Apologie du terrorisme, quelques notes personnelles.

Jeudi, j’ai assisté à une grande partie du procès du secrétaire général de l’UD CGT du Nord. La procureure de la République a requis un an de prison avec sursis.

Je fais, moi-même, l’objet d’une enquête préliminaire pour apologie du terrorisme, car, pour m’insurger contre les poursuites qui visaient mon camarade, j’ai écrit à la procureure pour m’accuser du même délit que celui qui l’avait conduit devant le tribunal.

Ce que j’ai vu a renforcé ma conviction qu’on instrumentalise l’infraction d’apologie du terrorisme et, par conséquent, qu’on peut en être poursuivi, alors qu’on en est, à l’évidence, innocent.

Avant d’aller plus loin, je voudrais indiquer que je ne souhaite pas dire si oui ou non, je me sens juif. Il s’agit, à mon sens, d’une question personnelle sans intérêt pour le sujet dont je traite. Je crois qu’il suffit de dire que je peux être regardé comme juif, qu’on peut présumer que je suis juif. Dans ce qui suit, quand, en parlant de moi, je dis « luif », il faudra lire « présumé juif ». Par commodité, je ne répéterai pas le mot « présumé ». Venons-en au procès.

La partie civile n’a eu de cesse d’évoquer les juifs qui, à Lille, rasent les murs. Ce n’est pas mon cas, alors que nombre de mes élèves savent que Nowenstein, c’est juif. Certains le savent parce qu’il arrive qu’ils s’étonnent que leur prof d’espagnol s’appelle Nowenstein et que, alors, je leur dis que Nowenstein, c’est juif polonais, et que de nombreux juifs ont quitté l’Europe de l’est pour l’Argentine. Les BTS du mercredi matin le savent pour une autre raison. Alors que j’évoquais devant eux les fours crématoires mis en place en Colombie par les AUC, S. a dit : comme pour les juifs, monsieur !, avant de m’expliquer ce qu’il avait appris au collège au sujet de la Shoah. M. l’a interrompu : tu ne vas pas expliquer le génocide à monsieur, il sait ce que c’est. J’ai dit qu’en effet, je savais ce que c’était, que deux de mes grandes tantes étaient mortes dans les camps, mais que S. pouvait expliquer ce qu’avait été le génocide.

Jamais, aucun élève n’a utilisé mes origines contre moi. Alors non, je ne me suis pas reconnu dans la description d’une France ravagée par un antisémitisme massif qui découle du discours de la partie civile, qui disait : « Madame la Présidente, vous êtes notre dernier rempart ».

Je ne dis pas, cependant, qu’il ne pourrait pas arriver qu’un dérangé cherche à s’en prendre à un prof juif. Je pense juste que, si cela arrive, le tract de la CGT n’y sera pour rien. Si cela arrive, la propagande dhjadiste, la barbarie israélienne et l’amalgame permanent, entretenu, entre autres, par le CRIF, mais aussi par les parties civiles, entre les juifs et Israël, seront, alors, des causes plus vraisemblables. La complaisance de l’État à l’égard d’Israël et les discriminations (emploi, logement, contrôles de police) me paraissent aussi des candidats plus plausibles que le tract de la CGT lorsque l’on cherche les déterminismes qui pourraient conduire quelqu’un, un antisémite, à s’en prendre à un agent juif de l’Etat. Rechercher des causes plausibles n’est pas justifier, excuser ou refuser de se défendre : si on m’attaque, je chercherai à me défendre. Je ne vis pas dans la peur, mais j’avoue qu’après les rares fois où ma judaïté a été évoquée en classe, j’ai pendant quelques jours, un peu regardé autour de moi en quittant le lycée. L’antisémitisme existe, mais pas du fait de la CGT. La partie civile a cinglé : n’avez-vous donc pas pensé aux juifs de la CGT ? Je me suis étranglé, car j’aurais voulu me lever et dire que cela devait cesser, que le procédé était indigne.

