Arte et Libération ont conjugué les efforts de leurs désintoxicateurs pour blanchir le ministre Blanquer dans l’affaire Sandoval.
Sandoval, pour ceux qui l’ignorent, est cet ancien policier argentin embauché par le ministre quand ce dernier dirigeait l’Institut des hautes Etudes d’Amérique Latine (IHEAL). La France vient de l’extrader vers l’Argentine, qui le réclamait pour le juger pour crimes contre l’humanité. En parallèle de ses cours à l’IHEAL, monsieur Sandoval était conseiller politique de l’une des pires organisations terroristes d’Amérique latine, les Autodéfenses unies de Colombie (AUC).
Ainsi donc, contrairement à ce qu’ont prétendu des blogueurs hostiles au ministre, celui-ci ignorait tout de l’implication de Sandoval dans l’appareil répressif de la dictature argentine. L’affaire s’éteindrait d’elle-même : le ministre ne savait pas. L’enquête journalistique le dédouane. Monsieur Blanquer doit en être satisfait.
Satisfait, car il ne sera pas interrogé sur ce qui a motivé l’embauche de Sandoval (lire le blog de ce dernier, c’est comprendre la médiocrité de l’individu) et son maintien au sein de l’IHEAL, alors que madame Zagefka, succédant à l’actuel ministre en tant que directrice, a refusé sans délai de reconduire l’ancien policier argentin dans ses fonctions.
Satisfait, car il ne le sera pas davantage sur la tension qui existe entre le fait de vouloir instaurer une école de la confiance et le fait de ne pas avoir eu un mot, de ne l’avoir toujours pas, pour les étudiants qui, faisant confiance à une institution dirigée par lui-même, par l’actuel ministre, donc, ont été mis entre les mains de monsieur Sandoval.
Satisfait, enfin, parce qu’il ne sera pas non plus interrogé sur son peu d’empressement à assumer les responsabilités institutionnelles et morales qui incombent à tout directeur dans une structure hiérarchisée, quand bien même aucune faute pénale ou administrative ne lui serait personnellement imputable.
Mais un fait résiste, têtu, à la désintoxication effectuée par nos journalistes, un fait qui ne doit rien à l’hostilité des blogueurs à l’égard de monsieur Blanquer : le ministre a embauché Sandoval et renouvelé son contrat.
Et la réaction de monsieur Blanquer, elle, ne doit rien non plus aux blogueurs qui lui sont hostiles : le ministre fait dire (il ne dit pas lui-même, il ne daigne pas dire lui-même), qu’il ne savait pas, qu’il a signé sans savoir.
En se focalisant sur des accusateurs non identifiés et rangés sous le trait commun de leur hostilité au ministre, nos « désintoxiqueurs » occultent des questions fondamentales. En se contentant d’interroger des gens sur ce qu’ils ne peuvent pas savoir (les enseignants ne peuvent pas savoir que Blanquer ne savait pas, ils peuvent juste expliquer qu’eux ne savaient pas) et des gens qui, fonctionnaires, sont sous l’autorité de la ministre Vidal, les journalistes étaient à peu près sûrs de trouver ce qu’ils cherchaient : la démonstration que toute cette histoire n’est que volonté de nuire au ministre. S’attendaient-ils vraiment, ces journalistes, à ce qu’on leur dise : “Je savais que Blanquer savait, je savais et je n’ai rien dit. J’attendais votre mail pour vous donner le scoop et soulager ma conscience” ?
Je ne prétends pas que Blanquer savait. Je prétends juste que l’enquête telle que menée par les journalistes devait aboutir selon toute probabilité à blanchir Blanquer et à escamoter la faute du ministre. La faute ? Celle, avérée et certaine, déjà, celle d’avoir choisi Sandoval le médiocre, celle de l’avoir gardé, celle d’avoir éludé des responsabilités évidentes, quand le passé de Sandoval fut connu.
Un vrai sujet d’enquête s’est mué en quelque chose qui, n’étant pas vraiment du journalisme, serait difficile à distinguer d’un communiqué ministériel. Comprendre les mécanismes à l’œuvre dans cette transformation est urgent et nécessaire.
Je me permets de proposer quelques pistes d’enquête et quelques questions qui auraient dû être posées. J’espère que des journalistes moins pressés et plus pugnaces que nos « désintoxiqueurs » creuseront ces pistes et poseront ces questions. Les voici, sous forme de lettres :