À Paris, le 22 décembre 2025
Monsieur le Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche,
copie à Madame la PRADA
s/c du chef d’établissement
Je lis dans un article de Marsactu repris par Mediapart (voir ANNEXE I) qu’une mise au point a été diffusée aux étudiants d’Aix-Marseille Université (AMU) par les professeures Carine David et Hélène Thomas, codirectrices de la licence Droit et Science politique d’Aix Marseille Université, après après une conférence de monsieur Rodolphe Saadé s’étant déroulée le 9 octobre 2024. Le courrier des professeures (ci-après le courrier) a été diffusé le 16 octobre 2024.
Le courrier illustre la problématique des libéralités accordées par des entreprises ou des individus à des universités et de leurs effets sur la liberté académique. J’ai déjà eu l’occasion de vous interroger sur le sujet par un courrier en date du 18 novembre, qui portait sur le financement par TotalEnergies du Collège de France et que je vous ai transmis, comme celui-ci, par la voie hiérarchique. Tant mon courrier précédent que celui-ci s’intègrent dans le projet Retour sur l’information, que je mets en place en ma qualité d’enseignant.
Ce courrier comporte deux parties. La première contient des questions qui vous sont destinées. La deuxième est constituée par une demande de communication de documents que j’adresse à la PRADA de votre ministère, en copie de ce message. Si vous estimez devoir donner suite aux questions que je vous transmets, je publierai vos réponses dans le blog sebastiannowenstein.org. Les documents que votre administration me transmettra seront publiés dans le même blog. Ce courrier est publié à l’adresse donnée en référence. Cette demande est effectuée sur la base des dispositions contenues dans le Code des relations entre le public et l’administration.
Questions
- Dans les extraits du courrier figurant dans l’article précité, on lit : « D’autant qu’en l’occurrence, outre la politesse due à un conférencier invité qui accepte de se prêter au jeu des questions-réponses avec des étudiants, il paraît peu judicieux de s’en prendre à une personnalité marseillaise éminente, qui apporte une aide importante aux étudiants précaires de l’université, notamment alimentaire, au travers de la fondation qu’il finance et en termes de financement de la construction et d’aménagement de logements universitaires. » Ce paragraphe constitue-t-il, à votre estime, une entrave à l’exercice de la liberté fondamentale qu’est la liberté d’expression ? Je rappelle à ce propos qu’en plus des protections constitutionnelles et conventionnelles dont elle bénéficie, la liberté d’expression des usagers du service public de l’enseignement supérieur est garantie par l’article L811-1 du Code de l’éducation.
- L’article L141-6 du Code de l’éducation dispose : « Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique. » Le courrier constitue-t-il une violation dudit article ?
- Le courrier constitue-t-il la preuve que les libéralités de monsieur Saadé font naître une atteinte à l’indépendance des enseignants-chercheurs, qui, en droit français, a valeur constitutionnelle, ayant été reconnue comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) par la décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984 du Conseil constitutionnel ?
- Dans le cas contraire, pensez-vous que ce courrier fait naître l’apparence d’une atteinte à la liberté académique ?
- Les extraits connus du courrier doivent-ils être regardés comme prouvant l’existence d’un conflit d’intérêts ou l’apparence d’un conflit d’intérêts ? Le courrier préconise clairement que l’expression de jugements critiques soit atténuée au sein de l’université lorsqu’il est question de monsieur Saadé en raison des libéralités que ce dernier consent à accorder à l’université.
- Dans leur courrier, les codirectrices déclarent qu’à l’avenir, elles restreindront l’accès aux conférences aux étudiants qu’elles choisiront. Elles qualifient de débordements les questions posées. Il naît de cette déclaration et du courrier dans son ensemble l’apparence qu’elles entendent écarter les étudiants trop critiques, ce qui constituerait une discrimination. Comment analysez-vous cette déclaration ?
- Dans mon courrier précédent, je vous ai demandé s’il était opportun que vous saisissiez le Collège de déontologie de l’enseignement supérieur et de la recherche au sujet des libéralités accordées par TotalEnergies au Collège de France. Je vous pose la même question au sujet de celles consenties par monsieur Saadé.
- Plus généralement, avez-vous saisi le Collège de déontologie le financements privé de l’enseignement supérieur et de la recherche ?
- Si tel n’est pas le cas, comptez-vous le faire ?
- Entendez-vous prendre des mesures tendant à garantir la liberté d’expression des étudiants de l’université d’Aix-Marseille ? Si oui, lesquelles ?
Demande de communication de documents
Je vous demande, en vertu des dispositions contenues dans le Code des relations entre le public et l’administration, communication, dans un format ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, des documents ci-après :
- Le courrier des professeures Thomas et David qu’elles ont diffusé aux étudiants et qui est cité dans l’article joint en annexe,
- Tout échange s’étant produit entre les professeures Thomas et David et le personnel de l’université contenant le nom Saadé, en particulier avec le président Berton ou avec le doyen Perrier,
- Tout échange entre les professeures Thomas ou David, le doyen Perrier ou le président Berton avec monsieur Saadé en rapport avec son intervention du 9 octobre 2024.
À l’appui de ma demande, je souhaite faire valoir l’Avis n° 20254432 du 17 juillet 2025, par lequel la CADA a répondu favorablement à une demande de communication de documents concernant le financement par TotalEnergies. La CADA écrit :
En l’absence de réponse de l’Administrateur du Collège de France à la date de sa séance, la commission rappelle qu’aux termes de l’article L300-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. ».
La commission précise que les courriers détenus ou reçus par les agents publics, y compris sur leurs terminaux électroniques professionnels (avis n° 20184184 du 6 décembre 2018), constituent des documents administratifs au sens de ces dispositions, communicables à toute personne qui en fait la demande en application de l’article L311-1 du même code, s’ils sont en possession de l’administration et sont susceptibles de faire l’objet d’une extraction par un traitement automatisé d’usage courant, dans le respect des secrets protégés par les articles L311-5 et L311-6 de ce code, et par suite, le cas échéant, après occultation des mentions relevant de ces derniers ou disjonction des documents qui en relèveraient entièrement en application des dispositions de l’article L311-7 dudit code.
En l’espèce, la commission estime que les documents sollicités, s’ils existent, sont communicables au demandeur après occultation des mentions protégées par les articles L311-5 et L311-6 du code des relations entre le public et l’administration, notamment celles couvertes par le secret de la vie privée et le secret des affaires. Elle émet donc un avis favorable à la demande sous ces réserves.
Je vous prie d’agréer, monsieur le Ministre, madame la PRADA, mes salutations les meilleures.
Sebastian Nowenstein, professeur agrégé, lycée Gaston Berger, Lille
ANNEXES
ANNEXE I : L’article de Marsactu repris par Mediapart, https://www.mediapart.fr/journal/france/201225/l-universite-d-aix-marseille-recadre-des-etudiants-cause-de-questions-posees-rodolphe-saade
ANNEXE II : L’avis de la CADA, https://sebastiannowenstein.org/2025/07/30/college-de-france-et-total-les-courriels-echanges-sont-communicables-dit-la-cada/