A l’improbabilité extrême que le tract de la CGT soit la cause qu’un dérangé s’attaque à un juif, s’oppose la probabilité à mes yeux très forte que l’inaction publique à l’égard des bombardements israéliens ou la tolérance dont ces derniers font l’objet crée dans le chef d’Israël un sentiment d’impunité susceptible de causer des souffrances terribles aux Palestiniens. La profération (au sens que la linguistique austinienne donne à ce terme) répétée qu’Israël mène une guerre légitime contre le Hamas, qu’il exerce son droit à la légitime défense, que ce pays épargne autant que possible les vies palestiniennes, qu’il jouit de notre soutein inconditionnel ou que nous n’allons pas le sanctionner produit des effets sans commune mesure avec ceux qu’on songe à imputer au tract de la CGT. Les énoncés nombreux qui présentent l’action israélienne sous un jour favorable ont aussi des effets en France, en particulier sur cette partie de sa jeunesse qui, pour des raisons variées, éprouve un fort sentiment de solidarité à l’égard des Palestiniens.

Je fais ici un usage très simplifié de la notion de causalité. On peut dire que les fous tuent parce qu’ils sont fous, mais que certaines circonstances favorisent le passage à l’acte. Ce que j’affirme revient à établir une échelle dans les causes et à tenir pour négligeables ou nuls les effets du tract de la CGT (je le vois même comme étant protecteur). J’expliquerai plus loin qu’il ne constitue nullement une apologie du terrorisme. (Je n’a pas lu ce tract, retiré sur demande de la police. Ce que j’en sais, je le sais par les extraits que j’ai lus dans la presse).

L’ancien premier ministre Valls a affirmé que chercher à comprendre, c’était déjà un peu excuser ; la partie civile pense qu’on ne doit pas rechercher des liens de causalité dans les affaires de terrorisme. C’est pourtant sur l’établissement de liens de causalité que repose le fonctionnement de notre société. La partie civile n’a pas dit, au demeurant, si elle avait la même exigence implacable quand Israël tue des enfants par milliers et si elle estimait que rattacher ces milliers d’enfants tués par un lien de causalité aux attaques du Hamas, aux prises d’otages que ce groupe a commises ou aux nécessités de la guerre était déjà les justifier ou les excuser. Le discours de la partie civile fut, parfois, nihiliste et subversif. (J’ai lu une remise en cause lumineuse de la notion de causalité par le philosophe des sciences Bertrand Saint-Sernin ; elle cherchait à faire avancer le savoir, non à l’ébranler de manière ponctuelle et opportuniste).

La présidente et la procureure ont déploré que mon camarade n’ait pas lu la charte du Hamas. Comme s’il fallait lire la charte du Hamas avant d’exprimer sa solidarité avec le peuple palestinien ou avant d’établir un lien de causalité entre les attaques du 7 octobre et une occupation impitoyable qui dure depuis des dizaines et des dizaines d’années dans un communiqué qui ne contient pas une seule fois le mot Hamas (source : la plaidoirie de maître Alimi). Je n’ai pas lu, pour ma part, la charte du Hamas. Les bombardements d’Israël n’en sont pas moins barbares et ma condamnation de ces bombardements n’en est pas moins forte. On n’a pas besoin d’avoir lu la charte du Hamas pour s’opposer à l’État colonial israélien.

Mon camarade est aide-soignant, père et responsable syndical. Qu’aurait-il dû lire de plus avant d’assumer les responsabilités que la loi impose en tant que responsable des publications du syndicat ? Quand aurait-il dû le faire ? Il travaille à plein temps et exerce bénévolement ses fonctions de secrétaire général de l’UD CGT du Nord.

On a présumé que mon camarade soutenait le Hamas et on lui a demandé pourquoi il n’avait pas lu la charte du mouvement qu’il soutenait. On l’a présumé coupable et on a bâti sur cette présomption. La réalité ne comptait pas, la présomption, irréfragable dans l’esprit de ceux qui l’accablent, suffit. On égrena les articles les plus funèbres d’une charte que mon camarade ne cite pas et ne connaît pas, parce que c’est la charte d’un mouvement que mon camarade soutient, bien qu’il dise qu’il ne le soutient pas et bien qu’il n’y ait aucune preuve qu’il le soutient. On a feint. On a feint qu’il soutenait le terrorisme du Hamas, on a feint que le communiqué le disait. On lui a alors demandé des comptes de cette charte du Hamas. Ce n’est pas loyal.

