Cher Monsieur,
Enseignant dans le secondaire, j’enquête sur l’affaire Sandoval, que vous évoquez dans un article récent auquel vous avez donné un titre en espagnol, ¿La Zozobra?1.
Vous y écrivez :
Comment cela a été possible ? De quels appuis individuels ou de quels réseaux un tortionnaire de la dictature argentine, qui s’installe en France dès le milieu des années 1980, a-t-il pu bénéficier pour obtenir des charges de cours dans de nombreuses institutions privées et publiques ? Comment expliquer qu’il puisse se retrouver au plus près des arcanes du pouvoir au milieu des années 2000, alors que son identité et son action étaient à l’époque connues ?
Les questions que vous posez, je me les pose aussi.
Pardonnez-moi, je m’en pose d’autres. Celle-ci est l’une d’elles :
Comment cela se fait-il que vous, personnel de l’IHEAL, ayez attendu 2013 pour vous exprimer publiquement sur cette affaire ?
Il m’est pénible de vous poser cette question, monsieur Merklen, mais je crois qu’il doit y être répondu.
Sous la direction de monsieur Blanquer, des étudiants de l’IHEAL ont été confiés aux bons soins de Sandoval. Le ministre fait dire aujourd’hui -parce que le ministre ne daigne pas dire lui-même- qu’il ne fit que signer un contrat qu’on lui avait transmis. Et le ministre n’a pas un mot pour les étudiants confiés à Sandoval. Y a-t-il eu des enfants ou de proches de disparus parmi eux ? C’est possible, c’est probable. Le ministre n’en a cure, apparemment. Il n’a rien à leur dire.
J’ai failli être de ces étudiants, tenez. J’aurais pu avoir Sandoval comme enseignant, mais la vie en décida autrement et je ne me suis jamais inscrit à l’IHEAL. M’imaginer dans vos anciens locaux sous la férule d’un tel maître me donne la nausée : je me figure sans peine les sentiments de ceux qui ont eu moins de chance que moi et qui se sont inscrits à l’IHEAL. C’est un viol de leurs consciences que ces étudiants ont subi chez vous. Au sens propre, on a beaucoup violé à Coordianción federal, où Sandoval travaillait. Sandoval est soupçonné d’être impliqué dans 500 assassinats. Il n’y a peut-être pas eu de faute, mais la violence folle qui naît d’avoir été mis entre les mains d’un tel homme, alors qu’on cherchait à se former, est bien réelle.
Qu’avez-vous dit, vous, enseignants, à ces étudiants quand vous avez découvert qui était Sandoval ? Leur avez-vous écrit ?
Monsieur Blanquer n’a peut-être pas tout su du passé argentin de Sandoval. Monsieur Blanquer ne savait peut-être pas tout des activités de conseiller politique des AUC de son enseignant. Peut-être n’en a-t-il rien su du tout. Mais il avait le devoir moral d’assumer la responsabilité institutionnelle de ce qui a été, à tout le moins, une erreur regrettable.
Comment cela se fait-il que vous, personnel de l’IHEAL, n’ayez pas exigé publiquement que des responsabilités institutionnelles soient assumées ?
¿Zozobra? Sans doute.
Mais, ce qui importe, aujourd’hui, c’est moins la peine que vous éprouvez que les actes qu’il est urgent que vous posiez.
Il faut enquêter, monsieur Merklen. Il faut témoigner. Il faut publier.
Ne vous contentez pas d’énoncer les bonnes questions, alors que vous avez, d’ores et déjà, une partie des réponses et alors que vous êtes en position d’en découvrir d’autres.
Il faut vous rappeler cette époque où vous avez côtoyé Sandoval et les années qui ont suivi. Il faut raconter.
Sollicitez les souvenirs de vos collègues et de vos étudiants, consultez les archives, enquêtez, publiez.
Je souhaiterais que vous me receviez. Je voudrais, sans préjuger de ce que vous allez sans doute entreprendre par ailleurs, recueillir votre témoignage et le publier.
Bien à vous,
S. Nowenstein.
1Publié par l’IHEAL : http://www.iheal.univ-paris3.fr/fr/edito/%C2%BFla-zozobra
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