Voir aussi :
http://sebastiannowenstein.blog.lemonde.fr/2016/08/30/lettre-au-premier-ministre-laffaire-daoud/
Manuel Valls est inquiet pour Kamel Daoud. Il le dit sur Facebook le 2 mars 2016 :
Abandonner cet écrivain à son sort, ce serait nous abandonner nous-mêmes. C’est pourquoi il est nécessaire, impérieux, et urgent, comme beaucoup l’ont fait ces derniers jours, de soutenir Kamel Daoud. Sans aucune hésitation. Sans faillir.
Kamel Daoud est un écrivain et journaliste algérien dont le courage n’est pas à démontrer. Il s’est battu pendant des années pour défendre sa liberté d’écrire et de penser et, récemment, comme le premier ministre le rappelle dans sa tribune Facebook, il a fait l’objet d’une fatwa qui demandait à l’État algérien de le condamner à mort.
Mais, ce qui nourrit l’inquiétude du premier ministre, ce qui a, en tout cas, déclenché son intervention sur Facebook, c’est une tribune publiée par 19 chercheurs dans le journal Le Monde qui critiquait un article qu’avait fait paraître, dans le même journal, l’écrivain algérien. (On trouvera d’autres détails sur cette affaire dans les billets que je lui ai consacré, ici, ici et ici).
Le premier ministre attribue à ce texte des pouvoirs particuliers, puisque, d’après lui, la puissance et la violence de la vindicte qu’il véhicule ont eu pour résultat de conduire Kamel Daoud à renoncer au journalisme.
Le même jour où paraissait la tribune de monsieur Valls, l’écrivain algérien en infirmait l’idée centrale en ces termes :
Il se trouve que cette décision, prévue pour fin mars, a été précipitée par «l’affaire Cologne». J’ai alors écrit que je quittais le journalisme sous peu. Et ce fut encore un malentendu : certains ont cru à une débandade, d’autres ont jubilé sur ma «faiblesse» devant la critique venue du Paris absolu et cela ma fait sourire : si, pendant des années, j’ai soutenu ma liberté face à tous, ce n’est pas devant 19 universitaires que j’allais céder ! Le malentendu était amusant ou révélateur mais aussi tragique : il est dénonciateur de nos délires. (voir ici)
L’éditeur algérien de l’écrivain, Sofiane Hadjad, quant à lui, qualifie de catastrophe le soutien du premier ministre. (ici)
Mais, par cette agitation, Manuel Valls ne semble pas s’être laissé distraire. Il n’en a laissé rien paraître, en tout cas. Il continuera, parions-le, à défendre Daoud par-delà les incompréhensions, par-delà, aussi, les ingratitudes.
Cette sollicitude sans concessions impressionne. Cette sollicitude est, certes, celle d’un homme de principes et de valeurs. Mais elle découle aussi de l’une des valeurs de la République, la fraternité. Et ce n’est pas faire outrage au premier ministre ou diminuer son mérite que de l’affirmer, car c’est lui-même qui situe son intervention sous l’angle des valeurs et principes républicains.
Cette sollicitude, ce refus d’abandonner Kamel Daoud à son sort, honore le premier ministre. Mais, et c’est beaucoup plus important, elle l’oblige. Elle est, en ceci, annonciatrice, voire fondatrice : si la fraternité nous oblige à ne pas abandonner Kamel Daoud à son sort face à 19 universitaires animés d’une hargne inouïe et dotés d’une plume surpuissante, comment désormais nier qu’elle nous commande aussi d’accueillir les Syriens qui fuient la barbarie de Daech et d’El Assad ?
Il y a quelques mois, j’avais proposé à nos intersyndicales d’interpeller madame la ministre de l’éducation sur la notion de fraternité (voir ici) : celle-ci se conçoit-elle sans une certaine vocation d’universalité ou, un peu comme le nuage de Tchernobyl, s’arrête-t-elle aux frontières nationales ? Je n’avais pas été suivi par mes camarades et la lettre ne fut jamais envoyée. Mais, aujourd’hui, grâce à Manuel Valls, grâce aux actes sans retour sans détour qu’il pose sur Facebook, les choses vont changer. J’en suis apaisé, nous sommes, les messages que je reçois en ce moment le prouvent, nombreux à l’être.