La procureure et la Présidente ont-elles lu, elles, la loi fondamentale adoptée le 19 juillet 2018 par la Knesset, qui fait d’Israël « l’État-nation du peuple juif », précisant que « le droit d’exercer l’auto-détermination au sein de l’État d’Israël est réservé uniquement au peuple juif » ? Ont-elles lu le professeur de droit international de l’université hébraïque de Jérusalem Mordechai Kremnitzer, pour qui, par cette loi, la discrimination ouverte acquiert rang constitutionnel en Israël ? Ont-elles lu Le nettoyage ethnique de la Palestine, d’Ilan Pappé, historien réputé juif, israélien et antisioniste ?

État colonialiste, monsieur D ?, a tonné la procureure, outrée que l’on appliquât un tel adjectif à Israël. Oui, colonialiste, madame la procureure. Il y a des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens. Il me souvient aussi qu’il a été question d’ignorance crasse. On est toujours un ignorant épais de quelque chose, mais c’est davantage un problème quand on est ouvrier ou syndicaliste.

Ce que dit le tract poursuivi, Le Monde l’a dit, en substance, quelques jours plus tard : Un demi-siècle d’occupation a engendré un monstre à Gaza. Samedi 7 octobre, il s’est réveillé. On poursuit un syndicaliste, on ne poursuit pas Le Monde.

Il y a peu de lieux dans la société française où les ouvriers ont du pouvoir. La CGT en est un. Ces poursuites l’ébranlent : qui voudra désormais être secrétaire général d’une UD ? Qui voudra risquer d’être embarqué par des policiers antiterroristes cagoulés au petit matin ? Qui voudra risquer un an de prison en sa qualité de responsable légal des publications du syndicat ? Qui voudra supporter l’opprobre d’une condamnation ? Il nous faudra des gens follement déterminés, prêts à tout. Ce n’est pourtant pas de ce genre de profil que nous avons besoin à la tête de nos syndicats. La société non plus, dont vous défendez l’intérêt, madame la procureure.

Le Monde dit la même chose que nous sans être poursuivi. On exige d’un syndicaliste une rigueur dans l’expression dont on se dispense. On exige la lecture préalable de textes dont le mis en cause ne se réclame pas, on vous traite d’ignorant… La justice que j’ai vu à l’oeuvre n’était pas à la hauteur des valeurs que j’ai mission de transmettre à mes élèves. J’ai vu une justice de classe.

Nos communiqués, à l’avenir, seront peut-être rédigés par Chat GPT : Fais-moi un communiqué pour que je puisse exprimer ma solidarité avec le peuple palestinien sans être poursuivi pour apologie du terrorisme.

Il y a quarante-huit ans les militaires qui sévissaient dans mon pays, l’Argentine, qui étaient antisémites et qui achetaient des armes à Israël, enlevaient mon cousin Alberto Hojman, âgé de 19 ans, juif, qui s’était inscrit en droit parce qu’il voulait défendre les travailleurs, bien qu’aimant surtout le cinéma. Surreprésentés parmi les disparus de la dictature, qui faisait disparaître ses victimes après les avoir torturées, les juifs ont été traités avec une férocité particulière. Le politiste israélien Yitzchak Mualem a décrit sans fard la politique israélienne à l’égard des militaires argentins : vendre des armes était une bonne affaire pour Israël. Le sort des juifs argentins était subsidiaire. De façon générale, la politique extérieure israélienne place en premier lieu l’intérêt de l’Etat israélien et mobilise la diaspora au service de cet intérêt.

Il y a peu, ont été découverts les fours crématoires dans lesquels les Autodefensas Unidas de Colombia, un groupe paramilitaire d’extrême-droite qui fut entraîné par d’anciens militaires israéliens, faisait disparaître les corps de ses victimes, devenues trop nombreuses.

Ce sont des Israéliens aussi qui ont fourni de l’assistance au régime du général Ríos Montt, coupable du génocide de la population indigène guatémaltèque.

La liste des régimes brutaux qui ont apprécié le savoir-faire israélien dans le domaine du contrôle minutieux et impitoyable des populations civiles est très longue.

Israël n’est pas le seul pays qui tire profit de la souffrance humaine ou qui s’y montre insensible. Israël a souvent été, en Amérique Latine, en particulier, l’exécuteur des basses œuvres des Etats-Unis. Ce que je viens de décrire ne suffit pas, cependant, à fonder l’antisionisme, une position dont je me réclame.

