’ambassadrice française en Argentine (ANNEXE I) pour appeler son attention sur le caractère incomplet de la liste, puis au ministre des Affaires étrangères (ANNEXE III), et enfin, devant l’absence de réaction de l’une comme de l’autre, au premier ministre (ANNEXE IV). Les deux derniers courriers furent adressés par la voie hiérarchique. À ce jour, la liste de l’ambassade ignore toujours l’Accord modifiant l’accord du 11 février 1960 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République argentine concernant la mission d’assesseurs militaires français à la disposition de l’armée argentine, de 1970, et l’Accord mettant à la disposition de l’armée argentine une mission d’assesseurs militaires français, de 1960.
Ces omissions ne sauraient être regardées comme involontaires ; il serait vain de prétexter l’ignorance ou d’exciper d’une quelconque difficulté à modifier la liste, une opération qui se limite à l’inclusion de deux lignes dans un tableau informatique. Ces omissions s’analysent comme relevant d’une volonté d’occultation ou de désinformation. Ces omissions produisent, efficacement, de l’ignorance. Allez sur Wikipédia, monsieur le Président, et vous le constaterez.
On y lit : Publiée par l’ambassade de France, la liste des accords conclus entre 1853 et 2016 entre les deux pays, la France et l’Argentine, ne présente aucun accord de coopération militaire, ni en 1960, ni en 1973 ; le seul accord portant sur la défense date de 1998. Cette affirmation apparaît dans l’article consacré au livre de la journaliste Marie-Monique Robin Escadrons de la mort, l’école française et le contredit.
Dans la mesure où une présomption de véracité s’attache aux documents publiés par l’État ou ses représentations diplomatiques, l’absence dans la liste de l’ambassade des accords susmentionnés nourrit le scepticisme quant à leur existence véritable et discrédite le travail de la journaliste.
L’ambassade de France n’a pas été la seule à nier l’existence d’une collaboration entre officiers français et argentins en matière de répression. Ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin niait, en 2004, que des officiers français aient eu des liens avec les dictatures sud-américaines des années 1970 (ANNEXE V).
Dans un rapport parlementaire (ANNEXE VI), le député Blum a apporté sa pierre à la construction d’une narration qui nie tant l’existence des traités susmentionnés que la collaboration qu’ils instituaient.
Monsieur le Président, je vous demande de donner les instructions nécessaires afin que l’ambassade de France en Argentine intègre dans la liste des accords ayant été conclus entre la France et l’Argentine l’Accord modifiant l’accord du 11 février 1960 entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République argentine concernant la mission d’assesseurs militaires français à la disposition de l’armée argentine et l’Accord mettant à la disposition de l’armée argentine une mission d’assesseurs militaires français.
Je voudrais profiter de ce courrier, monsieur le Président, pour attirer votre attention sur une autre situation qui, pour être distincte de celle que je viens d’aborder, n’en relève pas moins d’une problématique commune, celle de la vérité historique.
Affaire Blanquer-Sandoval
Entre 1999 et 2004, Jean-Michel Blanquer, qui fut votre ministre, embaucha et réembaucha à l’Institut des hautes Études d’Amérique latine (IHEAL), qu’il dirigeait, Mario Sandoval, un ancien policier argentin qui, après avoir été extradé par la France vers l’Argentine en 2019, fut condamné pour la disparition de l’étudiant Hernán Abriata. La justice argentine ne pouvait se prononcer que sur ce cas, à l’exclusion des 495 autres mises en examen qui visaient monsieur Sandoval, puisque l’extradition accordée par la France ne portait que sur les tortures infligées à monsieur Abriata et son enlèvement.
Enquêtant sur cette affaire, j’ai demandé, en vertu des dispositions contenues dans le Code des Relations entre le Public et l’Administration, communication d’un certain nombre de documents susceptibles d’être contenus dans la messagerie de votre ancien ministre. L’administration me répond que la messagerie de monsieur Blanquer n’a pas été conservée. Pourtant, la destruction de documents administratifs sans l’autorisation de la direction des archives est punie par l’article L214-3 du Code du Patrimoine d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.
Soit l’administration ou ses agents ont méconnu la loi, soit on prétend faussement que la messagerie de monsieur Blanquer a été détruite dans le but de faire échec aux dispositions contenues dans le Code des Relations entre le Public et l’Administration.
Monsieur le Président, j’ai saisi le Tribunal administratif afin d’obtenir les documents mentionnés plus haut. Ce dernier dira le droit.
Mais je vous demande de donner les instructions nécessaires afin qu’une recherche loyale soit effectuée et que l’on sache ce qu’est devenue la messagerie de monsieur Blanquer.
Thème du traître et du héros
Monsieur le Président, je travaille souvent avec mes élèves sur un récit de l’écrivain argentin Jorge Luis Borges intitulé Tema del traidor y del héroe. Dans ce récit, Ryan découvre que son arrière-grand-père ne fut pas le héros que chacun croit qu’il fut, mais un traître à la cause de l’indépendance de l’Irlande. Ryan occulte la vérité et publie un livre à la gloire de son ancêtre. La réputation de ce dernier s’en trouve protégée et le mythe national fondateur l’est aussi. Souvent, mes élèves me disent qu’à la place de Ryan, ils auraient agi comme lui. Je défends devant eux l’importance de la vérité historique et pointe les faiblesses d’un prestige fondé sur le mensonge ou l’occultation. Je voudrais être en mesure de montrer à mes élèves que, dans les deux affaires dont je vous saisis, la France, par son président, a choisi la vérité historique. Je voudrais leur dire que des instructions ont été données pour que les accords par lesquels la France a mis à la disposition de l’armée argentine des assesseurs militaires ne soient pas occultés. Je voudrais leur dire que des instructions ont été données pour que toute la lumière soit faite sur la disparition ou l’occultation de la messagerie de monsieur Blanquer.
Confiant que vous prendrez les décisions appropriées, je vous prie de croire, monsieur le président, à l’expression de mes salutations les meilleures.
Je publie cette lettre à l’adresse https://sebastiannowenstein.org/2024/11/29/assesseurs-militaires-francais-en-argentine-cas-blanquer-sandoval-lettre-au-president-macron-par-la-voie-hierarchique/
Je ne manquerai pas de publier toute réponse que vous donneriez à cette demande.
Je vous prie d’agréer, monsieur le Président, l’expression de mes salutations les meilleures.
Sebastian Nowenstein, professeur agrégé, lycée Gaston Berger, Lille.
ANNEXE I
Voir site de l’ambassade de France en Argentine, consulté le 29 novembre 2024 : https://ar.ambafrance.org/Accords-et-traites
ANNEXE II
ANNEXE III
ANNEXE IV
ANNEXE V
ANNEXE VI
Voir https://www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r1295.asp#P117_3057