Si je suis antisioniste, c’est parce que je ne conçois pas que le droit des Juifs à l’autodétermination s’exerce au mépris des droits des Palestiniens. Je le suis parce que je pense qu’il faut accorder de la valeur au droit international, que ce dernier reconnaît le droit au retour des Palestiniens et que ce retour, s’il se fait dans des conditions d’égalité de droits et non d’apartheid, ne peut que sonner le glas du caractère juif de l’Etat d’Israël et d’Israël tel que ce pays se définit lui-même par la loi de 2018 citée plus haut. Je suis antisioniste parce que le sionisme a été une catastrophe pour le peuple juif, parce qu’il a fait sombrer une partie de ceux qui le composent dans le tribalisme le plus obscène, alors qu’il incarna, ce peuple, pendant longtemps, l’une des formes les plus exaltantes d’universalisme. Je le suis, parce qu’Israël a lié, peut-être pour toujours, le peuple dont il prétend constituer le foyer à l’oppression la plus vile d’un autre peuple et à ce que l’on a, au regard de sa définition dans les conventions de Genève, toutes les raisons de qualifier de génocide. Je le suis, surtout, en raison de ce que le sionisme a fait aux Palestiniens.

La partie civile affirma que l’antisionisme était la forme moderne de l’antisémitisme. Ce faisant, elle m’injuria. Je ne crois pas qu’il puisse exister de pire injure pour moi que d’être qualifié d’antisémite. La partie civile injuria tous ceux qui, juifs ou non, sont antisionistes sans être antisémites. Le caractère absurde du propos de la partie civile n’en atténue pas la gravité. Mais, bien qu’injurié, l’antisionisme juif est ancien, vivant et honorable.

En vérité, la République est antisémite, puisqu’elle respecte le droit international, qui prévoit le droit au retour, qui, exécuté, ferait disparaître Israël en tant qu’Etat juif. Qui n’est pas antisémite ? Nous le sommes tous ou presque. Il s’agit d’un antisémitisme dormant qui, activé lorsque cela est opportun, pour l’Etat d’Israël surtout, révèle ce que nous sommes véritablement. La ministre Bergé, récemment, a soupçonné les associations féministes de défendre toutes les femmes sauf celles qui sont juives. Cette conception instrumentale de l’antisémitisme rend difficile la lutte contre l’antisémitisme véritable et nourrit les mythes sur lesquels ce dernier prolifère. En ceci, il y a un lien de causalité vraisemblable, aussi, entre les pressions d’Israël pour que soit adoptée la définition de l’antisémitisme de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) et l’antisémitisme. Certains, dont moi, trouveront qu’imposer l’interdiction de dire que la création de l’Etat d’Israël est entachée de racisme ou est une entreprise raciste est une atteinte inacceptable à la liberté d’expression. Certains, dont moi, diront que le droit à l’autodétermination de l’Etat juif n’est légitime que dans la mesure où il ne suppose pas l’installation d’un régime d’apartheid ou le déni d’un droit comparable aux Palestiniens. Le droit à l’autodétermination est inférieur aux droits fondamentaux dont jouissent tous les êtres humains et la mise en place du premier ne permet pas de déroger aux seconds. Lorsque l’on fait des gens qui défendent ces énoncés raisonnables des antisémites, il n’est pas étonnant que des esprits égarés y voient une validation de l’antisémitisme. C’est pour cette raison qu’il est fondamental, pour lutter contre l’antisémitisme, de montrer que de nombreux Juifs défendent ces énoncés raisonnables, que de nombreux Juifs refusent l’amalgame, que de nombreux Juifs refusent d’être embrigadés dans une entreprise destinée à servir les intérêts d’Israël et non les leurs ou ceux de la société dans laquelle ils vivent. C’est pour cette raison que ceux qui banalisent une accusation des plus graves, la vident de son sens et lui ôtent l’aspect infamant qu’elle devrait, au regard de l’histoire, toujours revêtir.

La France a adopté la définition de l’IHRA. La France fait de moi et de beaucoup d’autres des antisémites. La France en vient à faire d’elle, je l’ai montré plus haut, une entité antisémite de par sa reconnaissance du droit international. C’est absurde. Il est absurde aussi que la France rende cet énoncé presque vraisemblable.

Il m’est arrivé, moi, l’athée, de rêver d’embrasser un judaïsme doté d’un Dieu naturalisé. Baruch Spinoza et Mordechai Kaplan en seraient les inspirateurs. Mais sans doute vaut-il mieux œuvrer à la mise en place d’une vaste coalition qui accueillerait à la fois les croyants antisionistes, qui pensent que

« La Promesse de la Terre, selon les rabbins, doit s’accomplir par le Messie, miraculeusement et surnaturellement, sans armes et sans guerre, avec l’accord de toutes les nations intéressées » – Emmanuel LEVYNE Revue TSEDEK nov. 68,

https://fr.wikipedia.org/wiki/Antisionisme_juif

et les antisionistes athées.

En tout cas, il est urgent de sauver le judaïsme d’Israël, qui le noie, qui le salit, qui le condamne.

Le ministre Séjourné a déclaré qu’accuser l’Etat juif, c’est ainsi qu’il désigna Israël, c’est franchir un seuil moral. Le ministre semble confondre ceux qui franchissent le seuil en tuant des innocents par milliers, en créant la famine, en rasant des villes et ceux qui constatent et dénoncent ce franchissement. Je crois, par ailleurs, qu’on franchit véritablement un seuil moral lorsqu’on ose traiter d’antisémites des gens dont les familles ont été frappées par la Shoah et qui œuvrent contre l’antisémitisme au simple motif qu’ils sont antisionistes. Ou des gens qui, sans être juifs, sont antisionistes sans être antisémites. La partie civile, pendant l’audience, affirma : l’antisionsme est la forme moderne de l’antisémitisme. Le président Macron fit de même devant le CRIF.

Dans un récit remarquable, El Evangelio según Marcos, l’écrivain argentin Jorge Luis Borges imagine qu’une famille, les Gutres, coupée de tout, au milieu de la Pampa, découvre la Bible par la voix de Baltasar Espinosa, qui la lui lit alors qu’il attend, avec la famille, dans la ferme dont elle a la garde, que la crue provoquée par des pluies diluviennes baisse. Les Gutres en viennent à voir dans Espinosa le Christ. Ils le crucifient, pensant que cet acte fera baisser les eaux. Il y a quelques années, j’ai profité de l’étude de récit avec mes élèves, à une époque pendant laquelle certains se radicalisaient tout seuls (on parlait de loups solitaires) pour évoquer les dangers de se confronter seul et exalté aux textes sacrés. J’ai dit que le nom Espinosa renvoyait au philosophe hollandais, mais je n’ai pas trop approfondi. Des années plus tard, une jeune femme accompagnait son frère à une réunion parents-profs. « Mais tu as monsieur Nowenstein !? Vous vous souvenez de moi, monsieur ? Je n’ai pas oublié Espinosa ! ». Je raconte ceci pour me justifier. Je me sais innocent. Mais qu’on pense de moi que je suis antisémite ou inactif face aux dangers de la radicalisation me fait souffrir. J’essaye de faire mon travail.

Je voudrais aussi mentionner un courrier que j’ai envoyé, il y a très longtemps, à un professeur d’éthique de Montréal pour critiquer le dispositif qu’il avait mis en place, étant jeune professeur de philosophie en France, pour traiter la question de l’antisémitisme. Je lui reprochais d’avoir toléré, dans son cours, des expressions antisémites, même si, bien entendu, il l’avait fait pour mieux les combattre.

Je voudrais citer également le long courrier que j’ai écrit à un ancien élève pour lui expliquer que non, qu’il n’avait pas à avoir un sentiment de solidarité islamique à l’égard d’un fou australien qui avait rejoint Daesh. Deux semaines après lui avoir remis le courrier, je l’ai croisé dans le quartier de mon lycée. Il m’a dit que j’avais raison et il m’a remercié.

J’ai transmis par la voie hiérarchique de nombreux courriers. Parmi ces courriers, certains contiennent l’affirmation selon laquelle l’enseignant ne devait pas rechercher l’adhésion à la loi sur le foulard, même s’il lui appartenait de l’appliquer, et que cette loi posait de profonds problèmes juridiques. J’ai aussi affirmé que l’Ecole ne pouvait pas être Charlie. Je n’ai jamais été sanctionné pour ces écrits, que j’ai rendus publics et que j’ai signé de ma condition de professeur agrégé. Il me semble qu’une présentation raisonnée des motifs pour lesquels on peut être en désaccord avec certaines initiatives des pouvoirs exécutif ou législatif contribue d’avantage à la paix civile qu’occulter les problèmes ou substituer à la délibération argumentée une forme d’endoctrinement.